La Tortue Rouge, un film entre Orient et Occident qui laisse sans voix

Jordan Decorbez
12 Juillet 2016



La Tortue rouge est un film réalisé et écrit par le Belge Michael Dudok de Wit, un réalisateur de courts et moyens métrages d’animation, avec à la direction artistique le studio Ghibli. En l’absence d’acteurs et de doubleurs, on signalera le compositeur Laurent Perez Del Mar, qui a travaillé pour des films d’animation (par exemple Pourquoi j’ai pas mangé mon père, ou Zarafa) ou en prise de vue réelle (avec Maintenant ou jamais ou Désordres).


Crédit DR.
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Le scénario consiste, dans ses grandes lignes, à la survie d’un homme livré à lui-même sur une île déserte. Mais le résumer à une énième itération de Robinson Crusoé serait simpliste et malhonnête tant le film ambitionne d’être un poème sur pellicule plutôt qu’un roman d’aventure.

Une réflexion sur la communication

L’une des premières choses qui sautera aux yeux – ou plutôt aux oreilles – du spectateur est qu’aucune réplique, aucune phrase, aucun mot n’est employé dans l’œuvre. Nous débarquons en effet dans le film, dans le déchaînement d’un océan, dont les remous perdent sans arrêt notre personnage principal masculin, sans nom. Rapidement, le personnage cède aux flots, et s’éveille sur une plage déserte, doucement réveillé par le mouvement d’un crabe. Et là commence l’enchaînement des réflexes de survie, un topo qui n’a pour but que de délivrer le spectateur de questions trop concrètes (Que mange-t-il ? Que fait-il pour survivre ?). Rapidement, après une exploration fouillée de la petite île qui accueille en son sein plage, falaises, forêt tropicale et bambouseraie, un mécanisme de survie supplémentaire se déclenche : la volonté de fuir l’île.

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Tout cela est clair pour le spectateur : en vingt minutes, on comprend le caractère du personnage, ses limites, la puissance de sa volonté. On comprend aussi sa relation d’opposition avec la nature : il est le mouvement dans l’immobile, il est l’animation numérique dans des décors au fusain, il est la voix, le cri qui jure avec la nature ; il est le personnage minuscule noyé en permanence dans le cadre. Il est, en somme, l’homme qui n’arrivera pas à communiquer avec les éléments, qui le lui rendront bien en faisant avorter toutes ses tentatives d’évasion.

Une volonté de communion

À la fin de la première moitié du film pourtant, suite à un événement déclencheur qu’il serait dommage de dévoiler, un nouveau personnage, féminin, apparaît et offre des échanges plus clairs, moins fous, étrangement plus réels. Nous sommes en permanence coincés dans un lieu entre le réel et la fable, une zone brumeuse qui emprunte à la fois au rêve et à la folie.

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Cette communion, cette résignation en somme entre l’homme et la nature, passe par une définition de ce qui fait l’homme (la survie, à n’importe quel coût, qui va nuancer la bienveillance, la charité, la pureté) et la nature (qui offre les moyens de la vie, jamais totalement morale ou immorale puisqu’amorale).

L’ennemi d’hier, l’ambiance globalement sombre (bien que nuancée par des moments d’insouciance apportés par quelques crabes destinés à relâcher la tension) devient une raison de vivre. L’harmonie, qui était demandée par la nature, qui était visiblement nécessaire, est enfin souhaitée par l’homme. Et cette harmonie passe par l’image, par l’animation (entre numérique et traditionnelle pour la nature, avec par exemple les mouvements animaux, ou les mouvements d’eau), par les sons bruts, et par les musiques qui servent de dialogues, qui parlent autant aux personnages de l’œuvre qu’au spectateur.

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Plus que ça, le film lui-même dans sa conception est une volonté d’harmonie : c’est une demande du studio japonais Ghibli (connu pour les films d’Hayao Miyazaki) faite au réalisateur belge Dudok de Wit. On y retrouve les forces de deux cultures : des scènes naturelles japonaises qui font penser aux œuvres d’Hokusai, et le style de dessin belge qui semble caractériser le personnage principal du film tant il semble difficile de ne pas voir une sorte d’hommage au trait de crayon d’Hergé dans les personnages.

Faut-il aller le voir ?

Oui. Écrire sur ce film est une chose difficile : sur 1h20, cet article essaie de ne pas dépasser l’évocation de vingt minutes du long-métrage. Si vous acceptez d’être touché au plus profond de vous-même, si l’abstrait ne vous effraie pas, ce film est à voir absolument et plus particulièrement si vous avez été sensible à la réalisation de Mamoru Hosoda, réalisateur de Summer Wars, Les enfants loups Ame & Yuki ou Le Garçon et la Bête.

C’est un poème sur l’acceptation de ce que l’on est, sur la nécessité et le souhait d’une harmonie, sur la découverte de ce que l’on souhaite vivement. Mettre plus de mots sur cette œuvre reviendrait soit à en briser la magie, soit à pousser les personnes qui voudraient le voir à l’interpréter avant le début même de la projection. 

Article reproduit avec l'autorisation de l'Envolée Culturelle .

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