L’Ecosse est en ébullition. A quelques jours de se prononcer sur l’indépendance de leur pays, les habitants de Glasgow débattent dans la rue, au café, au pub, à la maison. Partout, tout le temps, le référendum est dans toutes les bouches, sur toutes les vitrines, fenêtres et prospectus. A tel point que certains montrent quelques signes d’énervement. Comme Suzanne, 26 ans, que l’on croise attablée face à un maigre rayon de soleil : « ça fait trois quart d’heure que l’on en parle, j’en ai marre », lance-t-elle en riant. « A chaque fois, les échanges sont intéressants, mais maintenant, à huit jours du vote, on finit par toujours dire les mêmes choses. »
Parmi ces “choses” qui reviennent inlassablement, l’importance donnée à la “première mondiale” que constitue ce référendum fait figure de leitmotiv. « Qu’un pays s’émancipe légalement, c’est du jamais vu dans l’histoire contemporaine. Rien que pour ça, je me sentirais coupable de ne pas voter oui », explique Marion, 35 ans, originaire de Perth, dans le Nord de l’Ecosse. Mais lorsqu’on évoque les conséquences directes du vote, qu’il soit en faveur ou contre l’émancipation de l’Ecosse, l’intensité cède souvent sa place au mutisme.
On efface tout et on recommence ?
Au sein du brouillard des conséquences, on trouve deux sources. D’un coté, le "non", le vote du rejet de l’indépendance. Si les Ecossais choisissent de porter en majorité le non dans les urnes, il n’y aura vraisemblablement pas de retour à la case départ. Le Palais de Westminster, à Londres, voit d’un très mauvais œil le départ de 30% de son territoire et de 8% de sa population. Et – fait notable – les trois principaux partis d’outre-manche, hier ennemis et aujourd’hui main dans la main, tentent de stopper la fièvre émancipatrice de l’Ecosse, en leur faisant comprendre qu’ils ont tout à gagner en votant contre l'indépendance.
Ainsi Gordon Brown, ex-Premier ministre travailliste, a annoncé le 8 septembre une série de mesures destinées à renforcer les pouvoirs du Parlement écossais en cas de rejet de l’indépendance. Coup de bluff ou coup de génie, Gordon Brown a dans la foulée posé un calendrier, incluant le lancement d’une nouvelle législation le 19 septembre – le lendemain du référendum – qui serait finalement active dès janvier prochain.
Des chiffres et des sentiments
Cette nouvelle loi accorderait plus de pouvoirs au Parlement écossais concernant l’emprunt, les impôts, les dépenses ou encore les avantages sociaux. Rien de bien précis pour le moment. Mais en ce moment même, on trouve au coeur de la zone de turbulence les coupes budgétaires, en particulier dans le domaine de la santé. Alex Salmond, qui se voit déjà devenir le premier Premier ministre d’une Ecosse indépendante, a annoncé vouloir mener une politique de réduction du budget du NHS (l’équivalent de notre Sécurité sociale) si le "oui" passe. Gordon Brown, a expliqué que malgré les coupes dans les dépenses publiques (13% cette année), le budget accordé à la santé avait augmenté de 4,4% dans le Royaume-Uni. Et que si l’Ecosse restait finalement dans l’union, grâce à l’augmentation des dépenses dans le domaine de la santé, les coupes dans le budget total de l’Ecosse seraient moins élevées que dans le reste du Royaume, à 8,4%.
La bataille des chiffres est lancée, mais chaque camp sait jouer avec les sentiments, beaucoup plus efficace. Ces « pouvoirs exceptionnels » accordés à l’Ecosse ont ainsi été perçus comme un acte de « totale panique » par Alex Salmond, le chef du SNP. Il dénonce le fait que David Cameron n’ait cessé de brandir des menaces envers l’Ecosse ces derniers mois, jusqu'à ce retournement de veste d’il y a quelques jours. Un message, un mot d’ordre, imaginé par le Premier ministre lui-même : « Scotland we love you, stay with us ». A cela s’ajoute les nombreux déplacement en Ecosse, terre plus que jamais hostile aux conservateurs. David Cameron ne souhaite moins que quiconque que le oui l’emporte, ne serait-ce que pour une bonne raison politique : c’est lui qui est à l’origine de ce référendum. Il deviendrait donc, après 300 ans de longévité, l’homme à cause de qui l'union disparaîtrait.
