L'OTAN et l'Estonie signent un accord en matière de cyberdéfense | Crédits photo -- NATO Official Website
Conséquence inattendue de la crise économique de 2008, l’Europe du Nord, souvent représentée par la Norvège, la Suède, le Danemark et la Finlande, s’est retrouvée en avant des discussions politiques et économiques les plus animées. En effet, la perte du triple A de la France, les inquiétudes sur la situation de la Grande-Bretagne et, naturellement, les nombreuses situations problématique des pays encore considérés comme « stables » il y a de cela quelques années, poussent les analystes à se pencher sur de nouveaux modèles qui semblent résister et mieux gérer leurs finances.
De facto, la Suède, jusqu’alors essentiellement appréciée pour ses meubles, s’est retrouvée au cœur des attentions. Pourtant, les récentes émeutes qui ont secouées le pays peuvent témoigner des nombreuses disparités auxquelles doit faire face le pays et de son manque de moyens pour intégrer les immigrants. La Norvège, pour sa part, subsiste essentiellement grâce à ses ressources en hydrocarbures. Le Danemark tente de s’en sortir tout en bénéficiant de l’étonnant dynamisme de son voisin allemand. L’Islande est, elle, marquée par la crise, la gestion de la dette publique restant le principal sujet dans les bars de Reykjavik. Enfin, la Finlande, pays des Nokia, doit faire face à une montée du chômage et pâtit des baisses des ventes de sa puissante entreprise.
Il reste encore un autre pays du nord dont on mentionne plus rarement le nom, lointain, quasi-inconnu pour nombre d’Européens de l’ouest. Ce pays est pourtant membre de l’Union européenne et de l'OTAN (depuis 2004), et de la Zone euro (depuis 2011). Il affiche le plus faible taux d’endettement de l’Union européenne ! Ex-pays de l’Union soviétique, coincé sur les bords de la Baltique, résolument tourné vers l’Ouest, mais géographiquement et historiquement proche de l’Est : retour sur la petite République d’Estonie, pays de contrastes, dont on sous-estime fréquemment l’influence mondiale.
De facto, la Suède, jusqu’alors essentiellement appréciée pour ses meubles, s’est retrouvée au cœur des attentions. Pourtant, les récentes émeutes qui ont secouées le pays peuvent témoigner des nombreuses disparités auxquelles doit faire face le pays et de son manque de moyens pour intégrer les immigrants. La Norvège, pour sa part, subsiste essentiellement grâce à ses ressources en hydrocarbures. Le Danemark tente de s’en sortir tout en bénéficiant de l’étonnant dynamisme de son voisin allemand. L’Islande est, elle, marquée par la crise, la gestion de la dette publique restant le principal sujet dans les bars de Reykjavik. Enfin, la Finlande, pays des Nokia, doit faire face à une montée du chômage et pâtit des baisses des ventes de sa puissante entreprise.
Il reste encore un autre pays du nord dont on mentionne plus rarement le nom, lointain, quasi-inconnu pour nombre d’Européens de l’ouest. Ce pays est pourtant membre de l’Union européenne et de l'OTAN (depuis 2004), et de la Zone euro (depuis 2011). Il affiche le plus faible taux d’endettement de l’Union européenne ! Ex-pays de l’Union soviétique, coincé sur les bords de la Baltique, résolument tourné vers l’Ouest, mais géographiquement et historiquement proche de l’Est : retour sur la petite République d’Estonie, pays de contrastes, dont on sous-estime fréquemment l’influence mondiale.
Le poids du passé dans un pays qui se tourne vers la modernité
L’Estonie est un pays qui compte 1,2 million d’habitants, c’est dire qu’il n’est certainement pas, au premier regard, celui qui attire l’attention. Phénomène marquant, par rapport aux autres pays de l’espace nordique et de la Baltique, l’Estonie a intégré la Zone euro en 2011, au moment où la crise économique frappait au plus haut point. Ce choix, étonnant, peut s’expliquer par un rapide retour historique. Premièrement, la culture estonienne est singulière : la langue y est résolument nordique, de la branche finno-ougrienne, la religion principale est le luthérianisme. Après la seconde Guerre Mondiale, le pays a connu ce qu’il appelle encore « l’Occupation soviétique », représentation que ne partage naturellement pas la population russophone résidant dans le petit État.
C’est justement ce point qui mérite d’être analysé et qui explique bon nombre de ses choix en économie, politique et informatique. L’Estonie, à l’image des autres Etats baltes, comprend une forte population russophone (25.6% en 2012) qui influence sa politique internationale. Ainsi, son intégration au sein de l'Union européenne et de l’OTAN n’est pas sans avoir eu de lourdes conséquences sur ses relations avec le voisin russe.
Nul besoin de le cacher, les relations entre les deux pays sont plus que tendues depuis 2004. La Russie n’apprécie pas que l'Estonie tente d’intégrer les citoyens russophones en leur apprenant la langue estonienne. Le rejet de l’histoire soviétique et la comparaison, ou plutôt le mélange entre nazisme et époque communiste présents dans les musées de Tallinn, n’a pas eu pour conséquence d’apaiser les relations diplomatiques.
