Financements de l’État Islamique, le dilemme

Christina Anagnostopoulos, traduit par Amélie Rastoin
10 Octobre 2014



EIIS, EIIL EI,... Les acronymes pour désigner le « nouveau visage » d'Al-Qaïda sont partout où se posent nos yeux. La quantité d'informations et d'articles mis à disposition des lecteurs peut sembler accablante. Une zone d'ombre demeure pourtant : qui finance l’État islamique et comment ce groupe est-il devenu l'un des groupes terroristes les plus riches de l'Histoire, et ce en moins d'un an ?


Crédit Reuters
Crédit Reuters
Pour tout groupe ou entité, le financement est un élément clé. C'est ce qui lui permet de réaliser ses programmes politique et militaire, et qui fournit un « salaire » à ses combattants. Un financement implique des formations plus poussées, des avancées militaires plus efficaces, et un pouvoir plus fort – puisque ces groupes ont la force économique nécessaire pour soutenir leurs politiques et leur idéologie. 

L'augmentation de la richesse de l'EI peut être considérée comme le facteur le plus important permettant d'expliquer la rapidité de son ascension cette année.  

D'où vient donc l'argent ?

Une grande partie de la trésorerie de l'EI vient du bénéfice de l'exportation du pétrole. Son expansion et sa conquête de nouveaux territoires ont permis de gagner le contrôle de plusieurs champs de pétrole dans l'est de la Syrie et en Irak. Ceux-ci lui ont fourni une source de revenus monumentale grâce au commerce du pétrole sur le marché noir. L'EI a maintenant la main sur 60% des champs de pétrole de Syrie, et produit 50 000 barils par jour. En tout, on estime le bénéfice obtenu de ce commerce au noir entre 1 et 3 millions de dollars par jour. 

La plus grosse quantité de ce pétrole passe les frontières poreuses du sud de la Turquie. Les États-Unis se sont récemment brouillés avec Ankara pour leur négligence envers le flux du marché noir de pétrole écoulé par la Turquie, mais ils refusent de se positionner plus fermement contre le groupe terroriste, par peur des représailles contre leurs 49 diplomates actuellement retenus en otage. Certains affirment que la Turquie profite sûrement de ce marché du pétrole à tous niveaux, une hypothèse toutefois difficile à prouver.

Et sinon, où va le reste du pétrole ? Une partie va au Kurdistan du Sud et une autre en Iran, grâce à des passages clandestins par des intermédiaires en opérations secrètes. C'est pourtant la Turquie que l'on juge responsable de faciliter le trafic, ou simplement de fermer les yeux sur les événements.    
Brookings Doha Center; Caerus Associates; Energy Information Administration; International Energy Agency; Iraq Oil Report; Platts via the New York Times
Brookings Doha Center; Caerus Associates; Energy Information Administration; International Energy Agency; Iraq Oil Report; Platts via the New York Times

Des otages et du chantage

Les gains que l'EI se procure par les rançons des otages sont estimés à 1 million de dollars par jour. D'après certaines informations, les montants reçus comme rançon en échange de victimes ne descendent jamais en-dessous des 25 millions de dollars.

L'EI aurait demandé 100 millions d'euros pour la libération de James Foley, le journaliste américain dont la terrible décapitation a été filmée. 

Des aides et des dons

En dernier, mais certainement pas des moindres, l'EI a été financé par des dons généreux venant de donateurs privés, principalement du Golfe persique. La plupart d'entre eux viennent plus spécifiquement des pays, extrêmement riches, que sont l'Arabie Saoudite, le Koweït et le Qatar. Ils ont été les premiers et principaux garants et sponsors de l'EI quand il s'est d'abord présenté comme unité terroriste émergente il y a deux ans dans le cadre de la guerre civile en Syrie.

Allons voir du côté du Koweït. La tige de l'EIIS est le mouvement baâthiste, qui prend lui-même racine dans l'invasion du Koweït par les États-Unis dans sont attaque contre Saddam Hussein en 1990. Alors que les États-Unis avaient « libéré » avec succès le Koweït de l'invasion de Saddam Hussein, les braises de l'activisme baâthiste ne s'étaient pas éteintes pour autant, et ce sont les groupuscules du Koweït qui, à leur tour, ont fourni les financements aux militants de l'EI. 

Aujourd'hui ancien Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki a longtemps reproché aux Saoudiens ainsi qu'aux Qataris d'héberger et de financer des extrémistes. Le gouvernement saoudien a été accusé d'autoriser des « commissions » d’entrée en Irak, une politique qui s’ajoute à leur soutien déclaré ouvertement et avec véhémence aux groupes de rebelles syriens. Cependant, la destination de leurs dons n'a pas été très sélective. Il est clair que les donateurs ne souhaitent pas ardemment faire de distinction entre les profils des militants, du moment qu'ils peuvent contribuer au reversement du gouvernement chiite (Bachar el-Assad et Nour al-Maliki sont tous deux chiites). 

Reuters via the Daily Beast
Reuters via the Daily Beast
D’une manière générale, l'EI est financé par un spectre de sources variées. Son pouvoir a augmenté non seulement par l'appropriation des champs de pétrole, par les demandes de rançons, et les dons privés, mais aussi par le pillage des banques dans les territoires conquis (430 millions de dollars ont été volés de la banque centrale de Mossoul), les impôts sous leur forme de gouvernance, et le trafic humain. Il ne faudrait pas sous-estimer l'importance de la provenance de ces richesse, puisque viser la source d'un problème est l'un des moyens les plus efficaces d'en finir avec celui-ci. Avoir une idée claire de qui exactement les États-Unis comptent parmi leurs alliés régionaux les plus proches pourrait en partie résoudre le dilemme de comment interrompre les financements de l’État Islamique.  

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