Le secteur financier fait la grimace
D’un autre coté, le "oui", dont les conséquences les plus grandes font sûrement partie de la face immergée de l’iceberg. Du point de vue économique, l’Ecosse n’a à priori pas grand chose à redouter. Quatorzième au classement des pays ayant le PIB par habitant le plus élevé au monde devant la France et le Royaume-Uni, la région tire 17% de ses revenus de ses gisements de pétrole en mer du Nord. On pourrait penser que l’Ecosse a tout à gagner en quittant une union qui pèse moins qu’elle en terme de PIB. Mais l’économie écossaise demeure dépendante à celle du Royaume-Uni, vers qui les exportations écossaises représentent quelque 47,6 milliards de livres chaque année. Quitter l’union pour des motifs économiques reviendrait donc à s’amputer d’une bonne partie de son corps.
Selon les analystes, une Ecosse indépendante serait synonyme d’une dévaluation de la livre sterling, et à une “augmentation des coûts d’emprunt du Royaume-Uni et de l’Ecosse indépendante”, indique le site lesaffaires.com. De plus, une Ecosse indépendante devrait se débrouiller pour trouver une monnaie propre. Londres, revancharde, a d’ores et déjà prévenu qu’elle n’accepterait pas de prêter sa livre sterling à son ex-région. Quant à intégrer la zone Euro, l’Ecosse risque fort de devoir faire la queue, comme tout le monde, et attendre au bas mot quelques années avant de pouvoir utiliser cette monnaie.
Pour rajouter à la peur et l’attente, la Royal Bank of Scotland (RBS) et la Lloyds Bank, deux poids lourds bancaires outre-Manche, ont annoncé qu’en cas de victoire des indépendantistes, elles déménageraient en Angleterre. Même si elles ont tempéré qu’elles conserveraient les emplois et leurs “opérations bancaires significatives” en Ecosse, l’annonce n’en est pas moins un fracas symbolique : la RBS et la Lloyds, indique le New York Times, font parties des institutions financières autorisées à fabriquer les billets et pièces de monnaie écossaises, qui comptent de nombreuses figures historiques et autres fiertés écossaises.
L’effet boomerang
Dans le secteur économique, certaines entreprises choisissent délibérément de ne pas prendre parti au sujet du référendum, dans le but notamment de ne pas perdre d’éventuels clients. Ce n’est pas le cas de Rupert Murdoch, le richissime et opportuniste propriétaire du tabloïd The Sun, qui a clairement fait savoir qu’il allait influencer ses éditoriaux en faveur de l’indépendance. Cerise sur le gâteau, un nouveau tabloïd, The Scotland Sun, pourrait voir le jour en cas d’une victoire du oui.
Au-delà des conséquences économique d’une Ecosse indépendante, on notera l’effet boomerang qui pourrait découler de ce référendum. Le Royaume-Uni se prépare à essuyer des bouillons indépendantistes dans ses régions les plus demandeuses, à savoir l’Irlande du Nord, le Pays de Galles, le Yorkshire et les Cornouailles. Sinn Féin, parti irlandais plutôt orienté à gauche, a déjà prévu de demander un référendum sur son appartenance au Royaume-Uni si le oui passe en Ecosse. Lucinda Creighton, ex-ministre irlandaise, a exprimé ses craintes au Guardian : “J’ai peur qu’un référendum en Irlande du Nord menace le processus de paix en cours avec la communauté protestante. Cela pourrait devenir très dangereux.”
Plus surprenant, la ville de Londres pourrait elle aussi demander à prendre son indépendance. Si au premier abord ce scénario n’a rien de probable aujourd’hui, un sondage relayé par le Guardian révèle qu’un londonien sur cinq pense que la capitale se débrouillerait mieux si elle devenait indépendante. Quand on sait que la ville de Londres compte 3 millions d’habitants de plus que toute l’Ecosse réunie, ça devient tout de suite plus crédible. Alors, après l’Ecosse, à qui le tour ?