Bande de terre montagneuse, l'Azerbaïdjan est bordé à l'est par la mer Caspienne, et est limitrophe avec la Géorgie et la Russie au Nord, l'Iran au Sud et l'Arménie au Sud-Ouest. A cela s’ajoutent des centaines d’ethnies, des dizaines de confessions religieuses et un sous-sol extrêmement riche. Voilà les ingrédients d’une potion au fort potentiel explosif. Le Caucase fait la Une de l’actualité lorsqu’un nouveau drame vient le remettre au centre de la carte médiatique. Terrorisme, menaces de conflit armé, revendications territoriales et pressions dans le secteur de l’énergie sont les seules nouvelles qui transpirent de la région. Explications…
Les ressources énergétiques au cœur du « Grand Jeu »
Popularisée par l’écrivain Rudyard Kipling, l’expression « le Grand Jeu » désignait la rivalité entre la Grande-Bretagne et la Russie sur la question des Indes. Plus d’un siècle après, « le Grand Jeu » reprend forme, cette fois-ci, dans la région du Caucase. La Russie est toujours un acteur principal, mais elle a été rejointe par l’Iran, la Turquie et même les États-Unis qui s’ils ne sont pas proches géographiquement ne perdent pas une occasion d’avancer leurs pions dans cette région clé.
Si les intérêts sont aussi nombreux et donc forcément opposés, c’est parce que les ressources énergétiques sont présentes en abondance. Dans le sous-sol et aussi dans les pipelines qui vont de la mer Caspienne à la mer Noire pour rejoindre l’Europe. Le Caucase est une plaque tournante de l’énergie mondiale et la contrôler c’est s’assurer une position de force sur l’échiquier mondial.
En tant qu’ancienne puissance tutélaire dans la région, la Russie reste très présente et joue, comme en Ukraine, sur sa puissance gazière pour peser sur les décisions des anciennes républiques soviétiques. Cela se vérifie particulièrement en Arménie qui importe 100 % de ses besoins en gaz naturel de Russie. Cette situation ne plaît guère à la population arménienne qui voit en plus l’ensemble du réseau de distribution du pays être entre les mains de Gazprom. Deux cent quatre-vingt-neuf dollars les mille mètres cubes, c’est un prix d’ami fait par la Russie, mais les Arméniens savent que le vent peut tourner rapidement et voir des tarifs flirter avec les cinq cents dollars les mille mètres cubes (comme en Ukraine depuis quelques jours) est source d’inquiétudes si des tensions politiques importantes venaient à voir le jour.
C’est là qu’entre en scène un autre acteur régional : l’Iran. Situé au sud du Caucase, l’Iran ne souhaite pas être mis hors jeu et joue aussi sur le gaz pour concurrencer la Russie, son allié dans bien des dossiers (accès au nucléaire, Syrie, etc.). L’Iran pourrait parvenir à un accord pour vendre son gaz naturel à l’Arménie et la rencontre entre les officiels des deux pays en mai prochain devrait donner une nouvelle visibilité dans ce dossier. Gaz iranien, gaz russe, et réaction américaine car dans tout ce jeu complexe, déplacer un élément transforme l’ensemble du puzzle. Quelle serait la réaction des États-Unis si l’Iran parvenait à empiéter sur l’influence russe ? Impossible de le dire en l’état actuel des choses tant les relations entre Washington et Moscou se tendent alors que le dialogue irano-américain prend forme, mais reste extrêmement fragile.
L’équilibre comme seule solution
Dans le Caucase, les forces armées et la menace de leur déploiement font partie des règles du jeu. Les pays de la région sont en quête d’indépendance, mais doivent chercher la protection des grandes puissances. On retrouve ainsi une importante base militaire russe dans la ville arménienne de Gyumri, laquelle n’a pas qu’un rôle symbolique. La Russie s’est portée garante des frontières arméniennes et un accord en ce sens court jusqu’en 2059. Une position qui inspire la méfiance de la Turquie, grande alliée de Washington et membre de l’OTAN ainsi que de l’Azerbaïdjan dont 20% de son territoire se trouve toujours sous l'occupation de l'Arménie.
Pour autant, l’Azerbaïdjan a réussi à maintenir un certain équilibre entre toutes les puissances qui souhaitent le faire entrer dans son orbite. Cela s’explique notamment par une économie forte et en plein développement tirée par la production de gaz et de pétrole. La capitale, Bakou, au bord de la mer Caspienne a connu un développement spectaculaire sur le mode européen, le ciel et la mer bleus en prime. Les revenus dégagés par l’exploitation du sous-sol sont remis au service de l’économie et évitent ainsi les erreurs des premiers Etats pétroliers dont la gestion des pétrodollars n’avait que peu de sens économiquement.
Reste que l’Azerbaïdjan doit aussi faire attention à respecter les équilibres fragiles de la région et mène une politique subtile pour ne pas froisser les uns et les autres. On dit Bakou plutôt proche des États-Unis et d’Israël depuis quelque temps au grand dam de l’Iran qui voit dans ce rapprochement une menace directe contre ses intérêts. Mais l’Azerbaïdjan prend aussi soin de ne pas mettre à mal ses bonnes relations avec la Russie et sait quelles sont les marges de manœuvre tolérées. Son voisin géorgien s’est cru invulnérable en 2008 et en a payé le prix avec l’invasion de l’Ossétie du Sud par les troupes russes. La Géorgie a, depuis, mis ses projets de rejoindre l’OTAN en sourdine et un nouveau nœud s’est formé autour de l’avenir de l’Ossétie du Sud.
Le Caucase est donc un objet géopolitique à prendre avec des pincettes et bien des conflits (pas tous exposés ici) ont un fort potentiel à risque. Les prises de position sont toujours l’objet de pressions a priori et a posteriori et la meilleure attitude à adopter est peut-être celle de l’équilibre dont l’Azerbaïdjan s’est fait le champion. François Hollande commence d'ailleurs sa visite officielle dans la région en mai par ce pays hautement stratégique pour la France.
Les développements spectaculaires en Ukraine sont aujourd’hui analysés avec attention par tous les acteurs du Caucase car les intervenants sont presque tous les mêmes et les enjeux très similaires. « Nouveau Grand Jeu » ou « poudrière » comme fut surnommée la région des Balkans, le Caucase est au centre de toutes les attentions des chancelleries.