La fin d'une ère pour l'engagement américain en Asie centrale ?

La rédaction de Francekoul.com
22 Juillet 2014



Depuis le 1er juillet 2014, la base militaire américaine de Manas près de Bichkek, la capitale du Kirghizstan, est officiellement fermée. Après treize années de ravitaillement et de transport de troupes vers l’Afghanistan, c’est une page qui se tourne pour la politique étrangère américaine, de même que pour la politique intérieure de l’ancienne république soviétique.


Crédit AFP PHOTO / VYACHESLAV OSELEDKO
Crédit AFP PHOTO / VYACHESLAV OSELEDKO
C'est en décembre 2001, quelques mois après le 11 septembre, que les premiers soldats américains s'installent en Asie centrale, dans un contexte de guerre contre le terrorisme nouvellement proclamée. L’arrivée de cette hyperpuissance militaire bénéficie alors de l'accord tacite du président russe Vladimir Poutine, alors que la Russie se montre solidaire des États-Unis endeuillés.

L'ancien président kirghizstanais, Askar Akaïev, fixe alors à deux millions de dollars par an le prix du loyer pour une partie de l’aéroport de la capitale construit dans les années 1980. Un prix bas pour une implantation de l’ancien ennemi impérialiste dans un pays où la statue de Lénine trônait encore sur la place centrale. La plus grande partie du paiement américain se fait par les contrats d’approvisionnement en kérosène pour les avions américains. Sur l'ensemble des treize années d'existence de la base, ceux-ci atteignent plus de 2 milliards de dollars pour le compte de l'État kirghizstanais, ou plutôt des familles/clans des deux premiers présidents du pays, tous deux renversés par des révolutions. 

Une base contestée

Mais la présence américaine au cœur de la région suscite rapidement des réticences. Dès 2005, alors que la contestation de l'intervention en Irak émerge avec force, les États membres de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), regroupant le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, la Russie et la Chine, signent une déclaration commune demandant aux Américains et à leurs alliés en Afghanistan de préciser la date de fermeture de leurs bases en Asie centrale. Mais la révolution dite « des tulipes », qui renverse le président Akaïev au printemps 2005, porte au pouvoir des personnalités proches des États-Unis.

En 2009, contre l'avis de Moscou, le nouveau président Kourmanbek Bakiev renégocie la location de la base mais une révolution violente met un terme à son mandat en 2010. Les nouveaux dirigeants refusent à leur tour de renouveler le contrat de location de la base, qui s'achève ainsi définitivement en juillet 2014.

Devant cette trame d’intrigue géopolitique, plusieurs affaires impliquant des soldats américains de la base ont animé la vie politique kirghizstanaise. En septembre 2006, une majore de l’armée américaine affirme avoir été enlevée pendant trois jours à Bichkek. Les autorités kirghizstanaises critiquent sa version des faits en pointant les incohérences de son récit. La seconde est plus grave encore : en décembre 2006, un soldat de la police militaire ouvre le feu sur un citoyen kirghizstanais, car celui-ci aurait menacé de l’attaquer avec son couteau. Cette affaire vire rapidement en incident diplomatique et prend de l'ampleur dans la vie politique kirghizstanaise ; le soldat en question, bénéficiant d'une protection diplomatique, n'a pas été jugé au Kirghizstan.

L'image dégradée des États-Unis au Kirghizstan

Au-delà des sommes engagées par les Américains pour le maintien de la base, les États-Unis ont largement contribué à la création d'un « protectorat globalisé », selon les termes du chercheur Boris Petric. Le Kirghizstan serait ainsi dépendant des « grants », subventions en tout genre visant à créer une « société civile » à travers de nombreuses ONG dans tous les domaines. Entre 1992 et 2010, les États-Unis ont dépensé plus de 1 milliard et 22 millions de dollars en aide pour le Kirghizstan.

Les médias, administrations et la société civile kirghizstanais comportent un important réseau favorable aux idées et à la politique étrangère américaine. Toutefois, les États-Unis sont vivement critiqués au sein de la population. C'est surtout après 2005 et les débuts de la contestation russe que ces dernières voix se sont fait entendre.

Les affaires impliquant des soldats américains de la base contribuent ainsi à la mauvaise image de la base et des Américains. Ils trouvent notamment un écho important dans les médias russes encore majoritairement regardés par la population. Ce traitement critique par les médias russes s’intensifie avec le temps, et en arrive même à relayer des thèses proches de théories du complot, selon lesquelles la CIA dirigerait le monde. En octobre 2013, certains affirment que le retrait américain n'est qu'un simulacre : la base de Manas serait remplacée par un système d’écoute ‘Echelon’. D'autre part, la rénovation de l’ambassade américaine de Bichkek servirait à abriter une cellule de la CIA, transférant  simplement les effectifs de la base de Manas vers le sous-sol de l’ambassade.

L’image des États-Unis s’est ainsi rapidement effritée au cours de leur présence militaire prolongée sur le territoire kirghizstanais et de la politique étrangère hasardeuse de l'ère Bush d'une part, et sous l'influence des médias russes d'autre part. 

Quel est donc le bilan de la présence américaine en Asie centrale ? C'est un goût d'inachevé qui prédomine : les pays centre-asiatiques, dont les régimes autoritaires ont été largement soutenus par Washington pour garantir leur indépendance de Moscou, finissent malgré tout par se rapprocher de l’Union douanière et de l’Union économique eurasiatique.

Tandis que le Kirghizstan met fin à la présence américaine, le Tadjikistan condamne actuellement les espions et traîtres agissant dans les ONG soutenues de l’étranger (soit des États-Unis et de l'Europe). Les deux pays ont également annoncé leur rapprochement de l’Union douanière, autour de la Russie. L'Ouzbékistan offre peut-être un exutoire pour les États-Unis : les événements d'Andijan (2005), dont la condamnation avait provoqué la fin de la base américaine, semblent digérés et la succession du président Islom Karimov semble se précipiter. Ainsi, en mai de cette année, l'OTAN a ouvert un nouveau bureau à Tachkent, la capitale de l'Ouzbékistan, alors que le partenariat avec le pays se remet doucement en marche depuis 2008. Toutefois, ces mouvements ne restent pas ignorés des médias russes, où l'on peut lire : « Les États-Unis organisent-ils un coup d'État à Tachkent ? »

Article publié à l'origine sur Francekoul.com 

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