La Suisse fait un pas vers l’isolement

Sara Murray
10 Février 2014



Hier, dimanche 9 février 2014, les Suisses ont tranché sur la question de « l’immigration de masse ». Avec une faible majorité, le peuple helvétique accepte l’initiative lancée par la droite, l’UDC. Les conséquences pour le pays sont majeures. Les accords avec l’Union européenne sont en danger.


© AFP
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Avec 50,34 % de « oui », les Suisses ont accepté l’initiative « Contre l’immigration de masse » proposée par le parti de l’Union Démocratique du Centre (UDC). Tant de questions se posent à l’heure où la Suisse s’est définitivement enfermée dans sa bulle. Cette fois, elle semble avoir avalé la clé.

Présenté au peuple suisse au début 2014, le projet conservateur cherche à redonner le pouvoir exclusif aux autorités suisses en ce qui concerne l’afflux d’immigrants dans le pays. Le but est d’instaurer des plafonds annuels. Voilà l’explication simple d’une initiative très lourde en conséquence issue d’un parti qui s’obstine à repousser les effets de la globalisation. Après l’initiative contre la construction des minarets en 2009 et celle pour l’expulsion des criminels étrangers en 2010 - toutes deux acceptées - l’UDC remporte une nouvelle fois la victoire. Cette fois, elle doit faire face à beaucoup plus que de simples critiques.

Le texte vise à diminuer l’entrée d’étrangers en Suisse, peu importe l’origine et le contexte. Criant à la surexploitation du territoire et à l’abus du regroupement familial, le parti d’extrême droite veut que les autorités suisses soit les seules autorisées à se prononcer sur les arrivées dans le pays, et non les accords de l’Union européenne. Le parti est confiant dans ses déclarations en dénonçant les immigrations « démesurée » et incontrôlables. La Suisse doit retrouver sa souveraineté en matière d’immigration, peu importe le coût.

Avec un seuil migratoire stable aux alentours de 20 %, la Suisse a toujours été un pays d’immigration et d’accueil. Le terme « massif » est utilisé dans le contexte de l’immigration lors de mouvement démesuré d’un groupe de personne d’une région géographique vers une autre. Dans l’histoire, l’expression « immigration de masse » est utilisée lorsque l’on parle de la Grande Ruée vers l’Or du 19e siècle ou la migration de millions d’Irlandais vers les Etats-Unis après 1840. La Suisse a connue une d’immigration massive après la Seconde Guerre mondiale, lorsque des chercheurs d’emploi sont entrés dans le pays le cœur rempli d’espoir. Les chiffres n’ont fait qu’augmenter dans le courant des années 1970 et 1980 grâce à une Suisse prospère qui affichait une économie prometteuse. Enfin, au début des années 1990, le conflit en ex-Yougoslavie oblige l’augmentation des statistiques officielles d’immigration. En 2008, suite à l’entrée de la Suisse dans l’espace Schengen, l’arrivée de travailleurs depuis les pays membres de l’UE a sévèrement influencé les chiffres de cette année-là. Ceux-ci ont diminué jusqu’en 2011, lorsqu’ils ont repris un rythme croissant normal. Une immigration de masse n’est donc pas d’actualité en Suisse.

Un choix difficile à comprendre

Bien que l’UDC se soit fervemment battue, le choix des Suisses est difficile à comprendre. En 2000, 2005 et 2009, le peuple helvétique a tranché sur les accords bilatéraux entre la Suisse et l’Union européenne - tous ont été acceptés. La conséquence directe de leur « oui » sur l’instauration d’une limite d’immigrants est la renégociation de ces mêmes accords acceptés il y a tout juste cinq ans. Un paradoxe qui oblige la remise en question. D’où vient ce soudain revirement ? Deux explications sont potentiellement plausibles. Le peuple suisse s’est soudainement senti submergé par le nombre d’immigrants cherchant une autre vie dans la confédération. Submergé au point de remettre leurs précédentes décisions en péril.

La deuxième raison, plus théorique, est que la campagne menée par la droite a éveillé chez les citoyens une peur de l’étranger, sûrement alimentée par un « ras-le-bol ». L’UDC a lancé une campagne contre l’immigration qu’elle qualifie « de masse » et a offert une solution simple : limiter le nombre d’immigrants à travers des quotas. Si l’UDC ne divulgue pas d’informations sur les conséquences de leur initiative, c’est le devoir de l’opposition de défendre ses positions et combler les lacunes informatives. Cette théorie ouvre de nombreuses possibilités de discussion concernant la stratégie politique des différents partis.

Le « pourquoi » de ces résultats reste un sujet de recherches intéressant et nécessaire pour le futur de la politique suisse. L’heure est plutôt à l’inquiétude. La création de contingents va à l’encontre de l’accord sur la libre circulation des personnes, qui permet aux Suisses de s’installer et travailler dans l’UE, et vice versa. Ceci signifie que la Suisse va devoir renforcer les renégociations du traité. La clause guillotine lie les sept accords entre les entités et stipule qu’ils ne peuvent être dénoncés séparément ; entraînant donc la renégociation des sept contrats et non d’un seul.

Ce n’est donc pas uniquement la libre circulation qui est menacée, mais également la recherche, le marché public, l’emploi, le trafic aérien, le commerce et son transport terrestre. Tant de domaines pouvant avoir une influence désastreuse sur l’économie, le marché de l’emploi et même le tourisme.

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Si la Suisse limite le nombre d’Européens pouvant s’installer et exercer une activité professionnelle sur son territoire, la probabilité que l’UE fasse de même pour les Suisses est élevée. D’ailleurs, que deviendront ces étudiants désirant s’offrir des études à l’étranger ? L’échange commercial international simplifié faisait de la Suisse un petit paradis pour l’implantation de grandes entreprises - où iront-elles maintenant ? La suppression des droits de douanes pour certains produits agricoles se traduisait par un export simple et rapide des produits fièrement suisses vers les membres de l’UE, et inversement. Jusqu’à aujourd’hui, les transports aériens suisses bénéficiaient du même accès au marché européen que les compagnies aériennes établies et basée dans l’UE.

Ces exemples ne sont qu’un exemple de la longue liste qui attend le Conseil fédéral. Un Conseil fédéral qui s’est clairement prononcé contre l’initiative mais qui, actuellement, se trouve dans une position très difficilement manipulable.

La conséquence la plus probable de l’initiative UDC est que le futur de la Suisse deviendra une série de coup-pour-coup avec l’UE, la rendant victime de son propre isolement. Face à ces problématiques sérieuses, l’UDC semble confiante que l’UE ne résiliera pas les accords. Elle déclare le pays comme étant un important partenaire économique et donc à l’abri de conséquences. Seul le temps pourra prouver la réelle importance de la Suisse pour l’UE. Actuellement, tous les regards sont tournés vers l’UE - leur réaction est attendue anxieusement.

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