@The Associated Press
Il y a plus d’un mois, le 11 février 2013, un groupe armé de quelques 200 personnes, débarque sur l’île de Bornéo, dans l’Etat de Sabah, pour prendre possession du territoire au nom du Sultan Jamalul Kiram III. Ce territoire appartient à la Malaisie. Après plusieurs somations du gouvernement malaisien, le groupe refusant de partir, l’armée fait feu début mars. On dénombre actuellement plus d’une soixantaine de morts, principalement des insurgés, alors que Jamalul Kiram III a demandé à ses fidèles de cesser le feu. Le village de Lahad Datu est le théâtre des violences.
Le gouvernement philippin tente d’apaiser les tensions et demande à la Malaisie de trouver une issue pacifique, sans succès pour l’instant. Une guerre étrange est en train de s’installer sur l’île de Bornéo. Pourquoi les hommes de Jamalul Kiram III, venus des Philippines, veulent-ils « reprendre » la région de Sabah à la Malaisie?
Le gouvernement philippin tente d’apaiser les tensions et demande à la Malaisie de trouver une issue pacifique, sans succès pour l’instant. Une guerre étrange est en train de s’installer sur l’île de Bornéo. Pourquoi les hommes de Jamalul Kiram III, venus des Philippines, veulent-ils « reprendre » la région de Sabah à la Malaisie?
Un territoire « loué » au XIXe siècle
Ils veulent la reprendre au nom des frontières de l’ancien sultanat de Sulu dont Kiram III revendique le trône. Puissant au XIXe siècle, le sultanat contrôlait la mer et les îles de Sulu, qui séparent la Malaisie des Philippines actuelles, le Mindanao et la région de Sabah au nord de l’île de Bornéo. Alors que les Britanniques et les Néérlandais se disputent la région, le sultan traite avec la Grande-Bretagne et en 1878 il loue – ou cède ? Là est tout le problème -, la région de Sabah à une Compagnie britannique. Lorsque la Malaisie devient indépendante, les héritiers du sultanat, devenus philippins, revendiquent sans succès la région de Sabah. La Grande-Bretagne, et désormais la Malaisie, affirment que le territoire a été cédé et leur appartient de plein droit. Les Philippines de leur côté revendiquent des frontières précoloniales. Les deux pays ne sont jamais tombés d’accord.
En attendant, le sultanat de Sulu ne représente plus rien officiellement depuis l’indépendance et l’unité des Philippines. Les héritiers du dernier sultan se disputent un trône sans royaume et Jamalul Kiram III s’est autoproclamé sultan sans aucune légitimité officielle ni même dynastique.
En attendant, le sultanat de Sulu ne représente plus rien officiellement depuis l’indépendance et l’unité des Philippines. Les héritiers du dernier sultan se disputent un trône sans royaume et Jamalul Kiram III s’est autoproclamé sultan sans aucune légitimité officielle ni même dynastique.
Des enjeux économiques et confessionnels
L’île de Bornéo est une île pleine de ressources. Actuellement exploitée pour les plantations de palmiers à huile, ce qui par ailleurs s’avère catastrophique pour son écosystème, l’île est peu peuplée et riche en hydrocarbures. La région de Sabah, revendiquée par les Philippines, jouxte le Brunei, pétromonarchie minuscule enclavée dans l’Etat malaisien au sein de l’île. Absents des revendications officielles, le pétrole et l'huile de palme pourraient être des moteurs du conflit.
Les Philippines sont un pays à majorité catholique (93%) tandis que la Malaisie a l’Islam pour religion d’Etat ; ces disparités résultent de l’histoire commerciale et coloniale des archipels. Pour autant, il existe au sud des Philippines une minorité musulmane concentrée sur l’île de Mindanao. Depuis l’époque coloniale, les populations musulmanes s’opposent au gouvernement de Manille. Dans les années 1960 est né un mouvement pour l’indépendance du Mindanao dirigé par le Front Moro du MNLF (Front Moro National de Libération), menant une lutte armée contre le gouvernement central. Les soldats étaient alors entraînés et armés par la Malaisie.
Après de nombreux conflits, une paix s’installe après 1996 grâce à l’intervention de la Malaisie. La région jouit désormais d’une certaine autonomie. Des conflits demeurent entre différents partis, le MNLF et le MILF (Front Moro islamique de libération) auxquels viennent s’ajouter les revendications des héritiers de Sulu.
Les Philippines sont un pays à majorité catholique (93%) tandis que la Malaisie a l’Islam pour religion d’Etat ; ces disparités résultent de l’histoire commerciale et coloniale des archipels. Pour autant, il existe au sud des Philippines une minorité musulmane concentrée sur l’île de Mindanao. Depuis l’époque coloniale, les populations musulmanes s’opposent au gouvernement de Manille. Dans les années 1960 est né un mouvement pour l’indépendance du Mindanao dirigé par le Front Moro du MNLF (Front Moro National de Libération), menant une lutte armée contre le gouvernement central. Les soldats étaient alors entraînés et armés par la Malaisie.
