La question est vaste et d’actualité : comment gérer les flux migratoires, comment accueillir et aider au mieux les populations immigrées ? Si l’Union européenne tente d’unifier les positions sur le sujet, les différents pays qui la composent n’ont pas tous les mêmes ressources pour gérer les arrivées sur leur territoire. Le projet « Migration – Challenge for Europe », organisé et piloté par Ana et Gocha, deux Géorgiens, avait pour buts de mettre en commun les connaissances sur le sujet, et surtout d’apporter des compétences aux participants.
Tbilissi, capitale de la Géorgie, était le lieu tout indiqué pour un tel programme : pays situé sur la ligne de division entre l’Europe et l’Asie, il est le mélange de plusieurs influences culturelles. Si on sent encore parfois dans les rues le passé soviétique, la jeunesse géorgienne est définitivement tournée vers l’Europe. Le russe est encore la seconde langue majoritaire, mais tous les jeunes apprennent désormais l’anglais.
Le projet rassemblait donc initialement des jeunes de Suède, d’Italie, de Pologne, d’Ukraine, d’Arménie, d’Azerbaïdjan, de Géorgie et de France, tous choisis sur lettre de motivation par les organisations partenaires. Les profils étaient variés : du réalisateur à l’éducatrice spécialisée, chacun avait un regard différent sur les migrations et leurs enjeux.
Un tour d’horizon de la gestion des migrations
Pendant cette semaine de training course, chaque pays a fait un état des lieux de l’accueil des migrants sur son territoire. Nombre de demandeurs d’asile, organisations-ressources, opinion publique et problématiques liées à l’immigration ont été les points importants abordés dans ces présentations. L’exercice, qui semblait trop scolaire aux participants au premier abord, a permis non seulement de se faire une idée de la situation en Europe, mais aussi d’entendre les craintes et espoirs d’une jeunesse concernée par l’avenir de l’Union européenne.
Certains préjugés ont ainsi été mis à mal. La Suède, présentée en France comme un modèle pour la gestion de l’immigration, a les mêmes problèmes que bien d’autres pays : les mouvements d’extrême droite ont un certain poids dans l’opinion publique, et la crise du logement représente une complication pour l’acceptation des immigrés. Le jour suivant cette présentation, la Suède annonçait d’ailleurs dans les médias le renforcement de ses frontières, alors qu’il avait été affirmé qu’elle pourrait recevoir environ 200 000 migrants cette année.
À l’inverse, l’Arménie a présenté le revers de la médaille, l’émigration : même si la démographie se stabilise depuis quelques années, le pays s’est vidé de ses habitants suite aux conflits et aux massacres. Harut, un des participants arméniens, a d’ailleurs proposé plusieurs fois sur le ton de la rigolade que les autres membres du projet viennent s’installer en Arménie. Avec la diaspora la plus importante du monde, le pays peine à faire revenir ses habitants sur son sol.
Pour Ana, il s'agissait là d'un des buts essentiels de la semaine de formation : « la structure du projet assure que les participants seront capables d’observer comment les pays d’Europe de l’Est et d’Asie centrale, très impliqués dans les processus de migration, dans le sens où ils “envoient” des émigrants généralement, développent leur stratégie et leur politique ».
Malgré des différences contextuelles et structurelles liées à chaque pays, l’accord fut parfait sur le fait que les migrants doivent être reçus en tant qu’êtres humains avant tout, au-delà des complications économiques et politiques des flux migratoires.
Les liens avec les migrations se font à plusieurs niveaux, et les participants étaient représentatifs de ces degrés d’implication. Manon, Française de 27 ans, a partagé son histoire de famille multiculturelle en France : les difficultés rencontrées et les préjugés sont nombreux pour elle et sa famille. Cristina, membre de l’équipe française est en fait espagnole, et habite en France depuis peu pour trouver du travail. Elle raconte que son accent la dessert pendant les entretiens.
