Le Japon déclare les étrangers inéligibles aux aides sociales

12 Août 2014



Alors que Shinzo Abe escompte que la venue d’une main d’œuvre étrangère aidera le pays à combattre les dettes colossales qui l’écrasent, une décision de la Cour suprême pourrait bien réduire ses espoirs à néant. Celle-ci a en effet déclaré que les étrangers, y compris ceux qui résident au Japon de façon permanente, ne sont pas éligibles aux aides sociales car ils ne sont pas des « kokumin », des citoyens.


Crédit DR
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A l’origine du procès, une Chinoise de 82 ans, née et élevée au Japon, qui y a vécu toute sa vie et qui a payé ses impôts comme n’importe quel citoyen japonais. Sa nationalité, cependant, lui interdit l’accès aux aides, sous le prétexte qu’elle avait des économies, la préfecture d’Oita les lui a refusées avant de finalement accepter en 2011, date à laquelle elle a commencé à les réclamer. 

Le problème ne date pas d’hier. En 1950, la loi à l’assistance publique spécifiait que tous les citoyens qui la nécessitaient pouvaient toucher une aide. Quatre ans plus tard, un avis du ministère précise que les étrangers sont éligibles eux aussi. Il est également précisé qu’ils peuvent postuler de la même manière et que leurs dossiers seront traités de façon similaire, ou presque. En effet, quand un étranger reçoit une aide, les agences municipales doivent en référer au gouverneur de préfecture afin qu’il soit vérifié que la personne concernée ne perçoit pas des aides semblables de son pays d’origine. En 1990, il est décidé que seuls les étrangers ayant le statut de résident permanent sont éligibles. 

Pourtant, lorsque le Japon rejoint la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés en 1981, la question se pose déjà : faut-il revoir la clause de nationalité ? Les lois concernant les retraites et l’éducation des enfants sont révisées afin de répondre aux exigences de la Convention, mais celle sur l’assistance publique reste inchangée. Parce que les étrangers avaient été traités comme les citoyens, cela fut accepté.

La Cour suprême de Fukuoka a conclu que puisque c’était à la discrétion des municipalités de distribuer les aides, l’octogénaire était dans son plein droit d’en réclamer. Cependant, la Cour suprême du Japon s’est appuyée sur la loi de 1950 pour déclarer que seuls les citoyens japonais pouvaient légalement les percevoir. Même si, et il est important de le souligner, la décision finale revient à la préfecture au Japon (celle-ci a d’ailleurs annoncé qu’elle continuerait à distribuer des aides aux étrangers), cette prise de position de la part de la Cour suprême risque de pousser les municipalités à refuser de prêter assistance aux étrangers, puisqu’elles pourront s’appuyer sur ce jugement, qui fait office de jurisprudence.
Scène de la Cour Suprême pendant le procès. Crédit ANN News
Scène de la Cour Suprême pendant le procès. Crédit ANN News

Une décision controversée

Au pays du Soleil-Levant, tout le monde n’approuve pas une telle résolution. La dette est certes importante, et le vieillissement de la population contribue au fait que les aides sociales coûtent cher à l’Etat. Toutefois, dans un contexte où le Premier ministre cherche par tous les moyens à attirer les étrangers, notamment à travers la création de programmes pour la plupart scientifiques entièrement en anglais dans les universités, certains considèrent qu’il s’agit tout bonnement d’une aberration.

Comment pourrait-on espérer que des étrangers viennent travailler au Japon, et aider, par exemple à internationaliser les entreprises nippones dont les employés parlent mal anglais, s’il ne leur est offert aucune compensation en cas de difficulté financière ?

Hisao Seto, l’avocat de la plaignante, s’adresse aux journalistes à Tokyo après que la Cour Suprême a statué que les étrangers, même s’ils sont résidents permanents, sont inéligible aux aides sociales. Crédit Japan Times
Hisao Seto, l’avocat de la plaignante, s’adresse aux journalistes à Tokyo après que la Cour Suprême a statué que les étrangers, même s’ils sont résidents permanents, sont inéligible aux aides sociales. Crédit Japan Times
Le Japon, que l’on dit déjà peu ouvert aux étrangers du fait de son insularité, porte encore un coup à sa propre réputation. Qui plus est, selon le Japan Times, les premières victimes de cette décision seront les Coréens qui ont été amenés de force au Japon avant et pendant la Seconde Guerre mondiale après l’annexion de la péninsule coréenne en 1910. Certains d’entre eux vivent toujours sans toucher de retraite, puisqu’ils n’ont pas pu travailler les 25 années minimum requises, avant que la clause de nationalité ne soit retirée de la loi sur les retraites en 1982. 

Les citoyens des pays de l’Indochine, mais aussi du Brésil, nombreux à venir travailler au Japon dans l’espoir d’une vie meilleure, en souffriront également. Après le scandale soulevé par les déclarations de Shinzo Abe concernant les femmes de confort coréennes et sa visite au sanctuaire de Yasukuni, voilà une publicité dont les nippons se seraient bien passés.

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