Rencontre entre le Premier ministre Shinzo Abe japonais et la présidente sud coréenne Park Geun Hye, le 2 novembre 2015 à Séoul (Crédits Song Kyung Seok)
Après trois ans de gel des relations diplomatiques entre le Japon et la Corée du Sud, les représentants de ces deux pays se sont vu lors de leur premier sommet commun le 2 novembre 2015 à Séoul. Si les deux nations s'étaient déjà rencontrées à l'occasion de sommets multilatéraux, la présidente de la Corée du Sud, Park Geun-hye, avait toujours refusé de rencontrer de manière bilatérale le Premier ministre du Japon, Shinzo Abe, depuis son arrivée à la tête du Japon en 2013. Les tensions entre ces deux pays ne se font pas seulement ressentir via la fragilité des relations diplomatiques mais se reflètent bel et bien dans la population japonaise mais surtout coréenne.
Le sentiment anti-japonais semble assez fort en Corée. Ce climat tendu entre les deux nations est surtout dû au fait que les Coréens ont la désagréable impression que le Japon ne reconnaît pas de manière honnête les faits historiques dans les relations qu'ont entretenu les deux pays.
Si à l'heure actuelle le Japon entretient des relations diplomatiques tendues avec certains de ses voisins, c'est surtout du fait du révisionnisme dont ont fait preuve – et font toujours preuve – les hommes politiques japonais. Ce que la Corée reproche aujourd'hui au Premier ministre nippon Shinzo Abe est de ne pas s'excuser de manière officielle pour la réduction en esclavage sexuel de centaines de milliers de femmes coréennes durant la Seconde Guerre mondiale.
Les femmes de réconfort
À première vue, les tensions actuelles entre ces deux pays seraient donc surtout basées sur des conflits mémoriels et notamment sur la reconnaissance des « femmes de réconfort ». Durant la Seconde Guerre mondiale, l'armée japonaise a en fait prostitué des milliers de femmes coréennes qui étaient forcées d'avoir des rapports sexuels avec les soldats nippons. Le Japon n'a, jusqu'à ce jour, jamais présenté d'excuses publiques et officielles de cet esclavagisme sexuel. Ce que réclame aujourd'hui la Corée et les femmes victimes de ces abus, c'est la reconnaissance des faits.
A Séoul (Corée du Sud), devant l'ambassade du Japon : manifestations des esclaves sexuelles de l'armée japonaise (crédits Lee Jae-Won)
En Corée, les faits n'étaient pas ou peu abordés jusque dans les années 1980. Les hommages aux femmes abusées passaient par la littérature, la musique ou la peinture, mais le débat n'était pas présent en tant que tel dans la société civile. C'est lors de la chute du mur de Berlin en 1989, que de nombreuses victimes de la guerre, restées muettes jusqu'à présent, vont commencer à raconter ce qu'elles avaient vécu, faisant émerger petit à petit, et partout dans le monde, les cicatrices de la guerre.
D'autre part, dans les années 1980 des présidents et des premiers ministres de gauche sont arrivés à la tête de la Corée et du Japon. Ces nouveaux dirigeants politiques étaient plus ouverts à la reconnaissance et à la restitution des faits. Depuis cette époque, la Corée a rendu publique son souhait de recevoir des excuses officielles du Japon.
Dans ce dernier pays, les choses sont toutefois plus compliquées : si certains premiers ministres nippons ont reconnu certains faits, d'autres affichent plus un discours révisionniste. C'est notamment le cas de Shinzo Abe, expliquant les relations tendues. Anne, enseignante détachée pour l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger, a vécu ces six dernières années au Japon. Pour elle, « le Japon a un vrai problème avec son histoire et la place qu'il fait à ses erreurs, les Japonais sont souvent accusés de révisionnisme historique ».
Lorsque les faits avaient surgi au devant de la scène internationale, l'Occident avait à l'époque sanctionné les actes des militaires et ceux de l'empereur Hiro Hito. Au-delà de cela, de nombreux pays avaient réagi et condamné le Japon pour des maisons closes de 1905 à 1945 qui abritaient plus de 200 000 adolescentes âgées de 11 à 14 ans. Venant des Philippines, de Malaisie, de Chine ou de Corée du Sud, ces jeunes filles, maltraitées et menacées régulièrement avec des armes blanches avaient été amenées de force au Japon.
