Le Royaume-Uni est-il un pays raciste ?

Gemma Kentish, traduit par Marie Donnet
19 Mars 2015



Une vidéo, dans laquelle on aperçoit des supporteurs britanniques de l’équipe de football de Chelsea empêcher un Français de monter dans le métro parisien à cause de sa couleur de peau, a choqué le monde entier et a illustré la montée des tensions raciales dans la société d’aujourd’hui. Cela a provoqué l’indignation aussi bien sur le web que dans les médias et a remis en question ce que l’on appelle la « culture hooligan » britannique. Est-ce cependant un incident isolé ou est-ce là un problème ancré plus profondément ? Analyse du racisme au Royaume-Uni aujourd’hui.


Crédit Fifa
Crédit Fifa
Le 17 février, Souleymane S., d’origine française, rentrait chez lui après le travail lorsqu’il a été victime d’un acte raciste. «J’essayais de monter dans le métro lorsque deux personnes m’ont soudainement repoussé. Je n’ai pas compris et j’ai pensé, ce n’est pas normal. J’ai essayé de remonter dans la rame, mais ils m’ont poussé une seconde fois. Je ne comprenais toujours pas pourquoi ils m’empêchaient de passer. Puis l’un d’entre eux a fait un geste de la main en me disant qu’à cet endroit c’était la peau blanche et que je n’avais donc pas à me mettre là ».

Les hommes, ayant refusé que Souleymane grimpe dans le métro, se sont avérés être un groupe de supporteurs de Chelsea, en chemin pour voir le match contre le Paris Saint-Germain. Un expatrié anglais résidant à Paris, qui a assisté à la scène, a filmé l’incident avec son téléphone et a immédiatement envoyé la vidéo au journal britannique The Guardian. Cette dernière a rapidement fait le tour des médias du monde entier et a contribué à l’identification des agresseurs.

Toutefois, la franchise, voire la fierté, de ces hommes concernant leur racisme est déconcertante. Des chants dans lesquels ils scandent «nous sommes racistes, nous sommes racistes et ça nous plaît » peuvent aussi être entendus dans la vidéo. Lors de cette agression manifeste à l’égard d’un homme de couleur noire dans un lieu public, leur haine raciale est évidente et est même effrayante. De plus, cela démontre la normalisation du racisme au sein de la société britannique.

Cet incident a nui à l’image du club de Chelsea et d’une façon générale à celle de la culture hooligan du football anglais. Le club a rapidement condamné cet acte et a insisté sur le fait qu’il ne reflétait pas le comportement de la plupart de ses supporteurs. En réponse à l’attaque, des fans de Chelsea ont aussi brandi des bannières, dont l’une indiquait « noirs ou blancs, nous sommes tous bleus » en référence aux couleurs de l’équipe, afin de montrer qu’ils ne partageaient pas les convictions des agresseurs. Bien que leur geste, condamnant publiquement l’insulte, soit réconfortant, il n’éclipse pas la gravité de la situation. 

Le lien embarrassant entre football et racisme

Ce type de comportement n’est pas rare. Le hooliganisme a toujours existé au Royaume-Uni et il est depuis longtemps associé au monde du sport, surtout aux clubs de football. De nombreux incidents racistes sévissent et cela est devenu un sujet si controversé, que le lancement de campagnes de lutte contre le racisme, comme celle de l’UEFA appelée « Non au racisme » (No to Racism) ou celle de l’association britannique Show Racism the Red Card (« Carton Rouge pour le Racisme »), a été nécessaire. Le grand nombre de ces campagnes très médiatisées prouve effectivement la forte présence d’un tel sentiment dans le domaine du football.

On peut se demander pourquoi les préjugés raciaux sont aussi répandus dans les clubs de football et lors les matchs. La théorie de la psychologie des foules ou théorie des foules, développée par Gustave Le Bon, psychologue français, pourrait être une explication. Elle décrit l’abandon de l’opinion personnelle au profit d’un comportement plus collectif, lors duquel l’individu a peu de contrôle sur ses agissements. La culture du football imite en effet ce phénomène. Être supporteur d’un club provoque un sentiment bien plus fort que l’exultation lorsque votre équipe gagne un match. Vous avez l’impression d’appartenir à un groupe et les émotions partagées peuvent être très fortes. Si elles appartiennent à un groupe, certaines personnes se sentiront plus en sécurité, du moins suffisamment hors de danger, pour pouvoir exprimer leur opinion, même si elle est antisociale ou inacceptable. Dans le cas où cet avis est partagé par plusieurs personnes dans le groupe, ces dernières deviennent un danger réel pour la société. Comme l’incident dans le métro parisien le montre, la psychologie des foules peut s’insinuer dans le psychisme des individus et les pousser à dire des choses ou commettre des actes d’agression qu’ils n’auraient jamais fait seul.