Pour montrer son mécontentement, la Russie s’est alors décidée à mener une politique plus « active », visant à montrer son importance en Baltique : contrôle des prix des hydrocarbures, tentative de déstabilisation du pays avec l’utilisation des minorités russophones sur place (affaire du Soldat de Bronze en 2006) et cyberattaques (non revendiquées). La voisine russe a rapidement su faire entendre, comme elle le fait d’ordinaire, son mécontentement. La question est alors de déterminer ce qu’un pays, de taille aussi modeste que l’Estonie, pouvait faire face à une telle situation ?
C’est justement ce point qui mérite d’être analysé et qui explique bon nombre de ses choix en économie, politique et informatique. L’Estonie, à l’image des autres Etats baltes, comprend une forte population russophone (25.6% en 2012) qui influence sa politique internationale. Ainsi, son intégration au sein de l'Union européenne et de l’OTAN n’est pas sans avoir eu de lourdes conséquences sur ses relations avec le voisin russe.
Nul besoin de le cacher, les relations entre les deux pays sont plus que tendues depuis 2004. La Russie n’apprécie pas que l'Estonie tente d’intégrer les citoyens russophones en leur apprenant la langue estonienne. Le rejet de l’histoire soviétique et la comparaison, ou plutôt le mélange entre nazisme et époque communiste présents dans les musées de Tallinn, n’a pas eu pour conséquence d’apaiser les relations diplomatiques.
Pour montrer son mécontentement, la Russie s’est alors décidée à mener une politique plus « active », visant à montrer son importance en Baltique : contrôle des prix des hydrocarbures, tentative de déstabilisation du pays avec l’utilisation des minorités russophones sur place (affaire du Soldat de Bronze en 2006) et cyberattaques (non revendiquées). La voisine russe a rapidement su faire entendre, comme elle le fait d’ordinaire, son mécontentement. La question est alors de déterminer ce qu’un pays, de taille aussi modeste que l’Estonie, pouvait faire face à une telle situation ?
Le tigre technologique de la Baltique
La Russie est plus grande, plus peuplée, plus forte militairement et dispose de ses nombreuses ressources pour influencer l’espace balte. L’Estonie n’avait que deux options : aller dans le sens de la Russie et accepter son sort ou s’affirmer en s’en donnant les moyens. C’est ce dernier choix qu’elle a adopté et qui a donné corps à la politique estonienne depuis 1991.
Face à l’importance de la nation russe, c’est la coopération et le fait de se rendre indispensable pour ses partenaires qui permet d’assurer l’indépendance. L’intégration dans l’Union européenne et dans l’OTAN donne plus de stabilité au pays. Désormais, s’attaquer au pays revient à engager une confrontation avec ses partenaires, position que la Russie ne pouvait et ne peut toujours pas se permettre. Le fait de se tourner vers la zone euro, en 2011, a eu pour conséquence de limiter l’influence que la Russie pouvait avoir sur sa stabilité économique, tout en jouant la carte de la coopération européenne et, ainsi, s’attirer les faveurs des pays membres, comme l’Allemagne, la France et la Finlande.
Pourtant, cette stratégie a rapidement révélé ses premières faiblesses. Le pays s'est vite rendu compte qu’il était trop petit pour financer l’ensemble des opérations internationales. Dans une mesure similaire, il lui est impossible de fournir des ressources humaines à l’échelle mondiale. L’Estonie décide de se lancer sur la seule arme qui lui reste : l’informatique. Ce choix permet d’avoir une influence internationale tout en minimisant les investissements. Plus important, les cyberattaques et la cyberdéfense permettent de déstabiliser un pays sans avoir recourt à la force directe (ce que l’Estonie n’a pas), tout en minimisant les retombées diplomatiques en niant être à l’origine des attaques. User de l’informatique, c’est se rendre indispensable pour l’Union européenne et les membres de l’OTAN, passant du stade d’« État participant » à celui de pays « nécessaire » au sein des alliances. Signe de cette importance internationale, en plus de son « Computer Emergency Response Team of Estonia » national, l’OTAN s’est décidée à former nombre de ses spécialistes en cyberdéfense, cyberguerre et cyberespionnage à Tallinn dans son « Centre d’excellence pour la coopération en matière de cyberdéfense ».
Sur le plan civil, l’informatique estonienne s’impose progressivement dans la vie quotidienne. L’E-gouvernement permet aux citoyens d’accéder plus rapidement aux informations et documents administratifs qu’ils peuvent compléter en ligne. Le vote y est dématérialisé, les documents médicaux et ordonnances accessibles sur internet. En moins d’une vingtaine d’années, le pays est passé du statut d’ex-pays soviétique, avec une industrie coûteuse, au rang d’ État moderne. Signe de cette tendance, en 2003, l’entreprise Skype, spécialisée dans la communication sur Internet, naît à Tallin.
