Selon le Code civil québécois, la transidentité n’est reconnue qu’aux personnes ayant recours à un traitement hormonal et chirurgical. Bon nombre d’associations contestent cette manière de concevoir la transidentité comme une transformation seulement hormonale et chirurgicale. Cette définition légale de la transidentité ne prend donc en compte que le corps transformé et non le ressenti des individus. Selon ces associations, ce ne serait pas à une autorité administrative qu’appartiendrait le droit de décréter une seule et unique manière de penser son corps et son identité.
Ainsi, depuis le 5 mai 2014, le Centre de lutte contre l’oppression des genres – groupe de défense des personnes transgenres affilié à Concordia University – poursuit le gouvernement québécois pour que le changement de désignation sexuelle ne passe pas nécessairement par la chirurgie. À l’automne 2013, l’Assemblée nationale du Québec a adopté un projet de loi pour permettre aux personnes de changer leur désignation sexuelle sans avoir à subir nécessairement d’interventions chirurgicales. Au Québec, les personnes transgenres doivent désormais faire preuve de s’assimiler au genre qu’ils veulent devenir pendant deux ans. Cette assimilation passe par l’habillement, la présentation, sept jours sur sept, même au travail.
Il faut également qu’une personne puisse attester de ce changement. Or il s’agit d’un changement radical, sans aucune transition. Pour Yannick Fornacciari, cette loi de 2014 « ne prend pas en compte la discrimination et l’intimidation qui sont beaucoup plus importants pendant la période de transition ». Rappelons-le, le taux de suicide chez les personnes transgenres s’élève à 40 % en moyenne. Yannick Fornacciari pose alors la question suivante : « On est en droit de se demander si l’archétype du "transsexuel" n’est pas un des derniers tabous de nos sociétés modernes. L’absence de représentation, que ce soit dans les médias, la politique ou le milieu artistique, pousse la société à penser la transsexualité comme une culture souterraine. »
« Aujourd’hui encore, ce qu’on appelle la « dysphorie du genre » reste un diagnostic psychiatrique, et selon le DSM-V il qualifie un trouble de la santé mentale. L’obtention de ce diagnostic reste pourtant le seul et unique moyen d’obtenir une prise en charge par le régime de sécurité sociale des opérations ou traitements hormonaux » selon Yannick Fornacciari. Depuis 1996, 249 personnes ont fait une demande de changement de la mention de sexe dans les registres civils québécois. On dénombre depuis 2010, 108 patients québécois ayant subi une opération de changement de sexe, dont 93 femmes et 15 hommes. Si les femmes sont donc majoritaires dans les demandes de réassignation sexuelle, elles demeurent occultées toutefois par les médias. En 2013, l’Allemagne est devenu le premier pays à autoriser les nouveaux parents de laisser la case « genre » vide pour le nouvel enfant.
