La Chine, ou le plus grand créateur de pluie

Traduit par Clémence Vidal
7 Novembre 2013



La Chine est présentée comme le plus grand créateur de pluie artificielle au monde et pourrait théoriquement être en mesure d’abaisser le taux mondial de pollution. En effet, cette pluie contribuerait à faire baisser la pollution atmosphérique. Décryptage.


Fête nationale sous la pluie, place Tian An Men |Crédits photo Le Journal International
Fête nationale sous la pluie, place Tian An Men |Crédits photo Le Journal International
La « capacité » chinoise à influer sur la météo a déjà été démontrée durant les Jeux olympiques de 2008, où les météorologues du Bureau des modifications météorologiques de Pékin ont utilisé des radars pour surveiller les plus gros nuages de pluie. Ces derniers ont ensuite été aspergés de produits chimiques entraînant la pluie afin de protéger le centre-ville de toute averse.

Les autorités chinoises étaient surtout inquiètes de voir la pluie éteindre la flamme olympique durant la cérémonie d’ouverture, ce qui aurait été une catastrophe étant donné l’importance politique que la Chine avait accordé, et accorde toujours, à ses Jeux olympiques. Aucune chute de pluie conséquente n’a perturbé la cérémonie d’ouverture, ni les festivités extérieures de la fête nationale du 1er octobre suivant. Des écrans géants installés sur la place Tian An Men projetaient des vidéos publicitaires présentant le « meilleur de Pékin en 2008 », à savoir records mondiaux, victoires chinoises, dialogues interculturels et surtout, du ciel bleu.


Durant les années 1940 et 1950, les États-Unis furent les pionniers du cloud seeding, ou ensemencement de nuage, technique utilisée pendant les Jeux de Beijing pour influer sur la météo. Pendant les J.O., 20 zones de lancement ont été établies autour de Pékin. Le parc des collines parfumées a, par exemple, vu de petites fusées contenant de l’iodure d’argent décoller pour aller exploser dans les nuages de pluie, et éviter un éventuel désastre publicitaire durant la cérémonie d’ouverture. Cette procédure force l’eau contenue dans les nuages à s’agglomérer autour des molécules d’iodure d’argent, et ce jusqu’à ce que le nuage devienne trop lourd et donne de la pluie.

L’ensemencement de nuage remonte à 1958 en Chine, où il avait alors pour seul objectif d’approvisionner en eau. Il existe deux principaux types d’ensemencement de nuage. Celui mentionné précédemment vise les nuages depuis le sol. Le deuxième a recours à des avions qui injectent directement des produits condensateurs dans les nuages. Les météorologues font ainsi la différence entre l’ensemencement hygroscopique, où les nuages font entre 0°C et 32°, et l’ensemencement dit « glaciogénique », avec des nuages entre -10° et -32°. Ces deux méthodes visent à encourager la transformation de l’eau en glace au sein du nuage. Pour des raisons financières, la Chine a principalement recours à des opérations depuis le sol.

Une efficacité controversée

L’Académie nationale des sciences des États-Unis a ainsi déclaré en 2003 qu’après 30 ans de recherche, il n’existait pas assez de preuves démontrant l’efficacité de la modification météorologique. Pourtant, plusieurs gouvernements espèrent toujours beaucoup de l’ensemencement, comme en Indonésie où de futures opérations ont été promises. Des opérations qui permettront de répondre aux plaintes venant de Singapour, envahi par des nuages de fumée, à cause des incendies volontaires provoqués par les fermiers indonésiens.

Malgré la controverse, la Chine semble toujours croire que les ensemencements mènent bien à la pluie. Au-delà de la question de l’efficacité de l’ensemencement, il faut prendre en compte les conséquences des pluies d’origine chimique sur l’environnement. Une mauvaise concentration de produits peut occasionner d’énormes averses de grêle, nocives pour la faune et la flore. Les pluies artificielles, tout comme les brouillards de pollution, sont donc les deux principaux défis environnementaux que doit relever Pékin.

Il existerait par ailleurs un lien entre les chutes de pluie et la baisse de la pollution atmosphérique. Le 1er octobre, jour de fête nationale en Chine, il a plu dans la matinée. Plus tard dans la journée, un ciel bleu recouvrait Tian An Men. La pollution atmosphérique avait également diminué de 80 points entre 9h et 10h, passant de 182 à 102 microgrammes de particules fines par mètre cube d’air, jusqu’à atteindre 42 microgrammes à 15h. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, le taux maximal devrait cependant être de 25 microgrammes par mètre cube, tout dépassement entraînant des risques sanitaires. Les particules fines sont définies comme des polluants dont les molécules font moins de 2,5 micromètres de diamètre, et qui ainsi peuvent s’infiltrer dans le flux sanguin et les poumons. Les données disponibles indiquent qu’à Pékin, la pluie aurait pu contribuer à cette chute de la pollution atmosphérique.

Malgré la prise de conscience chinoise concernant l’environnement (il a été décidé de consacrer 100 milliards de yuan pour lutter contre la pollution à Pékin, et de réfléchir à une loi limitant le nombre de voitures en circulation), tout reste à jouer. En janvien, Pékin a vécu l’une des pires crises de pollution de son histoire. Le taux de particules fines a dépassé les 850 microgrammes par mètre cube selon les relevés de l’ambassade américaine. Les ventes de masques et purificateurs d’air ont explosé, alors que le mécontentement public envers le gouvernement grondait. Même les journaux nationaux se sont exprimés plus ou moins ouvertement, avec des éditoriaux comme « comment peut-on se débarrasser de cette pollution étouffante ? ». La crise de la pollution a donc été la source de beaucoup de mauvaise publicité pour la Chine, et pas seulement à l’international, mais aussi à l’intérieur du pays.

Si le gouvernement souhaite éviter ce même problème cet hiver, il devrait mieux se préparer. Selon les autorités municipales, les prévisions pour le 22 octobre dépassaient les 300 microgrammes. En réponse à ces prévisions, la mairie a pris des mesures préventives et annoncé plusieurs mesures d’urgence, comme celles qui avaient été mises en place durant les Jeux olympiques. Parmi elles, des fermetures d’usines obligatoires et l’arrêt des excavations sur les chantiers, alors que les véhicules privés ne pouvaient rouler qu’un jour sur deux, selon leur plaque d’immatriculation. Cependant, même s’il est positif de voir que la mairie reconnaît que des efforts doivent être faits pour lutter contre la pollution, il serait bien mieux de concerter les actions et de les coordonner au-delà des limites de la ville.

La majorité de la pollution de Pékin provient des banlieues, où les usines produisent des déchets polluants. Même si le gouvernement a récemment établi une liste des 10 villes où la pollution atmosphérique est la plus forte, on peut douter de l’efficacité de telles publications et des réactions qu’elles peuvent susciter auprès des concernés. Un brouillard de pollution a, par exemple, forcé l’aéroport international de Harbin à fermer le 21 octobre, tout comme les écoles et crèches de la ville. Les accusations se sont portées sur le système de chauffage au charbon, et sur les fermiers qui brûlent de la paille pour lutter contre les chutes de température.

Mais si l’on considère que d’autres usines contribuent de manière significative à ces pics de brouillard, comme celles de la Mongolie, on peut sérieusement douter de la pertinence de la liste du gouvernement. Si l’ensemencement ne coutait pas aussi cher (et n’avait pas un système de fonctionnement aussi controversé), il serait peut-être une réponse plus appropriée que la publication de listes. En effet, le problème ne serait plus réduit à la seule échelle municipale alors qu’il s’étend au-delà des frontières nationales.

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