Une question politique : la montée de la droite

La culture du football ne fait que refléter un problème sous-jacent présent au sein de la société, un côté sombre du Royaume-Uni qui est représenté par la Ligue de Défense Anglaise (EDL). Fondée en 2009, l’organisation d’extrême-droite a réussi à inciter la population à la haine raciale et religieuse dans les rues des villes et petites villes du pays, en de nombreuses occasions. En appelant à mettre fin «à la montée de l’islam radical », le groupe attire plutôt des hommes blancs de la classe ouvrière et de leurs manifestations découlent souvent violence ou beaucoup d’arrestations. En octobre 2010, des affrontements ont éclaté entre des membres de la ligue et des jeunes d’origine asiatique et africaine dans la ville de Leicester, dans la région des Midlands. Les membres de la EDL avait lancé des feux d’artifice, des bombes fumigènes et des briques sur la police, ils avaient aussi attaqué le véhicule d’un journaliste.

Cependant, la Ligue de Défense Anglaise a subi un coup dur lorsque ses dirigeants Tommy Robinson et Kevin Carroll ont annoncé leur démission, car ils pensaient que l’organisation devenait trop extrême. Pour incroyable que cela puisse paraître, ces derniers avaient appris des choses sur l’islam et avaient discuté avec Quilliam, un think-thank créé par d’anciens islamistes, dans le but de lutter contre l’extrémisme. Leur histoire étonnante prouve surtout qu’on peut facilement venir à bout des préjugés grâce à ne serait-ce qu’un début d’intégration et interaction multiraciale.

Toutefois, cette partie de la société subsiste et beaucoup de membres d’EDL ont  considéré leurs démissions comme une amère trahison. Ces dernières années, un autre parti politique a pourtant fait son apparition pour répondre aux maux sociaux d’aujourd’hui, le Parti pour l’Indépendance du Royaume-Uni, l'UKIP.

En adoptant une approche plus subtile, le chef du parti, Nigel Farage, et son parti populiste de droite font des ravages au sein du paysage politique britannique, car ils séduisent une large proportion de la population. Farage a décrit le parti comme étant «libertaire et non-raciste » et a également bien modéré la ferveur raciste attisée par la Ligue de Défense Anglaise. Néanmoins, le parti exploite le même filon, c’est-à-dire le sentiment d’insécurité sociale et économique ressenti par une grande partie des britanniques, il joue sur la peur concernant l’immigration pour susciter le mécontentement général et, de ce fait, gagner des membres. Le journaliste britannique Owen Jones a déclaré «la montée du Parti pour l’Indépendance du Royaume-Uni représente une des menaces les plus importantes vis-à-vis de la création d’une société égalitaire, juste et tolérante ».

D’après les révélations d’une source en ligne, un des hommes impliqués dans l’incident du métro parisien a pu être identifié plus tard comme étant Josh Parsons, qui avait déjà été pris en photo aux côtés de Nigel Farage. Afin de prendre ses distances avec Josh Parsons, l’UKIP a clairement affirmé ne pas être un parti raciste. Cette révélation reflète une proximité dérangeante entre le sentiment de racisme grandissant au sein de la société britannique et l’émergence de ce parti populiste. Ce n’est pas la première fois qu’une telle histoire voit le jour, mettant en lien des partisans et membres du parti UKIP. La conseillère du parti dans la région du Kent, Rozanne Duncan avait déclaré l’an dernier lors d’une interview qu’elle avait «un problème avec les nègres »

Interdiction de monter dans le métro

Souleymane S a officiellement porté plainte auprès de la police française, qui coopère avec la police britannique pour inculper les hommes impliqués. Dénonçant l’incident, il a déclaré : «physiquement je n’ai pas vraiment été blessé, mais moralement cela m’a fait très mal. Cela a eu des conséquences sur ma vie. Je ne peux plus reprendre le métro, car cela me fait peur. Je ne pense pas qu’on devrait se voir refuser le droit de monter dans le métro seulement car vous êtes noir. Et c’est ce qu’ils voulaient ». Cruelle ironie, Souleymane était le seul citoyen français, et pourtant c’est lui qui a été injurié dans son propre pays par un groupe d’étrangers.

Mais ce qui est choquant, c’est que cette histoire a uniquement attiré l’attention des médias à travers le monde du fait qu’elle avait été enregistrée. Si un passant n’avait pas eu la spontanéité de filmer l’agression, elle serait, comme des milliers de comportements racistes au quotidien, passée inaperçue. Malgré les actions de nombreuses associations et campagnes, il apparaît clairement dans cette vidéo que le racisme est malheureusement loin d’avoir disparu dans le monde du football ou dans la société en général. 

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