Après de nombreux conflits, une paix s’installe après 1996 grâce à l’intervention de la Malaisie. La région jouit désormais d’une certaine autonomie. Des conflits demeurent entre différents partis, le MNLF et le MILF (Front Moro islamique de libération) auxquels viennent s’ajouter les revendications des héritiers de Sulu.
Un jeu diplomatique ambigu
Les relations entre les deux Etats sont donc extrêmement complexes, puisque le calme des musulmans philippins tient au bon vouloir de la Malaisie qui pourrait aisément remettre le feu aux poudres. Les Philippines, depuis la résolution du conflit avec le MNLF, ont cessé de revendiquer la région de Sabah et restent très prudentes.
L’assaut des hommes de Kiram III à Bornéo vient rompre l’équilibre fragile qui liait les deux Etats. Les médias malaisiens rapportent que des combattants du MNLF seraient venus apporter une aide aux hommes du Sultan et auraient débarqué à Bornéo. Cela n’étonne pas Liz Maquet, fondatrice de l’association PinoysBest, rassemblant les Pinoys – Philippins immigrés - de la région lyonnaise en France. Originaire du Mindanao, elle se souvient des liens politiques anciens qu’entretiennent les diverses organisations.
Alors que le journal Free Malaysia Today rapporte la capture du chef armé des « terroristes » cette semaine, et clame déjà que la partie est gagnée, The Inquirer, journal philippin, déplore les nombreuses arrestations de Philippins et publie un sondage : « Les Philippines doivent-elles raviver la revendication de Sabah ? ». Le recul n’est pas suffisant pour connaître les motifs exacts de tous les protagonistes de ce conflit. Certains observateurs parlent de guerre par procuration car le gouvernement malaisien accuse Manille d’aviver le conflit en sous-main. On parle déjà de cyber-guerre alors que les sites du gouvernement malaisien et de plusieurs organisations philippines ont été piratés.
A ceci s’ajoute une instrumentalisation du conflit par les deux pays, qui entament tous deux leurs campagnes électorales pour le printemps. Le nationalisme est exacerbé de chaque côté, alors que les partis d’opposition profitent des failles de la prise en charge du conflit par les régimes en place. Un contexte donc très défavorable à la résolution rapide du conflit.
L’assaut des hommes de Kiram III à Bornéo vient rompre l’équilibre fragile qui liait les deux Etats. Les médias malaisiens rapportent que des combattants du MNLF seraient venus apporter une aide aux hommes du Sultan et auraient débarqué à Bornéo. Cela n’étonne pas Liz Maquet, fondatrice de l’association PinoysBest, rassemblant les Pinoys – Philippins immigrés - de la région lyonnaise en France. Originaire du Mindanao, elle se souvient des liens politiques anciens qu’entretiennent les diverses organisations.
Alors que le journal Free Malaysia Today rapporte la capture du chef armé des « terroristes » cette semaine, et clame déjà que la partie est gagnée, The Inquirer, journal philippin, déplore les nombreuses arrestations de Philippins et publie un sondage : « Les Philippines doivent-elles raviver la revendication de Sabah ? ». Le recul n’est pas suffisant pour connaître les motifs exacts de tous les protagonistes de ce conflit. Certains observateurs parlent de guerre par procuration car le gouvernement malaisien accuse Manille d’aviver le conflit en sous-main. On parle déjà de cyber-guerre alors que les sites du gouvernement malaisien et de plusieurs organisations philippines ont été piratés.
A ceci s’ajoute une instrumentalisation du conflit par les deux pays, qui entament tous deux leurs campagnes électorales pour le printemps. Le nationalisme est exacerbé de chaque côté, alors que les partis d’opposition profitent des failles de la prise en charge du conflit par les régimes en place. Un contexte donc très défavorable à la résolution rapide du conflit.
Les Philippins immigrés : premières victimes du conflit
Les populations philippines qui vivent dans l’Etat de Sabah sont prises à partie, victimes d’exactions, et les autorités philippines ont déjà remarqué un afflux massif de réfugiés sur les côtes du pays. En effet, de nombreux Philippins immigrent vers la Malaisie. « La Malaisie est très proche des Philippines et c’est très facile de prendre le bateau pour partir là-bas et y travailler » nous explique Liz Maquet. Arrivés clandestinement, ou avec un contrat de travail précaire, beaucoup restent dans l’Etat de Sabah. Les autorités malaisiennes expulsent par vagues ces clandestins. Ainsi, les liaisons entre les deux pays par le biais des migrations sont très fréquentes. Ces immigrés, déjà mal accueillis, craignent que leur situation n’empire vis-à-vis des autorités malaisiennes suite aux événements.
Ce qui apparaissait il y a un mois et demi comme un assaut incongru de la part d’un groupe armé illégitime, se révèle être le déclencheur d’un conflit durable entre les deux Etats, conflit qui n’attendait qu'une étincelle pour éclater au grand jour.
Ce qui apparaissait il y a un mois et demi comme un assaut incongru de la part d’un groupe armé illégitime, se révèle être le déclencheur d’un conflit durable entre les deux Etats, conflit qui n’attendait qu'une étincelle pour éclater au grand jour.