Irlande - Israël, deux peuples, deux conflits

13 Janvier 2014



Lorsque Vladimir Jankélévitch affirmait que « la Terre promise est éternellement compromise », ce n’était pas à l’Irlande qu’il pensait. Mais entre l’Irlande des Troubles et le conflit israélo-palestinien, la parenté est frappante. Quelles sont les leçons qui peuvent être tirées de la résolution de la question irlandaise vis-à-vis des conflits actuels qui sévissent au Moyen-Orient ?


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Deux peuples, deux cultures, deux langues, deux religions, des martyrs : un conflit qui s’éternise. D’un côté, les Palestiniens. De tradition et de culture musulmane, ils disent être là depuis toujours et ne s’éloigneraient pour rien au monde de Jérusalem. De l’autre côté, les Israéliens. Juifs, ils affirment être en Terre sainte depuis plus longtemps que les Palestiniens. Si leur peuple a partiellement quitté Canaan pendant des siècles, la Shoah les a conduits à revenir à leur source, et ils estiment que la Terre promise est à eux. Jérusalem est trois fois sainte, mais les catholiques, après de nombreuses croisades, n’y ont plus d’aspiration. Jérusalem appartient au territoire israélien mais les Palestiniens la revendiquent. Les Israéliens et les Palestiniens sont des peuples frères, ce sont des voisins, ce sont des ennemis. La situation, insoluble, dure depuis plus d’un demi-siècle. La région est une poudrière.

Deux peuples, deux cultures, deux religions, des martyrs : un conflit qui s’éternise. D’un côté, les Britanniques. De tradition et de culture anglicane, ils disent être là depuis toujours et ne quitteraient pour rien au monde l’Irlande du Nord. De l’autre côté, les Irlandais. Catholiques, ils sont ici depuis aussi longtemps que les Britanniques : victimes de leur domination politique, ils sont maintenant démographiquement majoritaires en Irlande du Nord. Belfast est trois fois stratégique : c’est d’abord un lieu symbolique, la rivale britannique de Dublin. Ancienne ville industrielle, c’est un pôle économique. Avec sa région, c’est enfin un espace aussi prometteur qu’en mutation. Belfast appartient au Royaume-Uni mais les Irlandais l’ont officiellement revendiquée jusqu’en 1998. Les Britanniques et les Irlandais sont des peuples frères, ce sont des voisins, ce furent des ennemis. La situation a duré plus de deux siècles. Mais le conflit a été réglé en grande partie. Depuis les accords de Belfast et le cessez le feu de l’IRA en 2005, aussi imparfaite, provisoire et incertaine soit-elle, la paix a enfin pu être scellée.

Les chemins de la réconciliation

La similarité des deux situations est frappante. Bien sûr, les deux conflits ne sont pas identiques et possèdent leur complexité propre. Néanmoins, ils sont structurés avant tout sur des questions religieuses, culturelles et territoriales. Les banlieues de Belfast comme celles de Jérusalem forment en effet une mosaïque où alternent, côte-à-côte, les quartiers de deux communautés. La symétrie entre les deux conflits est par ailleurs d’autant plus évidente qu’elle est souvent faite en République d’Irlande qui s’assimile régulièrement à la Palestine. Si le processus de paix appliqué en Irlande n’est pas applicable à la lettre à la situation israélo-palestinienne, il constitue tout de même un précédent et donc une source de réflexion.

La première des modestes leçons qui peuvent être tirées du processus de paix irlandais est qu’un conflit religieux moderne ne peut se terminer pacifiquement sans réconciliation. L’apprentissage de la tolérance, le dépôt des armes et la reconnaissance de l’autre comme un « étrange Je », selon la formule d’Edmond Jabès, serait un grand pas dans le règlement de la question israélo-palestinienne. Cette transition reste largement à inventer à cause de la singularité du conflit israélo-palestinien, mais l’Irlande a ouvert la voie. La confrontation du conflit irlandais à celui en Israël est d’ailleurs l’objet de nombreuses initiatives dont celle de l’ICCI (Interreligious Coordinating Council in Israel – Conseil de coordination inter-religions d’Israël) qui travaille entre autre avec la Communauté Corrymeela en Irlande du Nord afin de favoriser les rencontres entre les membres des quatre communautés (irlandais, nord-irlandais, israéliens et palestiniens) dans l’objectif de mettre un terme aux méfiances, qui entretiennent largement le conflit.

Vers une culture de la paix

Le processus de paix irlandais apprend également à l’observateur que la paix est plus facile en présence d’un médiateur. Pour l’Irlande, ce sont les Etats-Unis mais aussi l’Union européenne qui ont favorisé l’apaisement. Sans souhaiter l’intervention d’un Etat extérieur au conflit israélo-palestinien, et tout en reconnaissant le rôle déjà actif entre autre des Etats-Unis, peut-être faut-il donc souhaiter l’implication de nouveaux médiateurs désintéressés.

Par ailleurs, parce que selon la formule d’Aristide Briand, « il faut être deux pour faire la paix : soi-même et le voisin d’en face », seule une convergence des intérêts israéliens et palestiniens en faveur d’une cessation des violences pourra permettre la résolution du conflit. C’est en effet parce que la paix était devenue souhaitable pour les deux camps en Irlande du Nord qu’elle a été possible : la violence ne cèdera jamais au Moyen-Orient tant que les deux parties au conflit ne trouveront pas dans la paix un intérêt commun.

Mais le processus d’apaisement en Irlande du Nord montre que deux bonnes volontés et des médiateurs ne sont pas suffisants en vue de sceller une paix durable. Pour ce faire, il faut également un contexte, un climat et une culture de la paix dans la région. Ce n’est qu’avec la disparition des menaces provenant de Londres et l’émergence d’une réelle volonté de paix que celle-ci est devenue accessible en Irlande. Le conflit israélo-palestinien ne pourra être résolu en présence de menaces lui étant extérieures, que celles-ci proviennent d’une intervention potentielle de l’Iran ou de l’instabilité en Syrie.

Au-delà des religions

L’exemple irlandais montre que les conflits religieux ne sont jamais que des conflits politiques. La belligérance entre catholiques et protestants n’y est qu’une opposition entre adeptes de la monarchie anglaise (la Reine étant protectrice de l’Eglise anglicane) et républicains. Au Moyen-Orient, la question religieuse est, dans la même idée, avant tout un conflit territorial, culturel et politique. La religion n’est jamais qu’un marqueur. C’est aussi un catalyseur potentiel de la paix : pour être plus concret, rêvons donc, par exemple, à l’image des chapelles universitaires irlandaises où se déroulent tour à tour, dans le même lieu, les offices catholiques, méthodistes et anglicanes, d’endroits où musulmans et juifs pourraient venir prier côte-à-côte à Jérusalem. Et pourquoi ne pas développer, dans la même idée, les sports d’équipes : ne vaut-il pas mieux canaliser l’adversité sur un terrain de sport (au rugby dans le cas irlandais) plutôt que de la laisser se développer dans la vie quotidienne ?

L’exemple irlandais a montré que même les ennemis de longue date peuvent se réconcilier par le biais de compromis. Mais faire la paix n’a pas de sens sans la possibilité et la volonté de la maintenir, problème qui se pose aujourd’hui en Irlande du Nord. Toutefois, un accord en vue d’une paix durable entre Israël et la Palestine pourrait parer à cette difficulté par un désarmement et la promotion de la paix (arrêt du service militaire…). Si ce conflit est un véritable sac de nœuds, il faut saisir les opportunités pour en démêler les fils : il est temps d’en finir avec le conflit israélo-palestinien !

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