Inde : le pouvoir politique affaibli par la crise sri-lankaise

19 Mars 2013



Dans l'Etat du Tamil Nadu, au sud-est de l'Inde, toutes les universités ont fermé. Les étudiants rentrent massivement chez eux. À l'échelle nationale, la coalition vient d'éclater et laisse le pouvoir en place plus faible que jamais. Ethnies, droits de l'Homme, mouvements étudiants et intérêts politiques : le cocktail est explosif à un an des élections législatives. Reportage et éclairages sur une crise de premier plan.


@Thomas Denis
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Sur l'appel qu'ils adressent au gouvernement indien et aux Nations Unies, les étudiants de l'université de Loyola, à Chennai, réclament une résolution à l'encontre du Sri Lanka. Un à un, garçons et filles signent une pétition pour la reconnaissance d'un génocide planifié des Tamouls du Sri Lanka, sous l'objectif avide des caméras de télévision. Les porte-parole ont à peine la vingtaine et passent à la chaîne aux micros de la télévision locale. Le discours est rodé et l'atmosphère plutôt sereine. Mais une semaine plus tard, la situation s'est envenimée. À Chennai et au Tamil Nadu, toutes les universités ont fermé leurs portes pour une durée indéterminée. Le gouvernement semble vouloir éviter de mêler les étudiants à une crise qui les dépasse. Au point que l'on se demande qui est réellement derrière ce mouvement qui gagne désormais la société civile.

Solidarité tamoule

@Thomas Denis
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Il s'agissait au départ d'une mobilisation estudiantine de petite ampleur. Quand au début du mois de mars une dizaine d'étudiants de l'université Loyola à Chennai entament une grève de la faim, ils attirent avec succès l'attention sur leur action en apparence spontanée. Le groupe dénonce le génocide et les crimes de guerre perpétrés par l'armée sri-lankaise à l'encontre de leurs frères Tamouls pendant la guerre civile qui a opposé le gouvernement cinghalais bouddhiste à la guérilla des Tigres tamouls, séparatistes hindous. Des frères tamouls minoritaires au Sri Lanka avec qui ils partagent une ethnie, une langue et une culture. Selon l'ONU, le conflit, qui a duré de 1972 à 2009, a fait environ 100 000 morts sur l'île. Certaines organisations avancent le chiffre de 40 000 victimes civiles. À Chennai, capitale du Tamil Nadu, le sujet est particulièrement sensible mais pas vraiment nouveau. Pour Karthik Shankar, étudiant en sciences humaines, « tout le monde au Tamil Nadu est d'accord pour parler de crime de guerre. » Si les revendications désormais scandées dans tout l'Etat ne s'adressent pas à l'opinion tamoule déjà convaincue par les atrocités commises au Sri Lanka, que recherchent donc les manifestants ? À Loyola comme dans les autres établissement mobilisés, les étudiants s'adressent clairement au gouvernement central indien et aux Nations Unies. Mais dans les cortèges improvisés aux portes des universités, les jeunes gens semblent plus préoccupés par l'idée de sécher les cours que de porter un message fort. Comme l'étrange sentiment qu'ils ne sont que des marionnettes aux services d'une cause bien plus intéressée que la protection des droits de l'Homme.

Une manœuvre politicienne

@Thomas Denis
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Thejaswin Venkatesan, étudiant en journalisme à Chennai, est lui convaincu que les étudiants sont manipulés. « Le DMK a tellement d'influence dans les universités ici. C'est une évidence que le parti est derrière tout ça. », avance-t-il, sûr de lui. Même son de cloche chez son collègue Ramalingam Va, plus prudent : « Tout ça n'est pas clair. Mais ça pourrait bien être politique même si aucun parti ne soutient explicitement le mouvement. » Le DMK (Dravida Munnetra Kazhagam), parti régional pro-tamoul et nationaliste, est particulièrement puissant dans le Tamil Nadu. Même si son leader a demandé aux étudiants de stopper leur grève de la faim, l'organisation a tout intérêt à attirer l'attention sur le problème sri-lankais. Pour Karthik Shankar, ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les principaux foyers de mobilisation sont menés par des unions étudiantes aux forts liens politiques. « De nombreux membres de ces unions ont un bagage politique ou des parents politiciens. Ils sont même recrutés par les partis une fois diplômés. », explique le jeune homme avant d'ajouter que « c'est un moyen de faire pression sur le gouvernement un an avant les élections ». Comme pour corroborer ses propos, une information de première importance tombe. Le DMK, insatisfait par l'immobilisme du gouvernement face à la crise sri-lankaise, quitte la coalition nationale. Le parti du Congrès de centre-gauche du premier ministre Manmohan Singh est plus affaibli que jamais. Impossible pour le pouvoir de satisfaire les exigences du DMK et de soutenir la cause séparatiste des tamouls du Sri Lanka. Si l'Inde prenait ce genre de position, il serait alors intenable de justifier la répression violente des mouvements séparatistes au Kashmir et au nord-est du pays...

Le spectre de la violence

Pour revenir au Tamil Nadu, reste à savoir comment les autorités vont gérer la crise là où elle est la plus sensible. Les deux principaux partis de l'Etat, le DMK et l'AIADMK au pouvoir, ont toujours manipulé le problème sri-lankais à grands coups de surenchère. « C'est à qui sera le plus anti-srilankais. C'est désespérant. », souffle Karthik Shankar. Déjà, des premières violences dans Chennai à l'encontre de moines sri-lankais sont à déplorer. Sans aucun étudiant au travail, la ville et l'Etat tout entier semblent retenir leur souffle. Une situation qui fait craindre le pire. En 1991 déjà, le Premier ministre indien, Rajiv Gandhi, a payé son soutien à l'armée sri-lankaise. Son assassinat à quelques kilomètres de Chennai a laissé des traces. L'actualité a donc de quoi remuer de très mauvais souvenirs dans la plus grande démocratie du monde.

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Thomas Denis
Je suis étudiant en journalisme à Chennai au sud de l'Inde. Diplômé de l'école de journalisme de... En savoir plus sur cet auteur