Guinée-Equatoriale : au nom du père, du fils et des compagnies pétrolières

12 Février 2013



Au palmarès des régimes les plus aberrants, la Guinée Equatoriale se dispute certainement le titre avec la Corée du Nord depuis de nombreuses années. Mais à la différence de la Corée du Nord, la Guinée Equatoriale est un Etat très ouvert, exportant ses chères ressources pour le bonheur des plus grandes puissances démocratiques.


Guinée-Equatoriale : au nom du père, du fils et des compagnies pétrolières
Comment la Guinée Equatoriale, petit pays de l’Afrique de l‘Ouest, peut-il avoir un PIB par habitant de pays développé, supérieur à la France et au Japon (24e/180 selon la Banque Mondiale), tout en étant classé parmi les pays les moins avancés en matière de développement (118e /180 pays selon l’indice IDH) ? C’est simple, si l’on considère que le PIB par habitant… ne revient qu’à un habitant, ou plutôt une famille, un clan, qui accapare richesses légales et illégales, la famille du président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo.

Au nom du père…

Teodoro Obiang est l’heureux détenteur du record de longévité politique actuel – 33 ans, 5 mois -. Il a pris le pouvoir en 1979 après un coup d’Etat contre son oncle Fransisco Macías Nguema, qui lui avait permis d’entrer au ministère de la Défense et de diriger la prison des dissidents politiques, un des pires lieux de tortures d’Afrique selon certains rapports. « La restauration fut entreprise en 1979 » peut-on lire dans un ouvrage préfacé par le président en personne. Dès lors, le pouvoir ne fut plus contesté, et l’engouement démocratique du peuple ne se démentit pas. Il est réélu président de la République en 1989 (99,96 % des voix) en 1996 (99 %), en 2002 (97,1 %) et 2009 (96,7 %). Pourtant, un parti « d’opposition légal » existe depuis « l’ouverture démocratique » de 1991. Les partis d’oppositions « illégaux », eux, ont fui en Espagne, l’ancienne métropole. Les ONG comme Transparency International qualifient le régime de « démocrature », une dictature grimée en démocratie dont le président vante la richesse et la croissance économique mais où corruption, torture et trafic de drogue sont monnaie courante.

Obiang est désigné par S.E (Son Excellence) Obiang Nguema par les medias équato-guinéens (voir ici ). Il a placé sa famille au sommet de l’Etat et surtout aux postes clés de la politique et de l’économie à savoir le bois, le gaz et surtout le pétrole. Le ministre des Mines, de l'Industrie et de l'Énergie est Gabriel Mbaga Obiang Lima, un de ses fils, une de ses femmes est au ministère de l’éducation, une autre au ministère de l’agriculture. Mais son collaborateur le plus fameux est sans doute son fils, Teodoro Nguema Obiang Mangué, Teodorín pour les intimes.

Au nom du fils…

Guinée-Equatoriale : au nom du père, du fils et des compagnies pétrolières
Dans la famille Obiang, je voudrais le fils. Agé de 41 ans, il a fait ses études aux Etats-Unis aux frais d’une compagnie pétrolière, mais ne les a jamais terminé. Il symbolise à lui seul les dérives d’un Etat riche et inégalitaire. C’est le stéréotype du prince mégalo. Connu pour ses frasques et son train de vie pharaonique, il possède plusieurs villas à travers le monde, une radio, un label de musique (TNO : ses initiales, modestement) et des actions un peu partout. Il a commencé sa carrière politique dans le gouvernement de papa comme ministre de l’Agriculture, de l’Environnement et des Forêts. Seul problème, il était à la tête d’un organisme censé réguler les entreprises dont il est actionnaire. De plus, le salaire de ministre selon certains rapports du Sénat Américain, semble insuffisant pour se payer des villas de luxe à Malibu. En 2012 il a été nommé deuxième vice-président – poste crée pour l’occasion – afin d’amorcer la succession du père vieillissant. Même si ce dernier se refuse à parler de succession : « Ce choix n'est pas le mien. C'est celui du peuple » a-t-il déclaré dans une interview. Pour autant, ce choix est critiqué au sein de l’Etat et de la communauté internationale, Teodorín est réputé incapable de gouverner et doit faire face à de nombreuses accusations.
Il est impliqué dans des affaires de détournement de fonds publics, blanchiment d’argent et autres trafics mettant à mal l’image de marque que la Guinée-Equatoriale essaie de se construire. Il est entre autre impliqué dans l’affaire dite des « biens mal acquis ». Ce scandale révélé en 2007 par la Croix puis mené en justice par Amnesty International, Sherpa et Transparency International, implique les familles d’Omar Bongo (Gabon), Denis Sassou-Nguesso (République du Congo) et le clan Obiang. La Justice française a saisi à Paris entre 2009 et 2012 plusieurs maisons et voitures de luxes non déclarées appartenant notamment à Teodorín. La justice américaine est également à ses trousses pour affaire de corruption, une enquête est en cours en Espagne. Son père a tenté, sans succès, de lui obtenir un poste à l’UNESCO afin qu’il bénéficie de l’immunité diplomatique.

… et au nom de quelques autres aussi

Guinée-Equatoriale : au nom du père, du fils et des compagnies pétrolières
Tout en étant qualifiée « d’Etat-criminel » de « Narco-Etat » par diverses agences internationales en raison de l’accaparement des richesses par le clan au pouvoir et le trafic de drogue, la Guinée-Equatoriale est le pays d’Afrique qui reçoit le plus d’investissements étrangers. C’est que la Guinée-Equatoriale a un atout crucial : le pétrole, qui représente 99% des exportations du pays. Découvert en 1996, il permet au gouvernement de lancer des projets d’infrastructure, de rembourser désormais sa dette au FMI – la Guinée fait parti de ses « bons élèves » - et accessoirement, de s’en mettre plein les poches. Des réserves de gaz commencent aussi à être exploitées. Ce petit pays, mi- insulaire mi- continental, colonisé par l’Espagne au XVe siècle, fut abandonné en raison de l’insalubrité des lieux et du manque de ressources intéressantes. Pris par les anglais, repris par les espagnols sans grande prétention pour contrer l’avancée des français sur le continent, le pays semble enfin attirer les anciennes puissances. Les principales compagnies exploitant le pétrole et le gaz sont anglaises (Hess, Marathon, Noble Energy), espagnoles (Repsol), françaises (Total). Les Etats-Unis sont un partenaire commercial privilégié de la Guinée équatoriale, devant la France et l’Espagne. La France finance de nombreux projets d’infrastructures, notamment depuis que la Guinée-Equatoriale fait parti de la francophonie, bien que presque personne ne parle français là-bas. L’Europe finance un projet d’aviation.

Mais la Guinée Equatoriale ouvre aussi ses exportations aux marchés chinois et brésilien. Une politique pro-occidentale se heurte à une politique antioccidentale, portée par ceux qui craignent que les occidentaux retournent leur veste. Cependant les scrupules démocratiques ne semblent pas toucher le monde économique et Obiang et quelques entreprises continuent à s’enrichir sans grands espoirs d’améliorations pour la majeure partie de la population. « Une ère nouvelle s’ouvre pour le pays à l’aube du 3e millénaire avec la poursuite de la croissance des revenus pétroliers et des bouleversements socio-économiques qui vont l’accompagner. » avait annoncé triomphalement Obiang dans un manuel de géographie en 2001. Pour les bouleversements socio-économiques, il faudra encore attendre.

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Manon Duret
Rédactrice pour le Journal International, passionnée d'histoires et de géographie, je suis... En savoir plus sur cet auteur