La dernière législation européenne autour des nouveaux aliments date de 1997. Or, les technologies ont depuis évolué et ouvert la porte à de nouveaux marchés et à de nouvelles propositions pour résoudre certaines problématiques liées à l’alimentation. Le texte voté lors de la dernière session plénière d’octobre visait donc principalement à faire tomber des barrières jugées archaïques.
Encadrer les nouvelles technologies de production alimentaire
Ce faisant, la résolution introduit « des catégories pour les denrées alimentaires dont la structure moléculaire est nouvelle ou a été délibérément modifiée, ainsi que pour les denrées alimentaires dérivées de cultures cellulaires ou tissulaires obtenues à partir d’animaux, de végétaux, de micro-organismes, de champignons ou d’algues, et pour les denrées alimentaires dérivées de matériaux d’origine minérale. Une catégorie devrait également inclure les denrées alimentaires dérivées de végétaux obtenus à partir de pratiques de multiplication non traditionnelles, lorsque ces pratiques entraînent des modifications significatives de la composition ou de la structure des denrées alimentaires affectant leur valeur nutritionnelle, leur métabolisme ou leur teneur en substances indésirables. Les denrées alimentaires composées de certaines micelles ou de certains liposomes peuvent également être comprises dans la définition des nouveaux aliments. »
Ouvrir la porte aux innovations culinaires
Pour prendre un exemple concret, cela signifie qu’un hamburger aux vers de farine lyophilisés, tel que l’a imaginé la chaîne de fastfood Speed Burger à l’occasion d’Halloween, ne sera plus interdit par la répression des fraudes comme ce fut le cas. « On a peut-être été un peu trop créatifs par rapport à l’Etat français » ironisait encore il y a quelques jours Bruno Bourrigault, codirigeant de l’enseigne. Pour l’institution européenne, un nouvel aliment est une « denrée alimentaire dont la consommation humaine est restée négligeable dans l’Union européenne avant la date du 15 mai 1997. » Reste que dans les faits, la consommation d’insectes est tolérée voire légalisée dans certains pays comme la Belgique et les Pays-Bas. Par ailleurs, l’ONU soutient le développement de l’entomophagie pour contrer la faim dans le monde. On peut donc imaginer que les sandwichs fourrés aux coléoptères ne seront plus interdits sur le continent dans un avenir proche.
Des nouveaux aliments à surveiller de près
Les insectes ne représentent toutefois qu’un seul des 7 nouveaux aliments validés par le Parlement européen. L’autorisation de la nourriture qui consiste en des « nanomatériaux manufacturés » a ainsi fait débat. Avec l’alimentation issue du clonage animal, il constitue l’un des points de discorde du dossier. Pour faire passer la résolution qui posait problème depuis plusieurs années, la limite autorisée est passée de 500 nanomètres de nanomatériaux à 100 nanomètres. La partie clonage faisait quant à elle l’objet de mesures spécifiques. Mais à l’instar des insectes, les nanomatériaux n’ont pas attendu la législation pour entrer en territoire européen. José Bové (EELV) a ainsi rappelé de manière alarmante que « plus de 80 produits déjà en vente sur le marché européen contiennent des nanoparticules, sans que le consommateur le sache. »
L’Union européenne se veut pourtant rassurante en précisant que les produits de la liste initiale ne concernent que « les nouveaux aliments déjà évalués en matière de sécurité, qui ont été légalement produits et mis sur le marché dans l’Union et n'ont fait apparaître aucun risque pour la santé dans le passé. » Il est souligné que, pour les autres cas, « il y a lieu de recourir à la procédure d’examen pour l’adoption d’actes d’exécution. »
La procédure consiste notamment à faire examiner chaque nouvel aliment par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) avant sa commercialisation. L’organisme évalue la toxicité potentielle du produit et les éventuels déséquilibres nutritionnels induits par son introduction dans le régime alimentaire global.
Des produits au service de la santé
De fait, le dossier met surtout en avant les points positifs des nouveaux aliments autorisés : « Les nouvelles technologies et les innovations dans la production de denrées alimentaires devraient être encouragées, car elles pourraient réduire l’incidence de la production de denrées alimentaires sur l’environnement, améliorer la sécurité des denrées alimentaires et apporter des avantages aux consommateurs pour autant qu’un niveau élevé de protection du consommateur soit assuré. » Lors du débat au Parlement européen, la députée néerlandaise Anja Hazekamp (Gauche unitaire européenne, gauche verte nordique) souligne toutefois la primauté de l’intérêt économique de « ces nouvelles règles [qui] sont surtout faites pour permettre aux grands groupes agroalimentaires de développer de nouvelles activités et d’augmenter leurs profits. »
Toujours est-il que si le texte passe le Conseil des ministres, ce qui est très probable, on devrait pouvoir se procurer des fruits exotiques encore méconnus en Europe, des produits laitiers enrichis aux phytostérols pour réduire le cholestérol, des préparations à base d’insectes ou de microalgues ou encore des jus de fruits issus de techniques de productions inédites. Les nanomatériaux, pour leur part, s’avèrent utiles pour diminuer la teneur en graisse, en sel, en calories ou en émulsifiants des aliments et pour faciliter l’assimilation de nutriments ou compléments alimentaires par l’organisme.
