« Ce sont ceux qui se soucient le plus de l'Ecosse qui prendront les décisions la concernant : ceux qui y vivent et y travaillent. » C'est ainsi que le manifeste pro-indépendance, "Scotland's Future" commence, rappelant l'exigence démocratique portée par le référendum. Si cette aspiration transparaît dans le programme et dans le discours de la "Yes campaign", elle est aussi à la base du référendum organisé par l'Accord d'Edimbourg de 2012. Ce texte fixe des conditions de vote extraordinaires : tous les citoyens de plus de 16 ans résidant en Ecosse depuis au moins un an, et s'ils sont issus du Royaume-Uni, de l'Union européenne ou d'un pays du Commonwealth, pourront voter le 18 septembre. Ceux qui résident en dehors de l'Ecosse, en revanche, ne pourront pas voter. Cette disposition porte à plus de 4 millions le nombre d'électeurs. Parmi eux, une catégorie importante de la population est susceptible d'influencer considérablement le scrutin : les étudiants non-Ecossais, très nombreux dans les universités écossaises.
"Le système universitaire est beaucoup plus attractif"
Comment expliquer le formidable attrait qu'exercent les universités écossaises à l'étranger ? Pour les étudiants issus de l'Union européenne, le premier argument est la gratuité du système universitaire au niveau "undergraduate" (les quatre premières années). Le gouvernement écossais finance en effet les frais de scolarité des étudiants européens, à l'exception des Anglais, des Gallois et des Irlandais du Nord. Beth* par exemple, a toujours vécu en Angleterre et elle paye donc ses études de médecine à Edimbourg. Mais l'université est selon elle « l'une des meilleures du Royaume-Uni, et elle est en plus assez proche de chez moi, à Newcastle. » En effet, au-delà de leur gratuité pour beaucoup d'étudiants, les universités écossaises ont une excellente réputation. Laura, une étudiante suisse interrogée par le Journal International, explique que le système écossais est beaucoup plus attractif : « on peut vraiment choisir de combiner des sujets différents (...) et l'enseignement est plus détendu. La vie étudiante est bonne, et il y a beaucoup d'associations et de soirées (...). Et puis étudier à l'étranger, c'est une expérience incroyable. »
La somme de ces arguments conduit à ce que de nombreux étudiants fassent le choix de s'expatrier en Ecosse. Et leur présence est déterminante car les modalités de scrutin fixées pour le référendum leur donnent une voix aussi importante qu'à leurs camarades nés en Ecosse. Kate est une étudiante malaisienne, elle étudie à l'université de Dundee. Pour elle, les deux campagnes sont passées à côté de l'enjeu que représentent le vote des étudiants étrangers : « nous avons eu plusieurs débats à l'Université. Mais de là à dire que les étudiants étrangers ont été pris en compte, c'est une autre histoire. Puisque l'on peut voter, plus d'efforts auraient dû être fournis pour nous expliquer les enjeux : on a le potentiel de faire balancer les votes d'un côté ou de l'autre. » La majorité des étudiants étrangers interrogés ont en effet expliqué que bien qu'enregistrés sur les listes électorales, ils ne s'estimaient pas assez informés. « Je ne vis en Ecosse que depuis un an et j'ai l'impression de ne pas bien connaître le contexte historique », explique Kate. Elle votera pourtant "oui" jeudi.
Laura et Ghazaleh voteront "non"
De là à dire que tous les étudiants étrangers voteront pour l'indépendance sans vraiment connaître la portée de leur vote, il y a quand même un pas. Laura la Suissesse est étudiante en économie et elle s'est très bien documentée sur les enjeux de l'indépendance. « Il y a tout simplement beaucoup trop d'incertitudes. La question de la monnaie par exemple n'est pas claire : le SNP explique que l'Ecosse conservera la livre tout en gérant les politiques monétaires et fiscales. Mais les principaux partis en Angleterre répondent qu'il est impossible que l'Ecosse et le reste du Royaume-Uni mènent des politiques différentes. Avec mes deux années d'économie, je les comprends : ils ne veulent pas répéter le scénario de la zone euro. »
Beth invoque elle aussi des arguments économiques pour expliquer son choix de rester dans l'union. Elle s'inquiète des dépenses publiques et en particulier de la sécurité sociale britannique, le National Health Service (NHS) : « beaucoup de supporters du "oui" disent que le NHS écossais sera privatisé dans les années à venir si l'Ecosse reste dans le Royaume-Uni. C'est complètement stupide puisque le NHS est déjà très dépendant du Parlement écossais. Je ne pense pas que l'indépendance sera une bonne chose pour les services publics, et elle ne signifiera sûrement pas que le NHS sera à l'abri des coupes budgétaires. » Sans grande surprise, la Suissesse et l'Anglaise ont expliqué qu'elles voteraient "non" jeudi.
Qui pour financer les universités écossaises ?
Une grande incertitude pèse aussi sur le futur de la gratuité des universités en Ecosse en cas d'indépendance. En effet : le système actuel est financé pour une large partie par les frais de scolarité payés par les étudiants Anglais, Gallois et Nord-Irlandais. Nicola Sturgeon, la vice-Première ministre du gouvernement écossais, a insisté à plusieurs reprises sur sa volonté de conserver le système tel quel si l'Ecosse venait à se séparer du Royaume-Uni. Mais des juristes européens se sont déjà penchés sur la question et ont déclaré que faire payer l'université à un seul pays de l'Union européenne (puisque le Royaume-Uni ferait alors de fait partie de l'U.E. au même titre que l'Italie ou la Suède) serait une mesure discriminatoire. Elle pourrait être interdite par les traités européens.
Qui alors pour financer les universités écossaises ? Certains évoquent la possibilité de rendre l'éducation supérieure payante pour tous, mais remettre en cause la gratuité du système serait une véritable atteinte à l'un des principes fondateurs de la société écossaise. On comprend dès lors que pour les étudiants écossais comme pour les autres, le "oui" soit synonyme de grande incertitude quant à leur avenir proche.
* Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes interrogées.