Le Golfe de Guinée est une zone riche en ressources naturelles qui accueille un trafic maritime conséquent. Les réserves de pétrole de la région représentent environ 8 % des réserves mondiales prouvées. C’est aussi une région bien pourvue de gaz naturel et de ressources halieutiques. Par conséquent, le trafic maritime s’est fortement accru ces dernières décennies et crée autant de cibles potentielles pour les groupuscules pirates. La plupart de leurs attaques sont menées contre des navires transportant des produits pétroliers ou des bateaux de pêche des populations locales. Les pertes économiques sont conséquentes aussi bien pour les États que pour les entreprises, et certains groupes pétroliers occidentaux comme Shell ou Total se sont d’ailleurs désengagés de la région.
Des acteurs particuliers et violents
Le MEND (Mouvement pour l’émancipation du détroit du Niger) est l’un des principaux groupes pirates à sévir au Nigéria. Si elle s'est rendue officielle, c'est dans le cadre de la lutte contre les compagnies pétrolières et le gouvernement nigérian. Mais même s’il brandit des revendications politiques, le MEND semble surtout poursuivre des intérêts économiques. D’ailleurs, il ne se contente pas de viser les navires pétroliers mais pille régulièrement, à terre comme en mer, les populations locales qui vivent de la pêche ou de l’agriculture.
Ce type d’activité semble se multiplier depuis le milieu des années 2000, accompagné d’une recrudescence de la violence. Les prises d’otages se distinguent de celles observées dans le Golfe d’Aden par exemple. Le BMI (Bureau maritime international) a recensé 177 attaques en 2012 et 138 en 2013 ; on estime qu’une attaque sur trois est déclarée. Ici, les populations locales ont un niveau de vie bien moins élevé, les rançons que les pirates espèrent en tirer sont donc beaucoup moins importantes que les revenus qu’ils tirent du marché noir et les meurtres beaucoup plus fréquents.
L’Affaire du Kerala est assez révélatrice de ce type d’activité et a contribué à sonner l’alerte auprès de la communauté internationale. Le 18 janvier 2014, une entreprise de livraison grecque perd le contact radio avec un de ses pétroliers, le Kerala, alors qu’il ne se trouvait qu’à quelques kilomètres du port de Luanda, en Angola. Le contact avec le navire n’est rétabli qu’au bout d’une semaine, alors qu’il se situe proche des côtes nigérianes. 12 000 tonnes de pétrole auraient été volées. Son armateur confirme alors qu’il avait été pris en otage, pratique courante des groupes pirates nigérians. La disparition de ce bâtiment est selon les experts maritimes un signe de l’augmentation de la piraterie ; de plus en plus présente au sein du Golfe de Guinée mais aussi de plus en plus étalée au Sud.
Quelles solutions et quelles limites face à ce problème ?
Celles-ci ont toutefois du mal à opérer dans la région. La piraterie locale illustre parfaitement le dilemme politique et juridique que peut représenter ce type de criminalité internationale. Selon la Convention des Nations unies de Montego Bay, il est de la responsabilité de la communauté internationale d’intervenir dans la lutte contre la piraterie. Mais les activités de la région se déroulant le plus souvent dans les eaux territoriales du Nigéria, le gouvernement refuse toute intervention qui ébranlerait sa souveraineté.
Les enjeux économiques poussent toutefois plusieurs États de l’Union européenne à proposer leur aide aux autorités locales. En 2013, Jean-Marc Ayrault soulignait justement la nécessité pour la France de sécuriser ses approvisionnements en pétrole dans la région. Le gouvernement français a donc accepté la présence de gardes armées sur les navires pétroliers, de sorte qu’ils soient mieux protégés, comme le réclamaient les armateurs, et l’armée française patrouille dans les eaux internationales de la région.
On a aussi vu l’instauration de milices privées françaises – comme Gallice Security – qui coopèrent avec les États, en prodiguant des conseils et en menant des opérations ciblées dans leur lutte contre la piraterie. Toutefois, cette présence pose encore une fois des problèmes de respect de la souveraineté. Elle fait craindre une escalade de la violence au sein des autorités locales.
La solution idéale viendrait donc des autorités politiques de la région, mais elles éprouvent encore des difficultés à coopérer sur ces questions. Dans cette optique, les États de la CEEAC (Communauté économique des États de l’Afrique centrale), du CEDEAO (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest) et des représentants de l’ONU se sont réunis au Sommet de Yaoundé en 2013. Leur objectif principal était de définir une stratégie régionale pour endiguer ce phénomène. Les États de la région ont à cette occasion lancé un appel à l’aide internationale, sur le principe de ce qui avait été fait dans le Golfe d’Aden, où les forces d’intervention internationales ont eu la possibilité de recourir à la force et de mutualiser leurs opérations. L’OMI (Organisation maritime internationale) était parvenue à réunir les gouvernements de la région et à mettre en place une action commune, obtenant ainsi de bons résultats.
Si Ban Ki Moon s’est félicité de cet accord et du code de conduite adopté, il réclamait alors plus de moyens et de ressources de la part de la communauté internationale, ce que les chefs d’État de la région ont également appelé de leurs vœux. En revanche, l’accord n’est pas contraignant. Il est cependant appelé à le devenir car si des principes d’action ont été adoptés, ainsi qu’un mémorandum d’entente sur la sûreté et la sécurité dans la région, peu de mesures sont effectivement mises en place et les pirates poursuivent leurs activités.
La lutte contre ce phénomène reste donc cruciale pour les autorités locales comme pour les pays importateurs de gaz et de pétrole. D’autant plus que la piraterie continue de causer des pertes économiques importantes pour les États régionaux et dissuade de plus en plus les grands groupes pétroliers de travailler dans cette zone. Mais cette lutte semble toujours davantage liée à d’autres problématiques comme la pauvreté des populations locales et la complaisance des autorités, qui invoquent d’autres priorités et refusent de perdre leurs prérogatives.