Tirant son nom de la forêt où il a été découvert en 1947, le virus Zika, transmis par des moustiques Aedes, fait autant couler d’encre que le virus Ebola il y a deux ans. Cependant, malgré la panique, le virus Zika n’est pas aussi tueur qu'Ebola, son taux de mortalité étant très faible. Le gouvernement brésilien indique que parmi les 1,5 millions de personnes infectées au Brésil depuis mai 2015 – le pays avec le taux d’infection de Zika le plus élevé – seuls trois décès sont sans doute liés, bien que librement, au virus.
La plus grande puissance économique d'Amérique latine a connu une augmentation exponentielle sans précédent de 5 000 cas de microcéphalie suspectée depuis que le virus Zika a commencé à se répandre l'année dernière. Bien qu'il n'y ait pas encore de lien avéré entre les deux, la corrélation est élevée, de sorte que le lien est « fortement soupçonné » par l'Organisation mondiale de la santé. Ceci a incité les gouvernements de Salvador et de Colombie, où le virus Zika est très répandu, de conseiller aux femmes de retarder leur grossesse. Sauf que 50 % des grossesses dans ces pays ne sont pas planifiées et les avortements sont illégaux dans de nombreux pays d'Amérique latine.
Contactés par Le Journal International, Amelia Santos, économiste à la CNUCED et Dr Rafael Oliveira médecin au service des urgences d'un hôpital de Bahia, au Brésil, sont tous les deux d'accord pour affirmer que les gouvernements ont tort de demander aux femmes de ne pas tomber enceintes. Elles devraient plutôt être informées des risques. « Les décisions par rapport à la grossesse appartiennent à la mère » a déclaré le docteur Oliveira.
L'OMS, critiquée pour sa réaction tardive concernant l'épidémie d'Ebola en Afrique de l'Ouest en 2014, a déclaré le 1er février 2016 que la propagation explosive du virus Zika dans les Amériques était « une urgence de santé publique de portée internationale ». Mais est-ce une urgence économique plutôt que sanitaire ?
Que la microcéphalie soit liée ou non au virus Zika, il doit être traité d'une manière préventive et réactive, sans perdre du temps. Cela reste un sujet controversé étant donné le manque de cas de microcéphalies en Colombie, malgré le nombre élevé de femmes enceintes infectés par le virus Zika dans le pays. L'OMS a annoncé que 56 millions de dollars seront nécessaires pour développer un traitement ou un vaccin ainsi que la preuve d’un lien entre le Zika et la microcéphalie. Toutefois, cela dépendra des dons provenant d’autres pays : une mauvaise nouvelle pour le Brésil, qui fait face à la plus longue récession depuis les années 1930. En outre le Brésil sera l'hôte des Jeux Olympiques de 2016 à Rio et, selon Amelia Santos, c'est là la principale préoccupation pour le pays.
La propagation rapide du virus Zika étant attribuée à l'augmentation des voyages internationaux et au changement climatique, les États-Unis et le Canada ont conseillé aux femmes de ne pas se rendre dans les zones infectées. Désormais, certaines compagnies aériennes internationales ont commencé à rembourser les femmes enceintes ayant déjà acheté des billets pour l'Amérique latine. Cela pourrait avoir un impact négatif sur l'économie du Brésil, où le tourisme représente près de 10 % du PIB.
Alors qu’il est impossible pour les économistes de calculer l'impact qu’aura le virus Zika sur l'économie du Brésil, une chose est certaine : le tourisme sera fortement atteint. Les femmes enceintes ne seront pas les seules à se priver des plages paradisiaques du pays. Ce sera aussi le cas des paranoïaques et des malades imaginaires. Les symptômes s’avèrent moins sévères que ceux de la dengue, 80 % des cas atteints du virus Zika sont asymptomatiques. Mais peu importe que l’on soit rassuré du caractère inoffensif du virus Zika, à moins d’être enceinte ou atteint d’une maladie chronique, un virus reste un virus ; et les médias recherchent une bonne dose de panique. Beaucoup de familles européennes sont donc susceptibles de changer leurs projets pour l’été 2016, maintenant que le virus Zika a atteint plus de vingt pays en Amérique.
L'hiver imminent dans l'hémisphère Sud pourrait diminuer les risques et les menaces de propagation du virus à travers le Brésil et ses pays voisins. Cela dit, pour les Européens et les Américains du Nord, c’est la saison où les températures augmentent au nord de l'équateur, amenant une activité accrue des moustiques dans l'hémisphère Nord et par conséquent plus de risques de propagation du virus Zika dans les pays où se trouvent les moustiques Aedes. Y compris des régions de l'Europe et des États-Unis, où les températures sont les plus élevées pendant les mois de juin, juillet et août.
