Guatemala : le dictateur Ríos Montt échappe de nouveau à la justice

Nieves Meijide, traduit par Mathilde Mossard
21 Mai 2013



Au Guatemala, le dictateur Efraín Ríos Montt avait été condamné à 80 ans de prison pour génocide et crime contre l'humanité. Mardi 21 mai, la justice guatémaltèque a invalidé le jugement.


Efraín Ríos Montt durant son procès
Efraín Ríos Montt durant son procès
L'ancien dictateur et général à la retraite Jose Efraín Montt, était, depuis samedi 11 mai, l'inculpé numéro 19 de la prison de Matamoros. C’est la première fois au Guatemala qu’un dictateur était jugé et déclaré coupable de génocide. Ce procès, qui avait commencé en mars et avait été interrompu à de nombreuses reprises, s'était terminé le 9 mai dernier par la condamnation de Rios Montt, jugé coupable de génocide et de crime contre l'humanité. La condamnation s'était élevée à 80 années de prison. Or , mardi 21 mai, dix jours plus tard, le procès a été annulé et l'ancien dictateur libéré.

Pendant son procès, 98 personnes ont témoigné de récoltes dévastées par les militaires, de l'appropriation du bétail, et des viols répétés de femmes devant leurs familles et leurs voisins. La juge Barrios a détaillé comment les militaires se sont acharné sur les femmes en arrachant leur bébé de leur ventre. Ces faits avaient pour but de laisser les Mayas mourir de faim, et de les mettre en garde pour qu'ils n'intègrent pas une guérilla. Pendant les trente années de guerre civile guatémaltèque, ce sont environ 200 000 personnes qui ont péri. 83% étaient des indigènes et aucun n'est mort en combattant.

Devant de telles charges, Ríos Montt a continué à clamer son innocent. Face à l'impossibilité de nier les assassinats, il a déchargé la responsabilité sur un de ses ministres et sur les dirigeants qui étaient aux commandes de l'Etat à ce moment-là. Au cours de sa défense, il a affirmé n'avoir jamais ordonné d'intenter de telles actions contre une ethnie, une race ou un groupe religieux. A sa première déclaration à la presse, Ríos Montt a qualifié le procès de « show politique international ». Ses avocats ont communiqué qu'ils feraient appel, avant même de connaître la sentence, puisqu'ils considéraient le procès comme invalide.

Même si les indigènes ont accueilli avec joie la décision de la juge Barrios, cette résolution a créé une grande polémique dans le pays. Le procès a en effet rouvert des blessures et inscrit un précédent historique. Nombreux sont ceux qui ont pris part à cette tuerie, et qui ont désormais peur d'être les prochains accusés. L'actuel président du Guatemala, Otto Perez Molina, lui-même a notamment été identifié par un témoin qui l'a vu participé au ravage de sa terre, et de celle de ses voisins. Au travers de cette condamnation, c’est la guérison des blessures morales du Guatemala et une nouvelle idée de la justice qui sont en jeu.

Une condamnation remise en cause

L’emprisonnement de Ríos Montt, le Rios de Sangre Montt comme on l’appelait, n’a pas duré. La défense du général retraité a présenté plusieurs recours, considérant qu’il y avait des irrégularités dans le procès. Finalement, mardi 21 mai, le Tribunal constitutionnel du Guatemala a laissé sans effet tout ce qui avait pu se passer au cours du procès depuis le 19 avril dernier. Le Tribunal constitutionnel a justifié sa décision, en expliquant que le jour de l’ouverture du procès, la défense avait été expulsée de la Cour pour avoir lancé une accusation d’impartialité contre le parquet. Les magistrats considèrent donc qu’à cette date précise, une récusation faite contre deux membres faisant partie de l’administration judiciaire est demeurée non résolue. Par conséquent, toutes les actions judiciaires faites a posteriori du 19 avril doivent être réitérées.

Le verdict de culpabilité n’avait pas reçu un bon accueil parmi les partisans de l’ancien dictateur Ríos Montt. A l'annonce de la condamnation, l’Association des Vétérans militaires du Guatemala (Avemilgua) avait menacé de mobiliser 50 000 paramilitaires pour envahir la capitale si le général n’était pas libéré. Pour sa part, le puissant Patronal, représentant des entrepreneurs guatémaltèques, avait demandé au Tribunal l’annulation du procès, avançant ses inconstitutionnalités. Il avait, de plus, propagé dans les différents médias locaux une liste de versements bancaires montrant son soutien a Rios Montt. Le Patronal avait également condamné le procès dans une conférence de presse donnée le lendemain de l’emprisonnement du général en attirant l’attention « sur les graves fautes présentes tout au long du dit procès, commises par ceux qui sont censés être impartiaux dans leur devoir de juges, ce qui a été montré par les procédures incomplètes, par la manière dont ont été fragilisés la défense, la présomption d’innocence et de non-rétroactivité de la Loi, et la désobéissance publique du tribunal face aux résolutions émises par d’autres instances judiciaires ».

Dans une campagne menée par des groupes de conservateurs guatémaltèques nommé « Visages de l’Infamie », la prix Nobel de la Paix Rogiberta Menchú, la juge Jazmín Barrios, et tous ceux en faveur de la condamnation de l’ancien dictateur, avaient été accusés d’être des « traitres de la paix » et des « mercenaires ».

Quant au président du Guatemala, il nie toujours l’existence d’un tel génocide. Initialement, il a affirmé qu’il soutiendrait la résolution du procès, quelle qu’elle soit. Cependant il a annoncé, après avoir pris connaissance du verdict de culpabilité, que celle-ci n’était pas encore définitive. Otto Perez Molina a été chef des renseignements militaires pendant la dictature et s’est vu éclaboussé par le jugement.

Beaucoup de milieux guatémaltèques ont lutté en faveur de la disqualification du processus judiciaire dont Rios Montt faisait l'objet. La pression de ses partisans a probablement joué un grand rôle dans l'annulation de la condamnation. 

L’analyste Manfredo Marroquín, président d’Actions Citoyennes, a déclaré à El Pais que l’annulation du procès était une preuve de « l’extrême faiblesse du système judiciaire du Guatemala ». Il a également assuré que cette condamnation mettait en danger la cohabitation démocratique dans le pays et disqualifiait la justice. Ce procès était vu par le Communauté internationale comme un grand pas vers la démocratie et comme la fin de l'impunité des dictateurs latino-américains. 

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