Je me souviens de l'Islande

Chroniques d'un Français en Islande durant un an

31 Mai 2013



« Regarde au plus profond de la nature et tout paraîtra clair, » disait Albert Einstein. Un exil en Islande semblait alors une parfaite opportunité pour regarder au plus profond de celle-ci. Laissez-moi vous raconter un an d'expériences, d'aventures, de rencontres, de surprises et de mémoires.


@Anthony Manzi
@Anthony Manzi
Alors que j’errai dans les rues d'Akureyri pour ce qui était l'une de mes dernières nuits dans le pays, mon esprit vagabondait tellement qu'à mesure que mes pensées prenaient le dessus, les montagnes s'opposant à moi devenaient de plus en plus floues. Il est dit qu'à la fin de notre vie, la totalité de celle-ci traverse vos pensées une dernière fois. Cela n'est peut-être pas la fin de ma vie, mais pour sûr la fin d'un important et inoubliable chapitre.

Alors, j'ai commencé à me souvenir. A me souvenir de ce sentiment de quitter la France, ses tracas, ses nuisances sonores, sa pollution pour un an, pour un exil dans un pays dont je ne savais pratiquement rien. De cette sensation de complète liberté : de tout laisser derrière soi, la personne qu'on a pu être jusqu'à ce jour et tout recommencer à zéro.

Je me souviens de mon premier contact avec le pays. Volant au dessus de Keflavik, qui ne ressemblait à rien de ce que j'avais pu connaître auparavant. Du vide et des paysages volcaniques entre Reykjavik et Akureyri. D'à quel point il est difficile de garder en tête qu'on ne vient pas d’atterrir sur la lune. 

Je me souviens des premiers mots islandais que j'ai entendu. De cette indescriptible langue dont j'étais certain de ne jamais pouvoir en comprendre un mot. Des gens : si gentils, si calmes, et si... différents.

Je me souviens de mon arrivée dans le nord. D'Akureyri, ma ville, ma maison pour un an. De l'aéroport entouré par les fjords. De ces montagnes majestueuses. De ce profond calme et froid océan. De cette fraîche brise d'août caressant ma peau.

@Anthony Manzi
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Je me souviens de mes premiers pas dans ma nouvelle maison. De mes premières rencontres, de mes colocataires, de cette diversité de nationalités, de cultures. Des promesses, des attentes, des plans, des objectifs. Du sentiment d'avoir devant soi tellement de temps pour réaliser tous ces projets. De visualiser ma position sur le globe : isolé sur cette petite île avec le Groenland pour seul voisin proche.

Je me souviens des premières neiges, des jours se raccourcissant. De créer ma propre routine islandaise, ma vie de tous les jours, mon cocon. De mes premiers mots islandais, de mes premiers amis du pays. De commencer à avoir mes endroits préférés en ville, mes trajets préférentiels, mes chemins favoris. De mon premier voyage, à l'exploration des fjords de l'est. De cet incroyable sentiment de liberté de conduire au milieu de grands espaces vides, pendant des heures sans croiser une âme. D’emprunter cette route n°1, celle qui encercle toute l'île. De ces magnifiques cascades, de ces paysages sauvages, de ces cadeaux de la nature : jamais touchés ou détériorés par l'homme.

Je me souviens de ressentir un manque parfois, celui de mon autre vie. Mais également de naturellement réaliser qu'Akureyri était ma nouvelle maison. Du temps qui passe, du temps qui fuit. De ma première montagne escaladée, le Mont Súlur. De découvrir la capitale Reykjavik, de ses rues, adorables et animées, de ses bars, charmants et bondés. Des Islandais ivres, soudainement débarrassés de leur timidité à coup de bières Viking. De conduire à travers le Cercle d'Or : des geysers, du parc national : Þingvellir. De mes premières aurores boréales : ce magique spectacle offert par le ciel, très certainement l’événement le plus irréel qui m'a été permis de voir sur cette terre. Des baleines, si proche du bateau de pêche sur lequel je naviguais.

Je me souviens de m'être attaché aux gens. D'avoir ma propre famille d'adoption. De penser que cet endroit était peut-être fait pour moi. Des tempêtes de neige quotidiennes, des jours sans soleil. De Noël approchant à grands pas. Des premiers au revoir.

@Anthony Manzi
@Anthony Manzi
Je me souviens des fêtes à Akureyri. Des lumières au travers de la ville, de l'excitation générale, des adultes retournant en enfance. Du nouvel an à Reykjavik. De tous les feux d’artifices présents pendant plus d'une semaine. Des explosions infinies et colorées dans le ciel de la capitale au dessus du lac pour célébrer l'arriver de 2013.

Je me souviens de la fin du premier semestre, et du début du second. Des personnes que nous avons perdues, de ceux que nous avons gagnés. De cette nouvelle famille, de cette nouvelle vie, toujours à Akureyri.

Je me souviens d'avoir exploré davantage l'Islande. Les glaciers, les icebergs de Jökulsárlón, de cette atmosphère post-apocalyptique, de sa glace infinie et de ses phoques. Des fjords de l'ouest et de son festival de musique. Des routes, bordées par l'océan et entourées par les montagnes. De descendre jusqu'à la côte ouest et de découvrir le plus beau village au monde : Stykkishólmur. De profiter du soleil près du port, de s'allonger sur l'herbe verte d'une immense colline surplombant la ville, l'océan et les montagnes au loin. D'y retourner la nuit et d'admirer les aurores boréales près du phare, sans un bruit autour, sans une âme au loin. De dire au revoir à cet endroit, accompagné par un magnifique coucher de soleil.

@Anthony Manzi
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Je me souviens de m'être baigné dans les bains naturels, de cette eau à 40°C, de se relaxer au milieu de nulle part, perdu dans les paysages désertiques de l'est. Des derniers cours à l'université et de ressentir à nouveau le soleil sur ma peau. Des jours qui deviennent de plus en plus longs. De ce sentiment de connaître la ville entière et ses gens. L'impression d'être l'un d'entre eux. D'être à la maison.

Je me souviens de voler dans le ciel, dans ce petit avion au delà du lac Mývatn et de ses alentours. De la vue aérienne des cascades. Du soleil à minuit, de ces jours qui n'en finissent plus. Du climat capricieux changeant toutes les dix minutes.

Je me souviens des au revoir à cette seconde famille. De sentir que tout est sur le point de s'achever. De savoir qu'il est désormais temps de tourner la page. De penser qu'au fond, on ne connaîtra plus jamais ce sentiment de liberté totale à nouveau. De savoir que cet endroit nous a changés à jamais.

Je me souviens d’avoir errer dans les rues d'Akureyri une dernière fois et penser : « Je me souviens. Je me souviens de tout. Et avec certitude, je n'oublierai jamais... »


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Anthony Manzi
Etudiant en Master Media Studies à l'Université d'Akureyri, au nord de l'Islande. Diplômé d'une... En savoir plus sur cet auteur