Fait notable, la dernière visite d'un président américain en Malaisie remonte à la venue de Lyndon B. Johnson en 1966. En effet, durant ces dernières décennies, les relations entre les deux pays ont pour le moins été tendues, en particulier sous le gouvernement du leader politique Mahathir Mohamad, qui n'hésitait pas à user régulièrement d'une rhétorique profondément anti-occidentale. Le Premier ministre actuel, Najib Razak, fait preuve d'une stratégie bien plus coopérative, et par conséquent plus favorable aux relations entre les deux pays. Cette fois-ci, le Président américain était donc avant tout désireux de mettre en lumière les progrès de la Malaisie dans le domaine économique, et d'insister sur l'idée d'une “nouvelle ère de coopération” pour les deux pays.
Dans le contexte d'influence grandissante de la Chine dans la région, le président américain a réaffirmé sa volonté de solidifier les liens entre les deux pays, dépeignant sa visite lors d'un interview avec le journal malaisien The Star comme “l'opportunité de formaliser un partenariat compréhensif et de poser les fondations de liens encore plus solides pour les années à venir”. Le Premier ministre Najib et le président Obama ont échangé sur des sujets aussi variés que l'éducation, l'économie, la sécurité dans la région, ou encore l'accord commercial trans-pacifique, l'une des priorités du président étasunien dans son agenda économique international. Le gouvernement américain poursuit ainsi son objectif de renforcement de la position des Etats-Unis dans la région afin de contrer les ambitions de la puissance chinoise voisine.
Le Président américain a également affirmé son soutien au gouvernement malaisien quant au crash de l'avion de la Malaysia Airlines, alors que les Etats-Unis contribuent grandement aux recherches de l'appareil. Le gouvernement malaisien continue d'être fortement critiqué pour sa gestion de l'accident et son manque d'information depuis la disparition de l'appareil il y a maintenant un mois.
Un refus inexpliqué de rencontrer le leader de l'opposition
Reconnaissant les progrès économiques et sociaux de la Malaisie, le président Obama a néanmoins appelé le Premier ministre Najib Razak à faire davantage respecter les droits de l'homme dans le pays, alors que le leader de l'opposition Anwar Ibrahim vient d'être condamné une seconde fois pour sodomie le mois dernier. Ne mentionnant que succinctement l'affaire, le président américain a affirmé partager avec le Premier ministre malaisien sa croyance dans le fait que “les sociétés qui respectent les libertés civiles seront les plus gagnantes en ce XXIe siècle”, et que les Etats-Unis comme la Malaisie avaient encore des progrès à faire dans le domaine des droits de l'homme.
En dépit des demandes répétées de la part de plusieurs organisations pour les droits de l'homme, le président américain a refusé de rencontrer le leader de l'opposition M. Anwar, dont la carrière politique vient sérieusement d'être compromise suite à sa condamnation. La décision judiciaire est largement critiquée par l'opposition qui juge la condamnation uniquement motivée par des raisons politiques, alors que M. Anwar représente la seule véritable menace politique pour le gouvernement actuellement au pouvoir. Ce refus du président américain n'est donc pas sans faire grincer les dents de l'opposition. Selon Andrew Khoo, avocat membre du barreau malaisien, “Anwar est en Malaisie une figure aussi importante que Aung San Suu Kyi en Birmanie. Si le président Obama prend le temps de rencontrer Aung San Suu Kyi, c'est étrange qu'il ne rencontre pas Anwar”. De son côté, le président Obama n'a pas désiré justifier son refus, expliquant que cela n'exprimait en aucun cas un manque d'intérêt. “Il existe beaucoup de personnes que je ne rencontre pas, y compris des leaders d'opposition, et pourtant cela ne signifie pas que je ne me préoccupe pas d'eux” a-t-il affirmé. Par défaut, M. Anwar devait donc rencontrer Susan E. Rice aujourd'hui, la conseillère en sécurité nationale des Etats-Unis.
La nécessité de reconnaître des défaillances dans le domaine des droits de l'homme
Malgré son refus de rencontrer le leader de l'opposition, le président américain a néanmoins eu l'occasion de rencontrer plusieurs acteurs importants de la société civile malaisienne, tels que le président du barreau malaisien ou l'ONG Bersih, qui lutte depuis plusieurs années pour un processus électoral équitable et transparent en Malaisie. L'une des ONG les plus influentes du pays a ainsi eu l'occasion d'exprimer ses revendications et d'exposer au président américain une situation certainement très différente de celle présentée par le gouvernement.
La Malaisie a profondément changé ces vingt dernières années. Le niveau de développement économique a considérablement augmenté, l'accès à l'éducation s'est élevé, le rôle des femmes dans la société s'est affirmé et les inégalités se sont réduites. En outre, la Malaisie démontre désormais un réel désir de participer aux affaires internationales et de coopérer avec les grandes puissances. Dans ce contexte, elle apparaît aujourd'hui aux yeux des Etats-Unis comme un partenaire fiable dans la région, compromis acceptable entre une véritable démocratie telle que les Philippines et un état foncièrement autoritaire comme le Cambodge ou le Laos.
Cependant, la Malaisie est encore loin d'être une démocratie et les Etats-Unis doivent en avoir conscience. Le gouvernment américain ne peut ignorer la corruption endémique qui règne dans le pays, les politiques persistantes de discrimination positive en faveur des Malais et les fréquentes enfreintes aux libertés individuelles et collectives par le gouvernement malaisien, maintenant au pouvoir depuis plus de cinquante-sept ans. Ainsi pour les défenseurs des droits de l'homme, les déclarations du président américain paraissent bien timides au regard des enjeux qui demeurent dans le pays.