Législatives ukrainiennes : un tournant pour le pays

Vlad Leclerc
13 Octobre 2015



La grande marche vers les législatives ukrainiennes a commencé. La campagne bat son plein, alors que le Bloc Porochenko tente de se restructurer après un premier mandat tumultueux, entaché de déconvenues politiques et économiques. L’Ukraine peine à remonter la pente et plusieurs scénarios lui sont aujourd’hui proposés.


Crédit DR
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Le Maire de Kiev, Vitali Klitschko a décidé d'unir ses forces avec le Président ukrainien Petro Porochenko en vue des prochaines élections législatives. A la fin du mois, une partie des Ukrainiens se rendront aux urnes afin de reconduire ou remplacer l'actuel gouvernement, de plus en plus controversé. Klitschko a décidé de concourir sous la bannière du parti de Porochenko "Solidarité", et d'y joindre son propre parti : l'Alliance Démocratique Ukrainienne pour la Réforme. Sa famille politique a fait partie des leaders de la contestation qui a abouti, après des affrontements meurtriers entre manifestants et forces de l'ordre sur la place Maïdan, à la chute du président pro-russe Viktor Ianoukovitch en février. « Le pays a plus que jamais besoin d'unité nationale et de consolidation. Voilà pourquoi j'ai accepté de devenir tête de liste du Bloc Porochenko », a déclaré M. Klitschko lors d'un congrès du parti présidentiel.

Un gouvernement sur le fil

Cette décision intervient alors que les inquiétudes quant aux capacités de gestion du pays par le régime s'accumulent. Avec une stagnation des réformes et le PIB en chute libre  de 17 % au premier trimestre 2015, le gouvernement de Porochenko est devenu de plus en plus impopulaire. Les derniers sondages donnent près de 60 % d'avis négatifs sur sa présidence, et révèlent que 70% des sondés sont inquiets quant à l'avenir du pays. 

En parallèle, la coalition gouvernementale était en train de se morceler, suite aux départs des franges les plus nationalistes. Ces derniers s'opposent à l'augmentation de l'autonomie reconnue par Kiev aux régions séparatistes de l'Est du pays en février dernier. Parmi les démissionnaires, les membres du parti Svoboda reprochent également au président son attitude avenante envers Moscou. Trop radical pour pouvoir aspirer au pouvoir, Svoboda pourrait néanmoins devenir une sérieuse épine dans le pied de la formation de Porochenko. Alors que le pays est en pleine crise identitaire, les accusations de manque de patriotisme liées au voisin russe pourraient en effet lui faire perdre des nationalistes plus modérés, et fragiliser sa coalition.

La Russie comme point de discorde

Le gouverneur d'Odessa, Mikheil Saakashvili, s'est lui aussi plongé dans la mêlée électorale. L'ancien chef d'état géorgien, Ukrainien d'adoption, fort de son image d'ennemi absolu de Vladimir Poutine, a su séduire les plus hostiles à Moscou. Une pétition en ligne, visant à le promouvoir en tant que Premier ministre, a été mise en place le premier septembre dernier. Cette dernière a recueilli pour la première fois dans l'histoire du pays plus de 26 000 signatures, dépassant ainsi la barre de 25 000 qui, légalement, oblige le chef d'état à observer une proposition populaire. Cet homme de poigne fait néanmoins face à des poursuites judiciaires dans son pays natal, la Géorgie. Son succès actuel vient de son désaccord musclé avec le Premier ministre, Arseni Iatseniouk, qu'il accuse de trop s'appuyer sur les oligarques dans la reconstruction du pays. D'après Saakashvili, ces derniers toucheraient une large part de l'aide internationale versée pour la relance de l'économie ukrainienne. 

Malgré sa popularité croissante, il n'est pas certain que l'Ukraine ait besoin d'un homme aussi radicalement hostile au Kremlin à l'heure de la reprise du dialogue de paix. Son opposition aux oligarques lui vaut également de nombreux ennemis. La sortie de la crise se fera inévitablement pas un retour aux affaires, seul biais susceptible de réconcilier les ennemis d'hier et d'aujourd'hui. Il est inconcevable d'envisager la réconciliation et la reconstruction du pays sans eux, tant ils détiennent un grand pouvoir régional et des ressources considérables. 

Le retour de Timochenko ?

D'autres alternatives politiques s'offrent égalent au pays. L'ancienne Premier ministre et opposante Ioulia Timochenko a lancé sa campagne. Elle a par ailleurs cédé symboliquement sa traditionnelle place en tête de liste de son parti, Batkivchtchina, à la pilote de l'armée ukrainienne Nadia Savtchenko, devenue héroïne nationale après sa capture par des rebelles pro russes et son emprisonnement en Russie. Mme Savtchenko, considérée comme prisonnière politique en Ukraine, est accusée d'être impliquée dans la mort de deux journalistes russes tués en juin dans l'est de l'Ukraine. Bénéficiant du bilan mitigé de Porochenko, son parti est largement remonté dans les sondages.

L’ancienne égérie de la « révolution orange » refuse pour autant de se considérer comme faisant partie de l’opposition. Sur la chaîne de télévision ukrainienne ICTV elle confiait : « Alors que l’Ukraine fait face à des menaces extérieures, je pense que personne n’a le droit d’être dans l’opposition. Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas défendre des positions différentes ». En se montrant si conciliante, Mme Timochenko compte sans doute essayer de gagner assez de voix pour se rendre indispensable à la coalition au pouvoir, et y imposer sa position. Les ambitions de la leader de l'Union panukrainienne, connue pour ses prises de position intransigeantes, semblent malvenues au gouvernement, jusque là hostile à toute tentative de divergence. Ses rapports explosifs avec l'ancien président Viktor Iouchtchenko, lorsqu'elle était Premier ministre, lui avaient d'ailleurs valu d'être limogée en 2005.

Firtash : une alternative crédible ?

Une autre figure surprenante fait son apparition : l'homme d'affaires Dmytro Firtash. Président de la Fédération des employeurs d'Ukraine depuis 2011 et du Conseil économique et social tripartite national, M. Firtash a également été co-président du Conseil consultatif des investisseurs nationaux et étrangers sous le ministère ukrainien de l'Éducation, de la Science, de la Jeunesse et des Sports. Créateur de l'Agence de Modernisation de l'Ukraine, un plan Marshall adapté pour la reconstruction du pays, cet homme d'expérience semble jouir d'un soutien croissant. Si on le connaît comme un magnat des affaires, spécialement dans le commerce du gaz, ce dernier semble vouloir se tourner vers un rôle plus politique. 

Bien qu'inhabituelle, cette option ne serait pas inintéressante pour le pays. Vétéran de l'économie régionale, il est apprécié des populations sécessionnistes de l'Est et très au fait de la politique russe de par ses contacts commerciaux avec Moscou. Il saurait sans doute proposer des idées neuves alors que le gouvernement s'embourbe et le pays semble se diriger vers l'impasse. Fisrtash est cependant très mal perçu par Kiev, notamment pour les profits qu'il a tiré du commerce avec la Russie.

Les grands absents seront les pro russes. Compte tenu de la situation à l'Est, où ils comptabilisent la majorité de leurs soutiens, ces derniers ont annoncé vouloir boycotter un scrutin qui leur aurait été peu clément.

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