Festival international du film de Shanghai

Hugo Ruiz
15 Juin 2013



C’est un rituel : chaque année en mai, le monde du septième art a les yeux rivés sur la Croisette. Toutefois, depuis maintenant vingt ans, de plus en plus de regards se tournent ensuite vers l’Orient : du 15 au 23 juin, le tapis rouge se déroule dans l’Empire du milieu.


Festival international du film de Shanghai
Fondé en 1993, le Festival international du film de Shanghai (SIFF, Shanghai International Film Festival) est aujourd’hui, avec Tokyo, le seul festival asiatique classé dans la « catégorie A » par la Fédération internationale des associations de producteurs de films (FIAPF), au côté de Sundance, Venise, ou encore Berlin. Encore peu connu du grand public occidental, ce festival en plein essor fait partie intégrante de la stratégie de la légitimation culturelle chinoise. Et la ville de Shanghai a un rôle éminemment stratégique à jouer, quand l’on sait que la mégapole était dans les années 1920 et 1930 unanimement considérée comme le Hollywood de l’Orient. Le cinéma y a été introduit dès 1896. 25 ans plus tard, la ville comptait jusqu’à 740 compagnies cinématographiques. C’était suite à la Révolution culturelle, que le centre de gravité du septième art en Asie de l’Est s’était décalé, principalement vers Taiwan et Hong-Kong : aujourd’hui, le festival de Shanghai cherche à rendre à la Chine continentale ses lettres de noblesse.

De fait l’effort est considérable pour y retrouver tous les éléments qui font le succès de ses homologues vénitien, cannois ou berlinois. Tout d’abord, le Festival est une vraie compétition, et 14 films concourent cette année pour l’obtention de la Coupe d’or, la principale récompense. Parmi ceux-ci, trois films chinois (dont le très attendu Unbeatable, blockbuster en première mondiale), mais également un film canadien, un film coréen, ou encore un film bulgare.

Comme tout bon festival, Shanghai apporte aussi sa dose de stars et de glamour. Ainsi, le jury de cette édition 2013 sera présidé par Tom Hooper, réalisateur oscarisé du Discours d’un Roi. Les années précédentes, ce rôle avait été occupé par Danny Boyle, Wong Kar-Wai, ou encore Luc Besson. De même, seront présents lors de cette édition Helen Mirren, ou encore Oliver Stone. Membre du jury lors de la première édition du festival en 1993, le réalisateur de Wall Street donnera une masterclass, et viendra recevoir une récompense pour l’ensemble de sa carrière.

L’enjeu majeur est sans doute politico-économique. Le douzième plan quinquennal chinois prévoit entre 2011 et 2016 de doubler la production filmique et télévisuelle, pour atteindre 416 milliards de dollars par an. L’objectif est double : développement du secteur culturel, et élargissement de l’influence chinoise. Mettre le SIFF sur le « radar » international est donc une étape nécessaire dans cette démarche.

Dans le secteur culturel chinois, un constat fait consensus : ce sont les talents qui manquent, plus que le capital. Avec près de dix salles de cinéma ouvrant par jour dans le pays, le public se crée, et la demande est là - tandis que l’offre n’est pas toujours à la hauteur. C’est pour pallier ce problème que le marché du SIFF permet de mettre en réseau des aspirants réalisateurs, producteurs et financiers, afin de servir d’incubateur à l’industrie. Cette démarche commence déjà à porter ses fruits, puisqu’elle a permis l’éclosion de jeunes réalisateurs comme Quan Jin, dont Forgetting to know you a notamment été diffusé au festival de Berlin.

Au-delà de l’éclosion de cette création intérieure, l’industrie cinématographique chinoise est face au défi de son ouverture à l’international. La Chine constitue actuellement le deuxième marché au monde, après les États-Unis, aussi fait-elle l’objet d’un intérêt tout particulier des compagnies du monde entier. Ainsi, le festival de Cannes a délibérément été déserté par le groupe Huayi Brothers, n°1 chinois dans le secteur (et notamment producteur de Jackie Chan), qui a pris la décision de présenter toutes ses prochaines productions à Shanghai. Le moment est bien choisi, à une période de l’année où se terminent les cours pour les élèves et étudiants, et où commence la saison des blockbusters. Disney et Pixar non plus ne s’y sont pas trompés, et c’est Monstres Académie qui ouvrira, en 3D, le festival ce 15 juin. Au total, 300 films, chinois et étrangers, seront diffusés lors du SIFF, une palette nettement plus diversifiée que celle habituellement proposée au public shanghaïen.

Car si l’occasion leur est donnée, pendant le festival, de profiter d’œuvres très internationales, il ne faut pas oublier qu’en Chine, le contrôle exercé sur les œuvres non-chinoises autorisées dans le pays est très soutenu : jusqu’en 2010, seuls 20 d’entre eux étaient autorisés par an, soit à peu près le nombre de productions chinoises sortant mensuellement sur les écrans. Suite à une plainte des États-Unis, une décision de l’Organisation mondiale du commerce a même été rendue, demandant à Pékin de relâcher et réformer le régime d’importation et de distribution des films étrangers. Toutefois l’ouverture ne s’est avérée que très relative : le quota est, depuis 2012, élargi à 34 films. Malgré ce strict régime d’importation, 6 films américains comptaient, en 2012, parmi les 10 plus gros succès au box-office chinois. Ces données ne laissent pas Hollywood indifférent, et parmi les stratégies déployées, on retrouve le développement de coproductions américano-chinoises, incluant des éléments chinois dans le scénario et les ressources. Les tractations vont donc bon train à l’occasion du festival de Shanghai, contexte privilégié de mise en relation des grands décideurs internationaux du secteur.

Si la politique de censure imposée par les autorités vis-à-vis de toute scène jugée « offensante » est assez souvent critiquée, personne dans l’industrie cinématographique n’oublie qu’en 2011, Avatar a produit en Chine un chiffre d’affaires de 195 millions de dollars, le plus gros dans le monde après les États-Unis. James Cameron, qui en prépare actuellement la suite, n’exclut pas de siniser le prochain volet. Pour lui, il serait « logique » de trouver des personnages chinois sur Pandora.

« Logique » est également la place que, sur la planète cinéma, voudrait désormais occuper le SIFF. Cannes, Berlin, Sundance, Venise… Shanghai.

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