Non seulement le Brésil laisse s’échapper une bonne partie de son économie liée à une baisse du tourisme mais lors de cette course contre la montre, le gouvernement de Dilma Rousseff doit également constituer un budget en ces temps économiquement fragiles, afin de réaliser des investissements préventifs pour à la fois freiner la propagation du virus et traiter le nombre croissant de nourrissons atteints de la microcéphalie.
Le ministre de la Santé brésilien, Marcelo Castro, a annoncé que le Brésil contribue financièrement au développement d'un vaccin, et d’un nouveau kit de diagnostique rapide. Selon The Guardian, 220 000 membres des forces armées du Brésil aident à éradiquer les moustiques porteurs du virus Zika dans le cadre de la campagne publique nationale Zika Zéro, une tâche similaire à celle que le Brésil a réalisé avec succès dans les années 1950. Le gouvernement a également distribué 400 000 flacons de produit anti-moustique aux femmes enceintes. Mais d'après le Dr. Rafael Oliveira, cela ne suffira pas. D'autant plus que ces mesures ne font rien pour les femmes les plus pauvres qui ne sont pas encore enceintes. Il faut savoir qu’une bouteille de 100 ml d'Exposis - le seul anti-moustique efficace disponible - coûte en moyenne 57 reals, ce qui équivaut à environ 14 dollars. En d'autres termes, une somme bien au-dessus du budget moyen d'un salarié ayant un faible revenu, le groupe le plus à risque de contracter le virus Zika étant ceux qui survivent avec moins de 2 dollars par jour.
Le Brésil doit aussi faire face a une augmentation sans précédent des cas de microcéphalie depuis l'année dernière. Le Dr Oliveira l'a confirmé, même si les soins de santé étaient accessibles à tous les résidents permanents du Brésil, ceux-ci sont déficients. « Nous avons un système de santé publique, mais ce sera un gros problème [pour le pays, sur le plan économique] à l'avenir. » a-t-il affirmé. Lorsqu'on lui demande si un personnel de santé serait embauché pour soutenir les mères ayant des enfants nés avec la microcéphalie, il répond qu'il est peu probable que le gouvernement vote une aide de ce genre. « Le gouvernement n'attribuera qu’une sécurité sociale. » Les familles brésiliennes manquent souvent d’un soutien de la part du gouvernement et se retrouvent marginalisées de la société lorsqu’ils ont un enfant handicapé.
Vu que la microcéphalie provoque un retard grave chez l’enfant par rapport à certains aspects de son développement tels que la parole, les compétences motrices, la coordination et l'équilibre, le nanisme, les distorsions du visage, l'hyperactivité et les déficiences intellectuelles, une aide à plein temps est indispensable. Cela signifie que les mères doivent soit avoir les moyens de s’offrir ce type de service dans le but de continuer à exercer une activité professionnelle, soit renoncer à leur emploi pour s'occuper de leur enfant. Cela impliquerait qu'une personne de moins contribue au foyer et à l'économie brésilienne. Bien sûr, si l’on regarde la vue d’ensemble, le pourcentage de la population infectée est faible par rapport à la population brésilienne totale. Mais si la maladie continue de se propager, une proportion plus importante de parents salariés pourrait être contrainte de s’occuper seule de ses enfants handicapés, ralentissant ainsi la croissance économique du Brésil.
En ce qui concerne la communauté internationale, en plus d'imposer des restrictions commerciales en conseillant à leurs citoyens de ne pas voyager en Amérique latine, la réponse de l'UE semble avoir été plus réactive que proactive. Les États-Unis ont cependant demandé 1,8 milliard de dollars en fonds d'urgence pour aider à combattre le virus à l'intérieur du pays et à l'étranger. Quant aux ONG, la directrice de l'OMS, Margaret Chan, a exprimé, lors de son déplacement au Brésil, son soutien aux efforts « sérieux et transparents » du pays dans la lutte contre le virus Zika. Toutefois, l'accent de cet éloge a été mis sur l'engagement du Brésil à maintenir un pays sécurisé pour l’arrivée des athlètes olympiques et de leurs supporters dans quelques mois, plutôt que sur les 20 % de sa population qui vit en dessous du seuil de pauvreté et plus exposé au risque de contracter le virus ainsi que ses séquelles sous forme de microcéphalies, qui, à long terme, pourraient coûter beaucoup plus cher au pays que les Jeux Olympiques.
Si le virus Zika, et son lien possible avec la microcéphalie ne reçoivent pas l'attention qu'ils méritent, leur impact économique à long terme pourrait toucher toute une série de secteurs de l'économie, y compris les services d'éducation, de santé et les industries de produits pour nourrissons, si une baisse durable du taux de naissance devient significative. Déjà accablé par une liste de problèmes économiques - scandales de corruption, instabilité politique et les prix bas des produits de base - avant d’avoir à affronter l'épidémie du virus Zika, le Brésil se trouve dans une situation peu enviable.