Vue du mont Sulur, au nord de l'Islande (Crédits Photos Anthony Manzi)
Le 20 mars 2013, le journal allemand de Francfort Frankfurter Allgemeine Zeitung déclarait que plus aucun milliardaire ne résidait en Islande. Cette information résonne comme un échec au travers d'un bon nombre de médias, qui expriment leur crainte pour ce pays qui a pourtant su se relever de façon presque miraculeuse de la crise financière de 2008. Est-ce le symbole d'une puissance économique en déclin ? Comment le peuple et le gouvernement islandais doivent-ils réagir ? Giorgio Baruchello, professeur de sciences sociales et humaines, et d’économie à l'Université d'Akureyri depuis 2003, nous éclaire sur la situation de son pays d'adoption et sur cette inquiétude particulière.
Dans un premier temps, il semble important de relativiser la situation de ces ex-milliardaires que certains annoncent comme démunis. « Même si les statistiques montrent qu'il n'y a plus de milliardaires en Islande, cela ne veut pas forcément dire qu'ils ont perdu leurs fortunes. Cela peut aussi vouloir dire que leurs fonds ont changé de formes et sont devenus étrangers par biais d'exode de leurs investissements. Techniquement, il faut aussi se rappeler que même si ces personnes ne sont plus milliardaires, il ne faut pas imaginer que ceux-ci sont subitement devenus pauvres.»
Dans un premier temps, il semble important de relativiser la situation de ces ex-milliardaires que certains annoncent comme démunis. « Même si les statistiques montrent qu'il n'y a plus de milliardaires en Islande, cela ne veut pas forcément dire qu'ils ont perdu leurs fortunes. Cela peut aussi vouloir dire que leurs fonds ont changé de formes et sont devenus étrangers par biais d'exode de leurs investissements. Techniquement, il faut aussi se rappeler que même si ces personnes ne sont plus milliardaires, il ne faut pas imaginer que ceux-ci sont subitement devenus pauvres.»
L’Islande et ses fortunés
Dans ce cas, comment expliquer que le destin, loin d'être tragique, d'une poignée d'hommes, les plus puissants économiquement parlant, attire la curiosité et le tourment de la population locale et de ses médias ? Cela serait le résultat d'une image de la richesse créée et perpétuée depuis désormais des années au sein de la société islandaise. « Progressivement, à travers les années 90, le processus de libéralisation de l'économie islandaise conduite par Davíð Oddsson, le plus influent leader du Parti de l'Indépendance (ndlr : parti conservateur islandais) a créé de nouvelles opportunités économiques et le pays a vu la naissance de nouveaux riches qui ont su saisir ces occasions. De nouvelles idéologies sont alors apparues au sein de la société. Certaines de ces idées ont été répandues délibérément par les idéologues de ce parti politique et on peut aujourd'hui constater les conséquences de cet acte dans l'Islande actuelle. En effet, malgré la crise économique, certaines notions comme le désir d'avoir un petit pourcentage d'extra-riches qui puissent servir de stimulant pour les jeunes entrepreneurs du pays, mais aussi l'envie d'avoir une société inégale qui indique à la population que le marché économique est actif et performant parce qu'il récompense le mérite et punit l'incompétence. »
L'attrait de l’extrême richesse et la bonne image des puissances économiques du pays au sein de la société islandaise seraient donc la responsabilité des leaders politiques des années 90, mais aussi des médias, véhiculant ces mêmes idéologies et plaçant les citoyens les plus fortunés sur un piédestal. Cela peut donc expliquer le fait que la population est loin de se réjouir de la situation actuelle des plus aisés.
L'attrait de l’extrême richesse et la bonne image des puissances économiques du pays au sein de la société islandaise seraient donc la responsabilité des leaders politiques des années 90, mais aussi des médias, véhiculant ces mêmes idéologies et plaçant les citoyens les plus fortunés sur un piédestal. Cela peut donc expliquer le fait que la population est loin de se réjouir de la situation actuelle des plus aisés.
Dispensables milliardaires
Giorgio Baruchello
Pourtant, on est en droit de se demander si un pays comme l'Islande a vraiment un besoin primordial d'avoir dans ses rangs des milliardaires. L'état de santé économique de cette île isolée du nord est-elle réellement dépendante de ce micro-groupe ? « Un pays n'a pas besoin de milliardaires pour son bon fonctionnement. En effet, on peut considérer leur présence au sein d'une société comme étant une indication d'inégalités de partage des richesses. Dans les faits, nous pouvons même constater que les pays ayant connu une augmentation du nombre de milliardaires ont également vu augmenter les disparités entre les classes sociales. Cela a été le cas avec la Russie post-communiste, avec le Mexique post-ALENA (ndlr: Accord de libre-échange nord-américain), mais aussi avec les deux pays les plus inégaux en Europe, le Royaume-Uni et l'Italie. (…) En Islande, le PIB continue d'augmenter, le taux de chômage reste très bas, les systèmes de santé et d'éducation sont très performants, l’espérance de vie n'a pas décliné, le taux de mortalité infantile n'a pas augmenté, tout comme la malnutrition tandis que d'autres pays en Europe ne connaissent pas le même destin. Donc si ces indicateurs sont positifs, pourquoi faudrait-il s'inquiéter de ne plus avoir de milliardaires ? »
Un avenir lié aux élections
Concernant l'avenir, afin de savoir si l'Islande sera un jour de nouveau une terre d'accueil pour les milliardaires, il est difficile de faire une prédiction. Nul doute cependant que les élections législatives, ce printemps, auront une influence majeure sur le futur. En effet, le parti de l'Indépendance, à la tête du pays lorsque celui-ci a sombré dans la crise, pourrait bien reprendre le pouvoir sous la pression des plus influents de la société, mécontents du traitement des plus riches sous le pouvoir du parti de l'Alliance, identifié centre-gauche, dirigé par la Première ministre Jóhanna Sigurðardóttir. Même si ce parti a sorti le pays de la crise, l'augmentation des impôts progressifs n'a pas fait l’unanimité au sein de l'élite islandaise.
Si l'état actuel des plus riches pourrait donc changer dans les mois à venir, il n'y a pour l'instant pas de raison de s'inquiéter de l'état de santé de l'Islande, se relevant avec succès de son effondrement en 2008. Le bon fonctionnement de sa société et sa quasi absence de pauvreté prouvent que la disparition de son tout dernier milliardaire n'affecte en rien la population de ce pays, et que cette agitation médiatique et populaire n'a finalement pas vraiment lieu d'être.
Si l'état actuel des plus riches pourrait donc changer dans les mois à venir, il n'y a pour l'instant pas de raison de s'inquiéter de l'état de santé de l'Islande, se relevant avec succès de son effondrement en 2008. Le bon fonctionnement de sa société et sa quasi absence de pauvreté prouvent que la disparition de son tout dernier milliardaire n'affecte en rien la population de ce pays, et que cette agitation médiatique et populaire n'a finalement pas vraiment lieu d'être.