Le combat pour la paix d’une Indienne en grève de la faim depuis 15 ans

2 Février 2016



Cela fait quinze ans qu’Irom Sharmila est en grève de la faim. Condamnée par la justice indienne au motif de « tentative de suicide », cette militante pacifique proteste contre les violences des indépendantistes de sa région et de la réponse tout aussi violente des forces de l’ordre déployées par le gouvernement. Elle est depuis isolée au sein de l’hôpital-prison de la banlieue d’Imphal, dans l’État du Manipur et nourrie de force via une canule nasale.


Crédit American Center Mumbai (CC BY-ND 2.0)
Crédit American Center Mumbai (CC BY-ND 2.0)
L’origine de son combat remonte à un attentat commis le 2 novembre 2000 dans la petite localité de Malom, à 10 km au sud d’Imphal, dans le Nord-est de l'Inde. Ce jour-là, une bombe artisanale explose juste à côté de la caserne d’un régiment des Assam Rifles. Les auteurs de l’attentat sont vraisemblablement des rebelles indépendantistes. En réponse, les forces paramilitaires ouvrent le feu sur un groupe de dix personnes, âgées de 17 à 60 ans, qui attendaient le bus le long de l’unique route traversant Malom.

Scandalisée par les photos publiées le lendemain dans la presse, Irom Sharmila s’engage alors dans un jeûne qui n’a aujourd’hui aucun équivalent dans le monde en termes de durée.  « J’ai été choquée par ces photo. Je me rendais à un rassemblement en faveur de la paix, et j’ai compris que nous resterions impuissants face aux violations des forces de l’ordre. J’ai alors décidé d’arrêter de manger » déclare-t-elle

Un Etat d’urgence permanent

Les Assam Rifles se sont formés à la suite de la promulgation du Armed Forces (Special Powers) Act (AFSPA) en 1958. Cette législation donne aux forces de l’ordre des pouvoirs extraordinaires pour juguler les rebelles indépendantistes et instaure un état d’urgence dans les territoires concernés. Le Manipur, situé à l’extrême-est du pays, est ainsi sous contrôle des Assam Rifles depuis plus de cinquante ans. Mais les abus sont nombreux. Selon Henri Tiphagne, président du Forum Asie et avocat œuvrant pour la défense des droits de l’homme, « l’AFSPA est à l’origine de violations généralisées des droits de l’homme, telles que les disparitions forcées, les exécutions extrajudiciaires, la torture et les violences sexuelles… »

En raison de ces excès, beaucoup de citoyens soutiennent la « dame de fer » dans son combat pour faire abroger la loi. Elle a refusé par deux fois de se joindre à un groupe politique. Même si Amnesty International s’est rallié à sa cause, sa voix peine alors à dépasser les frontières du pays ou même à occuper l’espace médiatique national.  

Une voix sans écho

L’hebdomadaire The Hindu rapporte ainsi, dans un article publié le 9 janvier dernier, que « les voix de ceux qui subissent le poids de ces politiques [comme l’Etat d’urgence] ne sont entendues que lorsqu’il y a un "incident", lorsque suffisamment de gens meurent pour que cela soit relayé dans la presse nationale. » Il est vrai que la lutte d’Irom Sharmila ne bénéficie pas vraiment d’une forte couverture médiatique. Il a d’ailleurs fallu attendre le 21 octobre 2015 pour qu’une pétition soit lancée sur le désormais célèbre site Avaaz.org.

En France, la presse en parle très peu. La revue XXI, dans son numéro sorti au printemps 2015, est l’une des rares à avoir brossé un portrait fouillé de cette femme aujourd’hui âgée de 43 ans. L’auteur de l’article, Olivier Courtois, a relaté les propos de l’activiste : « Cette grève de la faim est le moyen de faire entendre ma voix, la voix d’une femme simple qui lutte à sa manière pour que la violence cesse au Manipur, pas seulement la violence des militaires mais aussi celle des insurgés qui enlèvent, extorquent, volent et posent des bombes dans des lieux publics ».

L’Inde, la plus grande démocratie du monde ?

Le combat de Sharmila met donc en exergue les abus de la justice indienne : emprisonnée malgré sa lutte pacifique, le gouvernement la maintient en vie afin de ne pas en faire une martyre. Elle est depuis condamnée par la justice indienne au motif de « tentative de suicide », sa grève de la faim étant considérée comme une infraction par l'article 309 du Code pénal indien. Dans un pays où la liberté de la presse arrive en 136ème position selon Reporters Sans Frontières, la « dame de fer » est ainsi isolée physiquement et médiatiquement. Comme le note un article d’opendemocracy.net, « la quête de l’Inde vers une démocratie sincère semble être marquée par une histoire de répression ». Répression dans le sang envers les terroristes et répression pénitentiaire envers les pacifistes comme Sharmila.

Manifestation indienne en 2011 pour l’abrogation du Armed Forces (Special Power) Act. Crédits :  PUCL Karnataka - Abonao Photography
Manifestation indienne en 2011 pour l’abrogation du Armed Forces (Special Power) Act. Crédits : PUCL Karnataka - Abonao Photography
Le fait que l’Etat d’urgence persiste depuis plus de 50 ans au Manipur pose une sérieuse question quant à la nature démocratique de l’Inde. Le gouvernement semble en effet plus préoccupé de sa mainmise sur un territoire qui représente des intérêts économiques et géostratégiques que du bien-être de ses occupants. Le pays que l’on surnomme la plus grande démocratie du monde porte alors bien mal son sobriquet.

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