Football : le club de San Lorenzo VS Carrefour

Marion Roussey, correspondante à Buenos Aires
1 Décembre 2012



Expulsée de force sous la dictature argentine, l'équipe de football de San Lorenzo s'apprête à redevenir propriétaire de son ancien terrain, actuellement occupé par la chaîne de supermarchés française Carrefour. La décision émane du Parlement de Buenos Aires. Face à l'euphorie des supporters, des contestations jaillissent et divisent le quartier du Buedo à Buenos Aires.


Football : le club de San Lorenzo VS Carrefour

Une loi de restitution historique vient d'être adoptée à l'unanimité par le Parlement de Buenos Aires, le 15 novembre dernier. Elle fait suite à un processus législatif entamé il y a un an et demi et sonne la victoire des supporters de San Lorenzo, lesquels attendaient ce moment depuis plus de 33 ans. « Ce terrain était le nôtre, s'exprime Marcelo Tinelli, vice-président du club. Il est temps qu'il le redevienne ! ». 


Inauguré en 1916, le Gasometro du quartier du Bodeo était le stade officiel, ayant vu naître l'équipe de ligue 1 de San Lorenzo. Pouvant accueillir jusqu'à 75 000 spectateurs, il s'était imposé comme le plus grand stade d'Argentine, jusqu'à la reconstruction du stade Antonio Vespucio Liberti, en vue de la coupe du monde de 1978.  


L'arrivée de la dictature en 1976 et le « processus de Réorganisation Nationale » du pays sont venus bouleverser l'avenir du club. Aménageant un vaste plan d'urbanisation du quartier, le maire de l'époque, Osvaldo Cacciatore, a ordonné l'expropriation du terrain. En 1979, la mairie a ainsi acquis le stade pour une somme modique de 900 000 dollars américains, avec pour objectif d'y construire des logements. Finalement, le projet a été abandonné, le stade détruit et le terrain revendu, une fois la démocratie revenue, à la société Carrefour, pour une valeur neuf fois supérieure à son prix initial.


Pour le club, il s'agit d'un préjudice, comme le rapporte le journal La Nación. Depuis plusieurs années, les supporters ont multiplié les tentatives pour récupérer l'ancien terrain, allant jusqu'à manifester devant l'ambassade de France en mars dernier.


La loi, qui devait être débattue au Parlement le 22 novembre, a finalement été promulguée avec une semaine d'avance afin d'éviter une grande manifestation prévue par les supporters. Selon les législateurs, elle s'inscrit dans le respect de la Constitution de Buenos Aires, laquelle défend certes le principe d'inviolabilité de la propriété privée mais autorise l'expropriation lorsqu'elle est fondée sur une « cause d'utilité publique ».


Le club doit maintenant racheter le terrain à Carrefour à un prix estimé à 94 millions de pesos argentins (près de 15 000 €). Il dispose de six mois pour négocier les transactions avec l'entreprise française et ne pourra entreprendre la reconstruction du stade qu'à condition de garantir en échange des activités sociales, éducatives et sportives aux habitants du quartier. Selon le journal Clarin, les particuliers sont autorisés à participer au rachat du terrain, ce qui donne lieu à une véritable course aux mètres carrés. Pour les supporters les plus optimistes, San Lorenzo devrait récupérer son ancien stade en avril 2013.


Toutefois de nombreuses voix s'élèvent contre le projet de reconstruction. En tant que premier acteur impliqué, Carrefour s'est dit « extrêmement surpris par la promulgation express de la loi. » L'entreprise refuse toute connexion avec la dictature et souligne qu'elle « n'a pas été invitée à participer aux dernières étapes précédant le vote. » Implantée depuis 30 ans en Argentine et actuellement à la tête de 400 supermarchés, la chaîne aurait développé la marque à l'étranger afin de compenser la diminution des ventes enregistrées en Europe. Selon des experts financiers, les consommateurs européens se réorienteraient en effet de plus en plus vers le commerce de proximité.


L'expropriation de Carrefour du quartier du Bodeo impliquerait la fermeture de la filiale et la mise au chômage des 350 employés de l'entreprise. Depuis quelques semaines, une pétition a été lancée par le personnel afin de s'opposer au projet de délocalisation. Elle a déjà été signée par de nombreux clients mais aussi par des membres du voisinage, qui voient dans la reconstruction du nouveau stade un risque de retour à l'insécurité et une augmentation de la violence dans le quartier.


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