Controverses sur l’autorisation des nanomatériaux dans l’alimentation
C’est du moins les arguments mis en avant dans le dossier. Force est de constater que c’est justement la question des nanomatériaux qui a suscité les plus vifs échanges, et ce malgré la révision du texte. Parmi les 202 eurodéputés ayant voté contre le projet de réforme, Marie-Christine Boutonnet (Front National) dénonce « l’absence de véritable étude sur les impacts sanitaires – le risque particulier encouru par les femmes enceintes et les bébés, [et] l’absence de législation sur ce sujet pour les nourritures animales. »
José Bové (EELV) a également voté contre et étaye sa position en se référant à l’entreprise américaine de donuts, Dunkin’ Donuts, qui « vient de retirer les nanoparticules de ses produits parce qu’il existe un risque pour la santé. » L’eurodéputé vert rappelle que l’« on sait déjà que [les nanoparticules] traversent la paroi des cellules et créent un certain nombre de problèmes, notamment chez les jeunes. »
Ces péroraisons sont à prendre au sérieux à en juger l’Association des Industries Nanotechnologiques (NIA). Pour cet organisme indépendant, le texte est « vague, obscur et contredit fermement les régulations établies sur les nanomatériaux, qui ont été effectivement utilisés pendant des années par les institutions européennes. » Ainsi, la partie autorisant les matériaux « composé[s] de parties fonctionnelles distinctes » est un problème selon l’organisation car le terme « parties fonctionnelles distinctes » prête à confusion et « ajoute une complexité supplémentaire étant donné que cela n’a que peu de fondement scientifiques et ouvre la voie à un large éventail d’interprétations lors de la mise en application. »
Avertissements sur les autres nouveaux aliments
Outre les nanomatériaux manufacturés, les 6 autres aliments autorisés par le Parlement ne sont pas en reste et font eux aussi, l’objet de certains avertissements. A propos des nouveaux aliments qui contiennent ou qui sont produits à partir de plantes, le Bureau européen des unions de consommateurs prévient que « le fait qu’une plante tropicale ait été consommée pendant des décennies dans un pays tiers sans dommages reportés ne signifie pas que le produit est sans danger. Nous comptons sur l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) pour récolter le genre de preuves nécessaires pour démontrer la non-dangerosité de la consommation des produits exotiques. »
L’EFSA a d’ailleurs récemment évalué les risques de consommation d’insectes. Le site officiel de l’institution rapporte que « selon les experts scientifiques de l'EFSA, la présence éventuelle de risques biologiques et chimiques dans les aliments dérivés d’insectes dépendrait des méthodes de production utilisées, du substrat sur lequel les insectes sont nourris, de l’étape du cycle de vie à laquelle les insectes sont « récoltés », de l’espèce d’insecte, ainsi que des méthodes utilisées pour leur traitement ultérieur. » Pour le dire autrement, si les risques existent, ils ne sont pas intrinsèquement liés au produit.
Le consommateur pris comme cobaye
L’EFSA est donc le dernier verrou pour autoriser un nouvel aliment à circuler sur le marché européen. Mais ce verrou est-il vraiment fiable ? Le Parlement souligne dans son rapport que « les nouveaux aliments devraient être sûrs, et si leur sécurité ne peut être évaluée et qu’une incertitude scientifique persiste, le principe de précaution peut s’appliquer. » L’utilisation du verbe pouvoir souligne explicitement qu’il ne s’agit que d’une possibilité et en aucun cas d’une exigence. Le principe de précaution devrait pourtant être impératif. Serions-nous alors les cobayes de cette alimentation du futur ?
Et le rapport du Parlement d’ajouter: « des exigences en matière de surveillance consécutive à la mise sur le marché peuvent donc être justifiées par la nécessité de recueillir des informations sur la commercialisation réelle des aliments. » Un aliment est autorisé s’il « ne présente aucun risque en matière de sécurité pour la santé humaine, compte tenu des données scientifiques disponibles. » Autrement dit, l'idée que les données scientifiques disponibles puissent être insuffisantes pour faire le lien entre une pathologie et un aliment n'empêchera pas la mise en vente dudit aliment.
En France, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (ANSES) fournit justement ce genre de données. Par l’intermédiaire de son formulaire de signalement de nutrivigilance censé « améliorer la sécurité du consommateur en identifiant rapidement d’éventuels effets indésirables liés à la consommation », elle récolte des données provenant de personnes ayant consommé des produits nouveaux. On peut regretter qu’il s’agisse d’une vérification après-coup se fondant sur une participation quasi-forcée des citoyens. Il est à noter que l’ANSES travaille en étroite collaboration avec des organismes européens comme l'EFSA. C’est donc ce genre de données qui nous permettent d’en savoir plus sur les effets de produits comme la gomme de guar ou le jus de noni.
Plus précisément encore, le Parlement européen reconnaît même le manque de savoirs scientifiques sur les nanomatériaux : « pour mieux évaluer la sécurité des nanomatériaux à usage alimentaire, et afin de remédier au déficit actuel de connaissances […], des méthodes d’essai […] pourraient être nécessaires. »
Sans s’attarder une fois de plus sur l’utilisation du verbe pouvoir, il semble que le rapport admette à demi-mot la potentielle dangerosité des nanomatériaux et le statut de « cobayes » endossé bon gré mal gré par les consommateurs. Tout cela est encore une fois dénoncé par les eurodéputés défavorables à cette partie du texte, comme Joëlle Mélin (Front national) qui affirme qu’« avec les nanomatériaux, nous risquons des scandales sanitaires considérables ».
En résumé, s’il est appréciable que l’Union européenne ait révisé la législation en vigueur sur l’alimentation, qui était devenue vétuste depuis 1997, on peut regretter que la question des nanomatériaux manufacturés n’ait pas fait l’objet d’un vote à part, au même titre que les aliments issus d’animaux clonés. Le respect du principe de précaution semble avoir été bafoué, et à moins que le conseil de l’Union européenne ne refuse le dossier, les mesures seront entérinées telles quelles.