Le « binge tourism », ainsi dénommé en 2004 par le ministre de l’Intérieur catalan de l’époque, consiste à visiter un pays d’une façon particulière : pour un forfait à bas prix, certains organismes mettent à la disposition des clients un certain nombre de bars et de discothèques. L’Espagne, et surtout la Catalogne, est très prisée à ce niveau, en raison, d’une part, d’un climat accueillant, mais aussi de prix avantageux comparés à ceux de leur pays d’origine pour les Français, les Britanniques et les Allemands, premiers consommateurs de « binge tourism » en Espagne. Dans les lieux les plus prisés, les pubs aux noms anglais se sont multipliés afin d’attirer encore plus de jeunes, et pour leur éviter un trop grand dépaysement. Tous les panneaux sont en anglais dans les environs. C'est d'ailleurs la langue qu'on y entend le plus.
Depuis 2011, les nombreux règlements de compte dûs à l’alcool et les cas de « balconing », autrement dit se jeter dans la piscine de l’hôtel depuis le balcon, ont non seulement amené les habitants à protester, comme à Barcelone, mais aussi les autorités à réagir. À Lloret del Mar par exemple, une discothèque a été fermée à la suite de nombreuses altercations qui ont notamment causé la mort, en juillet 2011, d’un Britannique de 15 ans, poignardé alors qu’il tentait de mettre fin à une altercation entre plusieurs Français. Des mesures visant à limiter la vente d’alcool ont aussi été prises, mais ces décisions sont remises en cause par les commerçants, qui insistent sur le fait que tous ne se comportent pas aussi mal. Certains viennent même en famille. Les profits de l’été permettent aux vendeurs et aux barmans de vivre toute l’année. Ceux-ci redoutent une baisse du nombre de touristes.
Mais les inconvénients, outre les problèmes d’insécurité et le désagrément causé pour le voisinage, se font déjà sentir depuis un moment. Les hôtels de luxe n’attirent plus autant, la région d’Alicante a perdu une demi-douzaine de ses hôtels cinq étoiles les plus emblématiques entre 2009 et 2011. Le manque de tenue de ces Européens à la recherche d’ivresse à bas prix fait fuir les autres touristes, ce qui a amené le maire de Majorque à une nouvelle tactique : la consommation d’alcool deviendra interdite vingt-quatre heures sur vingt-quatre. De nouveaux complexes hôteliers et restaurants chics y seront ouverts. L'objectif est d’attirer une clientèle différente, plus respectueuse mais aussi plus à même de dépenser, et donc d’enrichir l’île.
Le « tourisme de cuite » se déplace vers l’Est
Le phénomène de « tourisme de cuite » n’est pas spécifique à l’Espagne : en effet, l’Italie a elle aussi subi ses ravages, Rome plus particulièrement. Mais face à une législation de plus en plus stricte et à des prix en hausse, les adeptes du « binge tourism » ont fini par se tourner vers de nouvelles contrées : les pays de l’Est, où les prix sont dérisoires. On fait tout pour allécher cette nouvelle clientèle qui attire l’attention sur des membres de l’Union européenne encore relativement récents. C’est donc à Tallin, à Riga et à Budapest que les « pubs crawlings », des tournées de bars organisées à bas prix, attirent désormais. Surtout après la vague qui a déferlé sur Prague, où les prix ont considérablement augmenté entre-temps et ont poussé les partisans de la bière bon marché à aller encore plus loin.
Curieusement, parmi les clients, se trouvent des citoyens auxquels on n’aurait peut-être pas songé : les Scandinaves, les Suédois, mais aussi les Finlandais. Dû aux taxes très lourdes imposées par leurs pays dans le but de limiter la consommation d’alcool, ce genre de tourisme est devenu très populaire pour les Nordiques dans ces régions également. Même si leur réputation n’a pas encore atteint celle des Britanniques, elle n’est pas très bonne dans ces capitales est-européennes nouvellement en vogue. Il faut dire que le comportement des jeunes Britanniques à l’étranger est si mal perçu que, même à Amsterdam, des cautions spécifiques leur sont demandées. Ils doivent signer des formulaires supplémentaires les engageant à rembourser tout matériel endommagé, comme le montre le site d'une auberge de jeunesse.
Toujours est-il que, malgré la situation économique difficile et le poids important du tourisme dans son PIB, l’Espagne semble déterminée à mettre fin au tourisme de l’alcool. Le développement des vols low-cost a déplacé cette forme de tourisme vers l’Europe de l’Est. On peut toutefois se demander pour combien de temps, et quelle sera la prochaine destination de ses adeptes.