Italie : Habemus Lettam, vers un gouvernement d’Union Nationale

29 Avril 2013



Mercredi 24 avril, le président italien Giorgio Napolitano a chargé Enrico Letta de former un nouveau gouvernement. Âgé de 46 ans, le numéro deux du Parti démocrate (PD) aura la lourde tâche de tenter de mettre fin à deux mois de crise politique.


Italie : Habemus Lettam, vers un gouvernement d’Union Nationale
La situation était bloquée depuis que les Italiens sont passés aux urnes les 24 et 25 février dernier, la tâche qui attend le futur exécutif s’annonce donc difficile. Sa priorité est de « répondre aux Italiens ». L'urgence pour Enrico Letta est avant tout de « répondre à l’Italie qui souffre, à celle qui n’a pas de travail ». Pour cela, il veut rendre à la politique italienne sa crédibilité. Première mesure : la modification de la loi électorale étant à l’origine du blocage politique. Si les Italiens votent à nouveau, le résultat serait aujourd’hui le même, d'après l'ancien secrétaire adjoint du PD qui souhaite donc changer le système bicaméral. Son projet consistera donc à réduire le nombre de parlementaires et, comme sa voisine française, moraliser la vie publique.
Mais pour cela, il faut donc un nouveau gouvernement. Un gouvernement depuis trop longtemps attendu rappelle Giorgio Napolitano : soixante jours déjà que les Italiens ont voté. Et pour le nouveau président de la République, il n’y a qu’une seule voie possible : une large convergence entre toutes les forces politiques. Une convergence qui peut ainsi assurer au futur gouvernement la majorité dans les deux chambres. Un gouvernement qu’Enrico Letta a déjà nommé : un « gouvernement au service du pays ».

Enrico Letta : la carte jeune

Giorgio Napolitano a joué avec Enrico Letta la carte jeune. Ce dernier, 46 ans, né à Pise, en Toscane, est diplômé en sciences politiques et en droit international de l’université de sa ville natale. Président des jeunes démocrates-chrétiens de 1991 à 1995, il est nommé ministre des Affaires européennes en 1998 par l'ancien chef du gouvernement Massimo d'Alema, qui le désignera, une année plus tard, ministre de l'Industrie. En 2004, il est député au Parlement européen sous l'étiquette de l'Olivier (centre gauche), puis nommé en 2006 secrétaire du Conseil des ministres par l'ancien président du Conseil, Romano Prodi. Ironie du sort, il remplace alors à ce poste son oncle, Gianni Letta, homme de confiance et conseiller de... Silvio Berlusconi, qui vient alors d'être chassé du pouvoir.
Âgé quant à lui de bientôt 88 ans, M. Napolitano a insisté sur le fait que Letta incarne une nouvelle génération, au moment même où les Italiens réclament un renouveau. «Il est jeune et même très jeune au regard des normes italiennes», a-t-il ironisé, tout en insistant sur l’expérience de M. Letta, qui a déjà occupé plusieurs postes ministériels.

Des réactions mitigées

Le chef du gouvernement sortant, Mario Monti, s’est «réjoui» de cette nomination, se disant certain que M. Letta «réussira à consolider la crédibilité de l’Italie au niveau international, de même que le rôle» de son pays dans la définition des «choix stratégiques de l’Union européenne».
Le Peuple de la Liberté (PDL) de Silvio Berlusconi a fait savoir qu’il soutiendrait le futur gouvernement. Quant à la Ligue du Nord, parti d’extrême droite et ex-alliée de Berlusconi, elle y sera hostile, tandis que le Mouvement 5 Étoiles de l’humoriste Beppe Grillo (M5S) a promis une «opposition constructive».
Le président américain Barack Obama a félicité «chaleureusement» Letta, souhaitant qu’États-Unis et Italie travaillent étroitement «pour la croissance», alors que l’Italie traverse sa plus longue période de récession de l’après-guerre. Mêmes vœux de réussite de la part de François Hollande et du président de l’Union européenne Herman Van Rompuy, qui a appelé M. Letta à «poursuivre les réformes entreprises par l’Italie».

Le gouvernement du renouveau

Le numéro deux du Parti démocrate, Enrico Letta, a donc présenté, samedi 27 avril, la composition d'un nouveau gouvernement de coalition avec la participation du Peuple de la liberté (PDL), le parti de Silvio Berlusconi, soulignant que ce gouvernement est « l'unique possible » pour sortir l'Italie de l'impasse dans laquelle elle se trouve.
Angelino Alfano, secrétaire général du PDL et un des plus proches alliés de M. Berlusconi, aura le rang de vice-président du conseil, et sera aussi ministre de l'Intérieur. L'ancienne commissaire européenne Emma Bonino sera aux affaires étrangères et le directeur de la Banque centrale, Fabrizio Saccomanni, sera chargé de l'économie. Annamaria Cancellieri, qui était ministre de l'Intérieur dans le gouvernement de Mario Monti, est quant à elle nommée ministre de la Justice.
Parmi les nouvelles têtes du gouvernement d'Enrico Letta, Cécile Kyenge se distingue comme la première femme de couleur nommée ministre en Italie. Elle est le visage de la diversité du nouveau gouvernement italien. Congolaise d’origine et mariée à un Italien avec lequel elle a fondé une famille, Cécile Kyenge s'est engagée en politique dans le Parti démocrate (gauche), mettant son expérience d'immigrée au service de son action. Aujourd'hui en charge de l'Intégration, la jeune ministre veut remplacer le droit du sang par un droit du sol.
Le nouveau gouvernement a prêté serment dimanche dans la matinée et devrait être en mesure de se soumettre à un vote de confiance des parlementaires très prochainement.
Après deux jours d'intenses tractations, M. Letta a abouti à ce compromis qui semble, pour la première fois depuis les élections législatives de février, avoir des chances d'obtenir la confiance des deux chambres, comme le prévoit la Constitution. En présentant avec une sobre satisfaction son gouvernement, il s'est surtout félicité du « record de présence féminine et le rajeunissement de l'équipe ».
Le Mouvement Cinq Étoiles (M5S) de Beppe Grillo reste à l'écart du jeu politique. Pour son chef de file, la création de cette coalition droite-gauche est « une orgie digne du meilleur des bunga bunga », allusion aux fêtes privées organisées par le Cavaliere, revenu sur le devant de la scène alors que beaucoup l’en croyait définitivement écarté par ses ennuis judiciaires.