Face à l’importance de la nation russe, c’est la coopération et le fait de se rendre indispensable pour ses partenaires qui permet d’assurer l’indépendance. L’intégration dans l’Union européenne et dans l’OTAN donne plus de stabilité au pays. Désormais, s’attaquer au pays revient à engager une confrontation avec ses partenaires, position que la Russie ne pouvait et ne peut toujours pas se permettre. Le fait de se tourner vers la zone euro, en 2011, a eu pour conséquence de limiter l’influence que la Russie pouvait avoir sur sa stabilité économique, tout en jouant la carte de la coopération européenne et, ainsi, s’attirer les faveurs des pays membres, comme l’Allemagne, la France et la Finlande.
Pourtant, cette stratégie a rapidement révélé ses premières faiblesses. Le pays s'est vite rendu compte qu’il était trop petit pour financer l’ensemble des opérations internationales. Dans une mesure similaire, il lui est impossible de fournir des ressources humaines à l’échelle mondiale. L’Estonie décide de se lancer sur la seule arme qui lui reste : l’informatique. Ce choix permet d’avoir une influence internationale tout en minimisant les investissements. Plus important, les cyberattaques et la cyberdéfense permettent de déstabiliser un pays sans avoir recourt à la force directe (ce que l’Estonie n’a pas), tout en minimisant les retombées diplomatiques en niant être à l’origine des attaques. User de l’informatique, c’est se rendre indispensable pour l’Union européenne et les membres de l’OTAN, passant du stade d’« État participant » à celui de pays « nécessaire » au sein des alliances. Signe de cette importance internationale, en plus de son « Computer Emergency Response Team of Estonia » national, l’OTAN s’est décidée à former nombre de ses spécialistes en cyberdéfense, cyberguerre et cyberespionnage à Tallinn dans son « Centre d’excellence pour la coopération en matière de cyberdéfense ».
Sur le plan civil, l’informatique estonienne s’impose progressivement dans la vie quotidienne. L’E-gouvernement permet aux citoyens d’accéder plus rapidement aux informations et documents administratifs qu’ils peuvent compléter en ligne. Le vote y est dématérialisé, les documents médicaux et ordonnances accessibles sur internet. En moins d’une vingtaine d’années, le pays est passé du statut d’ex-pays soviétique, avec une industrie coûteuse, au rang d’ État moderne. Signe de cette tendance, en 2003, l’entreprise Skype, spécialisée dans la communication sur Internet, naît à Tallin.
Aux origines de la surreprésentation diplomatique
Ce souhait de figurer parmi les pays leaders du secteur informatique justifie la politique étrangère du gouvernement estonien : affirmer sa puissance face à une Russie féroce en usant des nouvelles technologies et de la diplomatie. Or, pour avoir une influence, d’autant plus si l’on est un ancien État de l’ex-URSS avec une petite population, il faut afficher des performances supérieures à la moyenne des États membres des organisations auxquelles on participe. Ce souhait d’« hyper-performance » se retrouve dans le faible taux d’endettement dans la zone euro, qui attire l’attention des participants.
L’Estonie joue sur sa position à la fois entre État de culture plus « occidentale » et son héritage de l’époque soviétique, en s’impliquant dans le processus de rapprochement de la Moldavie et de l’Ukraine avec l’Europe. De manière plus offensive, elle a participé au conflit entre la Géorgie et la Russie en 2008 en apportant un soutien technologique et informatique. Il semble nécessaire d’ajouter que le petit pays n’hésite pas à user de sa culture nordique, ce qui explique son statut d’observateur au Conseil nordique, et de sa position en Baltique (membre du Conseil des États de la mer Baltique) pour influencer la politique de ses propres voisins. En janvier 2014, la Lettonie rejoindra la zone euro, et l'Estonie y est bien pour quelque chose.
Sur de nombreux points, la politique nationale et étrangère estonienne témoigne du souhait d’un État, en apparence de petite taille, de s’affirmer face aux plus grands. Reste alors cette question finale, quelles sont les limites et l’importance du « soft power » estonien, dans un monde qui n’a de cesse de s’informatiser et où les conflits directs entre pays développés semblent de moins en moins probables ?
L’Estonie joue sur sa position à la fois entre État de culture plus « occidentale » et son héritage de l’époque soviétique, en s’impliquant dans le processus de rapprochement de la Moldavie et de l’Ukraine avec l’Europe. De manière plus offensive, elle a participé au conflit entre la Géorgie et la Russie en 2008 en apportant un soutien technologique et informatique. Il semble nécessaire d’ajouter que le petit pays n’hésite pas à user de sa culture nordique, ce qui explique son statut d’observateur au Conseil nordique, et de sa position en Baltique (membre du Conseil des États de la mer Baltique) pour influencer la politique de ses propres voisins. En janvier 2014, la Lettonie rejoindra la zone euro, et l'Estonie y est bien pour quelque chose.
Sur de nombreux points, la politique nationale et étrangère estonienne témoigne du souhait d’un État, en apparence de petite taille, de s’affirmer face aux plus grands. Reste alors cette question finale, quelles sont les limites et l’importance du « soft power » estonien, dans un monde qui n’a de cesse de s’informatiser et où les conflits directs entre pays développés semblent de moins en moins probables ?