Kirghizistan : interview d’un cygne

Aidjan Sarygulova, Rédactrice pour Francekoul
24 Juillet 2013



Connaître le monde du ballet, surtout côté coulisses, est plus aisé par le recueil de témoignages de ses grandes stars. L’étoile de l’Opéra National Kirghize de Abdylas Maldybayev, Assel Aïdarova, raconte sa voie ad astra et donne son avis sur les points techniques de la vie du théâtre.


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Vous avez étudié à l’école chorégraphique Cholponbek Bazarbayev à Bichkek. Les professeurs dans les domaines artistiques deviennent parfois presque de deuxièmes mères pour leurs élèves. Est que cela a été votre cas ?

Oui, j’ai eu la chance d’avoir une personne comme ça à mes côtés. C’est mon professeur, Eugénie Borisovna, vraiment une deuxième mère pour moi, qui prenait soin de moi et me soutenait en permanence. Ses conseils étaient précieux. Elle est de cette époque où le professeur donnait toute son âme à ses élèves. Quand elle m’appelle à la maison, ma maman et ma grand-mère disent : « Ta maman t’appelle ».


Elles n’éprouvent pas de jalousie ?

Elles, non. Eugénie Borisovna vis-à-vis d’elles, si !


Quels sont vos souvenirs de votre passage à l’école chorégraphique ?

Nous étions à fond dans notre travail. Toujours à l’école. Pas de discothèques ni de cinéma comme les autres écoliers après les classes. Nous nous concentrions surtout sur les cours spéciaux, et les professeurs des disciplines générales s’apitoyaient, car ils voyaient bien que le plus important pour nous c’était le ballet. Nous étions toujours fatigués. Il m’arrivait de rentrer à la maison ayant un seul désir, celui d’atteindre mon lit. Je m’endormais parfois sans me changer.


C’était difficile de passer de la danseuse du corps de ballet à l’étoile ?

Vous savez, j’ai eu la chance de faire cela très vite. Je n’ai même pas eu le temps de rêver du rôle dans le « Lac des cygnes » qu’on me l’a donné. Notre compagnie allait en Chine en tournée et il n’y avait personne pour danser la partie principale. Alors le chorégraphe du théâtre, m’a dit : « Vas-y, Assel, prépare-toi ! » J’avais moins de deux semaines pour cela !


Comment préparez-vous votre rôle en général ?

Oh, la préparation comprend tout ! Il faut regarder les films en rapport avec le sujet donné, écouter de la musique, s’entraîner. C’est dans la musique que je puise l’inspiration. Une fois maquillée et habillée, je suis dans le rôle. Et, bien sûr, c’est important de chercher ses propres couleurs. Sinon, à quoi sert le diplôme d’« artiste de ballet » ?


Dans votre répertoire il y a presque tous les classiques principaux : Giselle, Nikiya de « La Bayadère », Kitri de « Don Quichotte », Phrygia de « Spartacus », Odette et Odile du « Lac des cygnes »... Quel est votre rôle préféré ?

Je les aime tous. Je ne peux dire qu’une chose : toutes les héroïnes doivent être féminines et jouées avec l’amour.


Parlons d’un de ces personnages célèbres, Carmen. Avez-vous sa sensualité fatale, qui peut séduire, rendre fou et capable au crime ?

(sourire timide) Non, moi, je ne suis pas comme ça, mais sur scène j’aimerais bien m’essayer à ce rôle.


Passons à un sujet un peu désagréable... Le bâtiment de l’Opéra National Kirghize a visiblement besoin des réparations – les toilettes, la cantine, les murs ne sont pas dans le meilleur état. Est-ce la faute de l’administration du théâtre ?

J’ai du mal à répondre à cette question. J’ai mentionné une fois l’état déplorable du théâtre, après quoi on m’a téléphoné pour me reprocher mes propos. Chacun doit faire son travail et se donner complètement à sa profession. Je ne suis pas administrateur, ni agent de ressources, je suis danseuse, mon travail est de danser.