Des reconnaissances explicites des faits ont tout de même eu lieu au Japon. Comme en août 1993 lorsqu'un dirigeant politique aurait reconnu que « l'armée japonaise de l'époque était, directement ou indirectement, impliquée dans la mise en place et la gestion » des maisons closes. Quoi qu'il en soit, actuellement, le Japon n'est pas dans l'optique de rémunérer les victimes ou leur familles pour les dommages causés. Pour les Japonais, l'accord de paix qui a été signé entre les deux pays en 1965 sert de dédommagement et c'est maintenant au gouvernement coréen d'attribuer des rémunérations financières aux victimes. Aujourd'hui 50 Coréennes abusées par les militaires japonais réclament que justice soit faite.
Un conflit territorial au centre des tensions
Bien que les tensions liées aux « femmes de réconfort » soient plus mis en avant, la lutte pour la possession des rochers Liancourt envenime les rapports diplomatiques entre Séoul et Tokyo. Les rochers Liancourt sont un ensemble de petites îles et îlots situés en mer de Chine et sont depuis le début du siècle dernier convoités à la fois par le Japon et par la Corée du Sud. Alors que les Coréens désignent les îles par l'appellation Tokdo ou Dokdo, le Japon lui les dénomme Takeshima. Le terme « rochers Liancourt » est quant à lui choisi par la société internationale qui ne veut utiliser Tokdo ou Takeshima, ce qui serait prendre partie pour l'un ou l'autre des pays.
Le conflit sur la mémoire qui apparaît en surface cache donc bien un conflit territorial qui est au cœur des tensions et des rivalités entre la Corée et le Japon. Ces îles paraissent insignifiantes au premier abord du fait de leur petite taille de huit et douze hectares pour les deux plus grosses, mais les deux pays les revendiquent pour des enjeux économiques. La détention des rochers Liancourt permettrait au pays propriétaire d'avoir l'exclusivité sur les 200 milles marins entourant les îles. L'enjeu économique devient alors non négligeable puisque dans la mer de Chine et aux alentours des îles se trouvent d'importantes ressources halieutiques.
Ces îles étaient en fait coréennes jusqu'en 1905 lorsque le Japon a colonisé la Corée ainsi que tous ses territoires. En 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la communauté internationale décide que la Corée redevient un territoire indépendant. L'article 2 du traité de San Francisco, signé en 1951, atteste en effet que le Japon renonce à tous ses droits et revendications sur la Corée. Les frontières du Japon sont donc déterminées, mais certaines zones géographiques sont laissées dans le flou. C'est le cas notamment des rochers Liancourt d'où les nombreuses tensions actuelles pour la possession de ces terres.
La lutte pour ces îles est aujourd'hui très intense et les deux pays tentent de convaincre leur population que ces rochers leur reviennent de droit. Le Japon a par exemple changé ses programmes d'études et inculque aux enfants dans les écoles que Takeshima leur appartient. À l'école, ces îles sont considérées comme acquises et la complexité et les tensions existantes avec la Corée n'est pas franchement expliquée. Dans ce sens, le Japon à fait passer un arrêt le 16 mars 2005 qui énonce que le 22 février sera désormais la « journée Takeshima ». Depuis, chaque 22 février, les Japonais organisent des grandes marches où ils célèbrent leur possession de l'île. « Les Japonais ne s'expriment jamais vraiment sur les thèmes conflictuels. [...] Il me semble qu'il serait difficile de parler de ce sujet au Japon sans mettre son interlocuteur mal à l'aise », déclare Anne.
Malgré ces différentes tensions et ces nombreux points de désaccords, la majorité de la population des deux pays est convaincue que les relations entre le Japon et la Corée sont extrêmement importantes. Pour Anne, la rupture des relations entre les deux nations serait « impensable tant les économies des deux pays semblent indépendantes ».
Même si les deux pays continuent de camper sur leur position, ils souhaitent indéniablement rétablir des relations diplomatiques correctes et veulent tous deux prôner la paix et la prospérité en Asie du Nord-Est. Si pour l'instant les relations restent froides sur le plan diplomatique, sur le plan économique, les produits des deux pays ont du succès dans l'autre. Les Coréens sont par exemple motivés pour apprendre le japonais et les Japonais sont eux très séduits par la musique, la mode venant de Corée, phénomène également appelé la « vague coréenne ».