Iran : fin de la censure pour l’art ?

15 Janvier 2014



Mercredi 8 janvier, salle Talar-é Vahdat, en plein centre de Téhéran. Le président Hassan Rohani rencontre écrivains, musiciens, artistes et réalisateurs suscitant la colère de la presse et de certains conservateurs.


Hassan Rohani, président de la République islamique d'Iran
Hassan Rohani, président de la République islamique d'Iran
Le 8 janvier, Hassan Rohani, actuel président de la République islamique d'Iran, fait son entrée dans la salle Talar-é Vahdat, sous les applaudissements de la foule, composée pour la plupart d'artistes. Leur présence ici est inédite, tout comme cette cérémonie, vu le climat de censure et d'interdiction qui régnait sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad.

« Toute sorte d'ambiance policière risque de faire mourir la naissance de l'art (…). L'art n'est pas une menace et l'artiste ne met pas en danger la sécurité du pays », a déclaré lors de cette cérémonie Hassan Rohani. Etonnement général parmi les invités concernant l'approche de plus en plus ouverte du chef de l'Etat iranien envers l'art. Mais ce pas important dans le camp des artistes n'est pas du goût de tout le monde dans ce pays ou de nombreux écrivains et autres réalisateurs, en désaccord avec la politique menée par l'ancien gouvernement, ont fait l'objet d'interdiction de travailler et d'intimidations successives. En particulier, il est difficile de passer à côté de la colère grandissante de la presse et de certains officiels conservateurs.

Durant cet événement assez singulier, six représentants des différents domaines de l'art ont enfin eu l'occasion de s'exprimer concernant leurs revendications et en expliquant plus particulièrement les nombreuses difficultés dues à leur travail. Ainsi, le retour des artistes qui ont été exclus ces dernières années de la scène iranienne, l'augmentation du budget du Centre de la musique ou encore l'établissement des règles en ce qui concerne la censure des livres a été au cœur du débat.

Entre optimisme et espoir

Parmi les invités de cette cérémonie, l'écrivain Mahmoud Dolatabadi, la réalisatrice Rakhstan Banietemad, le musicien Shahram Nazeri et même le chef d'orchestre Loris Cheknavarian. Leur présence en dit très long sur les nombreuses attentes et espérances de toute cette communauté rassemblée autour d'un objectif unique : faire vivre leur pays par la liberté d'expression et d'opinion. Tous ont connu sous les deux mandats interminables du président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad, la marginalisation, le contrôle, le bannissement de leur travail, le chantage, la menace et bien sur la pression. L'écrivain Mahmoud Dolatabadi en est un exemple frappant : aucun de ses livres n'a reçu l'autorisation de publication durant les huit années précédentes.

Optimisme, espoir et ouverture... voilà les mots qui pourraient qualifier l'arrivée au pouvoir d'Hassan Rohani. Mais cette rencontre n'est finalement pas autant une coïncidence que cela et aurait bien plus de signification qu'on ne voudrait bien le croire. En effet, elle intervient au lendemain du premier avertissement du Parlement (majoritairement conservateur) à l'égard du ministre de la Culture et de l'Orientation islamique, Ali Janati. La veille, ce dernier avait fait l'objet d'une convocation au Parlement pour « non respect des règles islamiques », expression employée par certains députés, car celui-ci avait émis la possibilité de faire chanter les femmes en solo, projet actuellement interdite en Iran.

Les artistes, « des herbes sauvages, faux et sans âmes » ?

Des promesses, Hassan Rohani en a fait durant cet événement si particulier, comme le relancement des activités de l'Orchestre symphonique de Téhéran et de l'Orchestre national, tout deux suspendus sous le précédent gouvernement, faute de subventions étatiques. Le président ajoutant par la suite que « même si le ministre de la Culture reçoit un nouveau carton jaune du Parlement (à la suite de trois cartons jaunes, le ministre mis en cause peut automatiquement être convoqué devant le Parlement et faire l'objet d'un nouveau vote de confiance, ndlr), cela n'inquiétera pas le gouvernement ».

Mais de nombreux détracteurs sont à l'heure actuelle opposés à tout rapprochement avec le monde de l'art comme en démontrent les multiples menaces lancées par les conservateurs, ceux-ci se sentant ignorés dans leurs mises en garde contre les dangers sécuritaires que pourraient entraîner l'art en général. En ce sens, on pourra remarquer la manière dont le quotidien ultraconservateur Keyhan traite « d'herbes sauvages, faux et sans âmes » les artistes du pays. Ce même quotidien ajoutait il y a peu de temps : « il n'est pas acceptable que l'approche séculaire à l'égard de l'art soit défendue par le président ».

Dans le même ordre d'idée, le journal Javan, financé de son côté par les gardiens de la révolution, est allé encore plus loin en dénonçant ces artistes comme portant atteinte à la sécurité du pays. La question est donc très simple : essayer de produire des films en contournant le ministère de la Culture mais en montrant sa propre vision d'un pays qui durant huit ans a sombré culturellement et socialement, est-ce porter atteinte à la sécurité d'un pays ?

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