« Le résultat correspond à l’engagement pris »

Sous le titre Un médecin pour une Italie malade, le fondateur du journal de gauche de La Repubblica, Eugenio Scalfari estime que le nouvel exécutif est « un bon gouvernement compte tenu des circonstances » : « Letta avait promis compétence, fraicheur et des noms qui ne divisent pas, le résultat correspond pleinement à l'engagement pris ». Seul bémol à cet enthousiasme : le quotidien souligne que Berlusconi a réussi à imposer son bras droit Angelino Alfano comme vice-premier ministre et ministre de l'Intérieur.
Mais d'autres commentateurs évoquent les craintes suscitées chez les avocats du Cavaliere, aux prises avec deux procès, par la nomination à la justice de l'ancienne préfete Annamaria Cancellieri, à la réputation d'incorruptible. À propos du pari de M. Letta, La Stampa de Turin et le Messagero de Rome insistent tous deux sur la sortie de scène des poids lourds des partis, comme Pierluigi Bersani, leader du PD.

Une cérémonie ternie par des coups de feu

Le gouvernement Enrico Letta a prêté serment dimanche dans la matinée au Palais du Quirinal à Rome, dans une cérémonie solennelle, mais ternie par des coups de feu tirés sur des carabiniers par un « désespéré » devant le Palais Chigi, siège du gouvernement. Au beau milieu de la prestation de serment, mais à l'insu des participants, un homme a tiré une série de coups de feu sur des carabiniers en faction devant l’édifice. L'un d’entre eux a été touché grièvement à la colonne vertébrale, l'autre aux deux jambes. L'auteur des tirs, rapidement appréhendé par la police, souffre de légères contusions.
Le nouveau ministre de l'Intérieur, Angelino Alfano, chef du parti de Silvio Berlusconi, a parlé d'un « acte isolé », déclarant que l'auteur, Luigi Preiti, un chômeur calabrais de 49 ans, « a manifesté l'intention de se suicider, mais n'y est pas parvenu, car il avait vidé son chargeur ». Le procureur de Rome, Pierfilippo Laviani, a décrit un « homme plein de problèmes qui a perdu son travail et a dû retourner vivre chez ses parents en Calabre. » Le maire, Gianni Alemanno a quant à lui évoqué « le geste d'un déséquilibré », mais la famille et les voisins de Luigi Preiti ont nié toute pathologie psychique. Selon le magistrat, le tireur voulait initialement « tirer sur des hommes politiques, mais comme il a vu qu'il ne pouvait pas, il a tiré sur les carabiniers ».
Il s'était séparé il y a deux ans et demi de sa femme et traversait des difficultés économiques. Il était retourné en Calabre pour vivre chez ses parents à Rosarno, laissant dans le Piémont sa femme et leur fils de 10 ans. Il détenait illégalement l'arme qu'il a utilisée, un pistolet Beretta semi-automatique de calibre 7,65.
Par précaution, le ministre Alfano a renforcé la surveillance « des objectifs à risque », notamment Montecitorio, le siège de la Chambre des députés, où le nouveau Premier ministre Enrico Letta se présentera lundi après-midi pour son premier discours de politique générale. Le nouveau ministre des Infrastructures Maurizio Lupi (droite) s'est toutefois voulu rassurant en affirmant qu' « il n'y a pas de lien entre ce geste et la prestation de serment du gouvernement ».
Le patron de la Ligue du nord et président de la région Lombardie, Roberto Maroni, a accusé le Mouvement 5 Étoiles de l'ex-humoriste Beppe Grillo d'avoir alimenté la colère contre la classe politique. « Certains soutiennent que les hommes politiques sont la cause de tous les maux », a-t-il dénoncé. Mais l'ex-comique a condamné le geste de Luigi Preiti. « Le M5S est absolument contre la violence. Notre unique violence est de recueillir des signatures pour des pétitions, faire des référendums et des lois voulues par le peuple ».
Après les tirs, le passage de relais entre les gouvernements de Mario Monti et d'Enrico Letta s'est poursuivi normalement, avec le traditionnel échange de la clochette du conseil des ministres.

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Julie CARBALLO
Journaliste correspondante en Italie (Sienne), pour Le Journal International. En savoir plus sur cet auteur