L'homme nu, une espèce en voie de disparition

Alexandra Stolz, traduit par Elisa MASSANES YANG
16 Décembre 2013



Récemment à la Sucrière, lieu d’exposition lyonnais : entre trois grandes colonnes blanches, éclairé par la lumière froide de deux plafonniers et allongé à même le sol en béton, s’appuyant sur les mains, un homme nu. Il tourne le dos aux visiteurs, ces derniers se demandent s’il s’agit d’un homme vivant en chair et en os ou bien seulement d’un mannequin très réaliste.


Crédits photo -- inferno-magazine.com
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Baptisée « Silhouette Wall Cutts », l’œuvre de l’artiste new-yorkais Dan Colen est exposée dans l’ancienne sucrerie, aujourd’hui reconvertie en musée d’art moderne, dans le cadre de la 12e Biennale d’art contemporain de Lyon. Cette année, c’est le thème pour le moins énigmatique « Entre-temps… brusquement, et ensuite » qui a été choisi par le commissaire Gunnar B. Kvaran. L’exposition a pour but de montrer comment les artistes traitent le «Storytelling », c’est-à-dire le fait de raconter des histoires afin de véhiculer un message. À l’ère des médias numériques qui nous submergent d’images, la question est de savoir quelle place occupe l’art moderne.

L’histoire qui se cache derrière l’installation de Collen apparaît rapidement comme évidente : l’homme nu, représentation de l’artiste américain, faisait la course avec les prénommés Wile E. Coyote, Roger Rabbit et Kool-Aid Man, célèbres personnages de dessins animés des années 1930 aux années 1960. Ils n’ont alors pas reculé devant les murs qui gardent les traces de leur passage, des trous dont les contours dessinent leur silhouette. Epuisés, ils gisent à présent sur le sol du musée. L’exposition commence donc sur la fin d'une course, ce qui est en soi plutôt paradoxal.

« Si cela avait été une femme, tu n'aurais pas été étonné ! »

Pourtant, ce n'est pas ce paradoxe qui déconcerte la plupart des visiteurs, mais plutôt le fait qu'ils se retrouvent nez à nez avec un homme nu dès qu'ils franchissent le hall d'entrée. Un jour au musée permet de faire une observation notable. Alors que les enfants courent et sautent de façon tout à fait spontanée autour du type nu, les adultes quant à eux ne s'en approchent qu'assez timidement. « J'ai été un peu surpris », reconnait un visiteur. « Oh ça va! », se moque sa copine en lui passant le bras autour de la taille. « Si cela avait été une femme, tu n'aurais pas été étonné! »

Peut-être la mise en scène de Dan Colen nous raconte-t-elle une toute autre histoire que celle à laquelle il avait songé. Une histoire sous-jacente, qui se repose aux côtés de sa représentation nue, impassible devant les personnages de dessins animés. Peut-être nous raconte-t-il bien plus l’histoire politique d’une structure sociale patriarcale; celle de notre société. Malgré l’apparition des Guerilla Girls, groupe féministe qui se montre en déguisement de gorille depuis les années 80, on remarque que nous sommes toujours confrontés à l’image omniprésente de la femme dévêtue véhiculée par les médias. Les données du Metropolitan Museum of Modern Arts nous permettent de confirmer cette thèse avec un chiffre tout à fait surprenant : 83 % des personnages nus exposés sont féminins. Cela n’est donc pas étonnant, que l’homme dévêtu de la Sucrière provoque l’irritation.

Depuis le début du 20e siècle, le rôle de l’homme nu a toujours été limité à celui du martyr ou du héros mythique, un rôle qu’il a adopté et joué. Toutefois, apportant leur lot de travailleurs mutilés et diminués, la révolution industrielle et la Seconde Guerre mondiale ont modifié cette image. Désormais, l’homme habillé avec élégance est considéré comme symbole de statut social.

Pour les femmes, c’est une toute autre histoire. Au cours de la révolution sexuelle dans les années 1950, la nudité féminine s’est banalisée, devenant rapidement la valeur ajoutée des grosses entreprises qui depuis se réjouissent de vendre leur eau en tenue d’Eve. Mannequins, actrices, chanteuses. Cela pourrait-il être à l’origine d’un scandale? Honnêtement, cela fait longtemps que ce n’est plus le cas et que par conséquent, nous nous sommes habitués à cette image au quotidien.

Avec le temps, un léger changement se fait sentir. On pourrait penser par exemple à David Beckham posant en sous-vêtements pour le géant de la mode H&M, mais il représente une rare exception. La nudité affecte et rend vulnérable, rabaissant le sexe féminin au rôle du sexe faible. Faut-il alors en conclure qu’il faut exiger plus de tenues d’Adam afin d’établir l’égalité homme-femme et montrer les hommes aussi dénudés et vulnérables que les femmes ? Dans cette optique, le Musée d’Orsay à Paris se met aussi à contribution : jusqu’au 12 janvier 2014, on peut y contempler l’exposition « Masculin/ Masculin. L’homme nu dans l’art de 1800 à nos jours ». L’art envahi d’hommes nus; un joli pied de nez à la réalité médiatique.

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