Le ballet c’est toujours beau. Mais après avoir goûté à sa beauté, le spectateur s’en va, en ignorant ce qui se passe au théâtre avant et après la représentation. Parfois nous pouvons entendre les employés du théâtre dire que la magie n’existe que sur le plateau, mais dans les coulisses tout change. Par exemple, on dit que pour obtenir le rôle principal la ballerine doit passer par le lit de quelqu’un, que les danseuses sont très jalouses des réussites des autres et peuvent tout faire pour les empêcher. À quel point cela est-il vrai ?

Je ne pense pas que les danseuses invitées à La Scala et à l’American Ballet Theatre comme Svetlana Zakharova, Diana Vichnyova ont dû coucher avec quelqu’un pour réussir. Si cela se dit, c’est que c’est surement déjà arrivé. Personnellement je n’ai pas eu à le faire. Concernant la jalousie, oui, cela existe, et les intrigues aussi. Mais ma force est dans mon travail, auquel je donne toutes mes pensées, et la malveillance des autres ne me touche pas.


Une fois j’ai entendu deux danseuses du corps de ballet dire que quand la salle n’est pleine qu’à un quart, les danseurs ne travaillent pas à cent pour cent. Avez-vous des commentaires ?

C’est faux. Le spectateur, à mon avis, sent toujours à quel point l’artiste se donne au public. Ne serait-ce qu’un seul spectateur dans le théâtre. Il y a une bonne expression : « Il ne faut pas danser pour tout le monde, mais pour chacun ». Et du coup, nous sommes plus chanceux que les chanteurs de l’opéra. Les gens ne viennent pas nombreux à leurs spectacles. Les chanteurs s’amusent même en disant que sur scène il y a plus de gens que dans la salle.


Nous entendons souvent parler du fait que beaucoup de danseurs sont homosexuels. Que pensez-vous de cette réputation ?

Oh, une question provocatrice ! Je pense que c’est à cause de l’incompatibilité de l’image de virilité avec l’image du danseur habillé en pantalon moulant. Mais, les homosexuels font tous les métiers, pas seulement la danse. Homosexuels ou pas, ce que je peux dire sur nos danseurs, c’est qu’ils sont tous de vrais hommes !


Vous travaillez régulièrement avec le célèbre artiste kirghize Talant Osmonov. Quelles sont vos relations ? Vous disputez-vous parfois à cause du travail, où tout se passe pour le mieux ?

Je dois remercier Talant Osmonov : il n’y a pas très longtemps j’ai eu besoin de préparer le rôle de Gamzatti à « La Bayadère ». C’était la première fois pour moi et Talant m’a beaucoup aidé, alors même que je ne devais pas danser avec lui, mais avec Igor Kolb (le danseur du principal théâtre Mariinskiy à Saint-Pétersbourg), qui était en tournée à Bichkek.


Avec Talant nous nous comprenons sans mots. Au ballet il est très important pour les hommes de sentir leurs partenaires, de savoir où, quand et comment il faut les soutenir, quand il faut les aider.

À l’étranger les gens nous prennent pour un couple. Mais ce n’est que le travail qui nous lie. Pendant la danse, quand chaque muscle est tendu, la danseuse ne remarque même si son partenaire lui a caressé la jambe, l’a prise dans les bras, lui a serré la main avec passion... Dans la vie quotidienne, une jeune fille va sentir tout cela, mais pour nous ça fait partie du métier, nous sommes partenaires. En plus, Talant est marié. Sa femme est d’ailleurs danseuse.


Il n’y a pas très longtemps vous étiez en stage en Autriche. Que vous a apporté ?

Vienne est une ville très belle, j’ai beaucoup aimé son architecture. Cette semaine de stage a été très utile et tout entière dédiée au travail. Au début ils nous ont montré le théâtre, et après nous avons participé à des ateliers.


Comment est la vie de ballet là-bas ?

Certains sponsors ont leurs propres places dans la salle. Mais quelle ardeur nous pouvons voir! Notre théâtre doit investir dans son développement. Nous avons besoin de nouvelles décorations, de costumes. La question du financement ne devrait normalement pas être un frein, mais malheureusement elle en est un.

Kirghizistan : interview d’un cygne

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1.Posté par Yoan Vendittelli le 06/09/2013 21:04
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Quel article intéressant! On y apprend les dessous d'un monde vaste, et souvent méconnu du grand public. C'est assurément un article de qualité, qui m'a fait découvrir des choses sur les coulisses des ballets.

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