Yannick Fornacciari, photographe des marginaux
Le travail du photographe Yannick Fornacciari relève du documentaire, tentant de transcrire en image un sujet qui évolue encore dans les mentalités contemporaines. L’argentique et le noir et blanc sont ses principaux outils de travail pour cet autodidacte venu du Sud de la France qui s’est établi au Québec depuis maintenant trois ans. Diplômé d’un master de psychologie clinique et psychanalyse, il s’est orienté très tôt vers l’art visuel, et plus particulièrement vers la photographie. « La photographie et la psychologie sont deux vecteurs par lesquels on peut avoir un accès à l’autre, deux merveilleux outils de connaissances et d’exploration de ce qu’est l’être humain. »
À travers ses portraits, Yannick Fornacciari cherche à comprendre et interroger l’identité sexuelle, l’identité culturelle et toutes les souffrances qui en sont sous-tendues (l’angoisse, l’inconscient et le refoulé). Ses études influencent grandement son travail de photographe, car le portrait est pour lui une façon de porter un regard sur ses sujets, en gardant un aspect très sociologique : « mon travail se consacre depuis longtemps aux questions de genre et focalise sur le thème de la marginalité. Des sujets qui sont en position de révolte, qui sont en quête de liberté, d’affirmation et d’identité. Débarrassés des conventions d’un système qui les ostracisent, ils créent de nouveaux codes. Mon ambition est d’apporter un éclairage différent, sensible et intime de la réalité des personnes transgenres. J’ai voulu utiliser une tribune, un parti-pris, pour exposer une réalité méconnue du grand public, souvent mal interprétée. »
Ces séries de photographies présentent un grand nombre de FTM (Female to Male). Pour Yannick Fornacciari, la photographie est un moyen de revoir les normes sociales, que ce soit des normes de beauté ou de genre. Ce photographe, qui travaille avec le groupe féministe FEMEN, cherche entre autres à briser les codes normés véhiculés par les médias, contribuant ainsi à donner peau neuve au féminisme : « Nous vivons dans des sociétés où l’image des femmes est constamment prise en otage, par le marché et par le patriarcat. Et c’est ça que je trouve intéressant justement chez les FEMEN, elles créent de nouvelles images. Alors à mon niveau, j’essaie de suivre ce modèle, en utilisant la photographie. »
Yannick Fornacciari fait également le portrait des féministes de FEMEN et de leurs actions depuis trois ans maintenant. Il dépeint avec brio ce nouveau combat des féministes qui peine à trouver une base solide au Québec. A travers ses portraits en noir et blanc, Yannick Fornacciari dévoile tous les codes sociaux discriminants et permet par là même de mettre à l’honneur des individus marginalisés par la société et les médias.
Yannick Fornacciari pense ainsi le genre non seulement comme socialement construit, mais plus encore comme se référant « aux différences sociales, psychologiques, mentales, économiques, politiques… Ces différences, qui sont selon moi des stéréotypes projetés sur les individus selon le rôle que la société attend d'eux, aliènent hommes et femmes à plusieurs niveaux. Il est intéressant de voir que lorsque l'on ne respecte pas ces normes, ou qu'on ne s'y reconnaît pas, le système se charge de vous marginaliser. » C’est ainsi que lui est venue l’idée de porter son regard de photographe sur les personnes transgenres, une minorité sexuelle et genrée sous-représentée.
Débutée en novembre 2014, sa nouvelle série sur les personnes transgenres se veut sortir des clichés et des représentations stéréotypées : « Je veux sortir de cet aspect voyeur où l’on ne voit que le corps en transformation pour rentrer dans le sujet, l’humain. Je m’attache à faire le portrait d’une personne et non d’un corps. » Une dizaine de personnes ont donc été photographiées par le photographe montréalais. Ces sujets ont été trouvés sur des sites internet ainsi qu’auprès de groupes de parole présents sur Facebook : « Je trouve que c'est une façon intéressante d’intégrer un sujet d'investigation. Parce que ce sont les personnes qui viennent à moi, et puis ça permet d'assimiler des choses. »
Tous n’en étaient pas au même stade de la transition, certains n’avaient recours qu’à des hormones. Chaque portrait est suivi d’un court texte écrit par les sujets photographiés eux-mêmes. Il s’agit de journaux, de récits ou d’anecdotes : « J’ai voulu les laisser libres de choisir leur texte, ce n’est pas à moi de parler. Je leur donne un endroit où s’exprimer. » Tous ces sujets interrogés par Yannick Fornacciari ont évoqué leur désir de visibilité. Pour Yannick Fornacciari, cette série est une manière de montrer la réalité, celle qui n’est pas représentée par les politiques, le cinéma et les médias : « La politique ne fait que s’interroger sur les personnes transgenres et leur rapport à la loi et au changement de statut civil. » À travers ces portraits, Yannick Fornacciari parvient à mettre en exergue des individus à qui l’on brime la parole, et à les présenter dans toute leur humanité.
L'ensemble du travail de Yannick Fornacciari est sur son Tumblr.