Pour Lasse, étudiant suédois, la question des migrations est liée à ses études : « comme je suis étudiant en Paix et Conflits, les migrations sont évidemment liées à mes études, et je voulais en savoir plus, parce que j’avais une assez mauvaise connaissance de comment les autres pays géraient les flux migratoires. J’ai trouvé la semaine intéressante, et j’ai appris beaucoup pendant les présentations de chaque pays. C’était bien de rencontrer de nouvelles personnes, et de m’ouvrir à nouveau les yeux pour voir comment les autres vivent leur vie ! »
Éducation non formelle
Ana, organisatrice du projet, a lié son travail à ses projets personnels durant cette semaine : « on représente le Centre international pour la paix et l’intégration (en anglais ICPI), une organisation qui vise à favoriser le développement personnel et professionnel des jeunes par l’éducation non formelle. L’ICPI organise différents types de projets, que ce soit au niveau local ou au niveau international, et se concentre principalement sur les thèmes de la gestion des conflits, le développement personnel, et l’économie sociale et solidaire. »
Ce projet n’a pas été une semaine de formation au sens traditionnel du terme, et c’est là tout le but des projets Erasmus+. Les différentes rencontres organisées, notamment avec des employés du Ministère de la Justice géorgien et de l’IOM (International Organization for Migrations), faisaient partie d’un processus d’échange sur les différentes manières de penser et de faire. Tout était matière à apprendre : que ce soit pendant les soirées culturelles, où chaque pays présentait sa culture et ses traditions, ou pendant l’organisation d’activités pour des adolescents géorgiens au Tbilissi National Youth Palace, en lien avec les migrations, les participants ont découvert non seulement d’autres pays, mais aussi d’autres manières d’appréhender la société. Au-delà de la question des migrations, ce sont plusieurs cultures qui ont cohabité et ont appris à se connaître.
Une des activités proposées au Youth Palace visait à mettre les jeunes géorgiens dans la peau des migrants – Crédit Nicat Xudiyev
Tornike, participant géorgien de 19 ans, a surtout été marqué par cet échange culturel : « je pense que ce projet nous a donné l’opportunité de bien se connaître, de créer des liens, et d’apprendre plus sur les autres pays, que ce soit pour la culture ou pour ce qu’il se passe dans leur pays par rapport aux migrations, les challenges que ça crée. Pour moi c’était une semaine très intéressante, la meilleure expérience possible. »
Erasmus+, une dynamique d’échanges
Avec un budget de 14,7 milliards pour sept ans, Erasmus+ est destiné à remplir plusieurs objectifs qui visent tous à favoriser l’échange de connaissances au niveau européen et dans les pays limitrophes. Mais au-delà des volontés politiques, c’est bien un échange humain qui s’est créé durant le projet. Pendant une semaine, neuf nationalités différentes se sont côtoyées, ont appris les unes des autres et ont pu avoir une idée plus nette des enjeux migratoires en Europe et dans les pays d’Asie centrale.
Pour Ana, « pendant le projet, chaque session a été spéciale et intéressante. Les participants ont été très attentifs, et ont pu aussi participer à des ateliers assez interactifs, où ils ont pu partager leurs expériences professionnelles et personnelles. Le groupe était composé de gens simplement intéressés par le sujet d’une part, et de l’autre, de gens qui avaient un intérêt professionnel ou personnel, une histoire avec les migrations, ce qui a créé une atmosphère bien particulière pour le processus d’apprentissage, et ça a été le plus grand avantage du projet. »
Manon, participante française, a trouvé un intérêt à la fois professionnel et personnel au projet : « j'ai participé à cet échange car en tant que professionnelle de l'éducation spécialisée, je suis souvent amenée à travailler avec des populations migrantes. Je souhaitais donc élargir mes connaissances théoriques liées aux questions migratoires tout en y apportant une dimension européenne à travers cet échange Erasmus. Ce projet apporte tout d'abord un enrichissement personnel lié à la découverte d'autres cultures. L'échange était le maître-mot de ce projet. Je pense qu'il est important de créer des espaces comme ceux-ci pour de jeunes Européens, afin d'éveiller chez eux une certaine conscience du monde dans lequel on vit et de leur donner envie d'être acteurs dans la création de nouveaux projets. »
Un projet en deux temps
Après cette partie plus formatrice, les organisateurs prévoient un second volet à ce projet en juin 2016, qui se déroulera en Suède. Lors de cette deuxième semaine, les participants pourront alors être acteurs de l’accueil des migrants : avec l’association Viksjöforsbaletten, qui a permis d’ouvrir une école de danse dans un village suédois de 2 000 habitants, cette deuxième partie permettra aux participants d’utiliser la danse « comme un outil d’intégration sociale » selon Ana.
« La seconde partie en Suède sera l’occasion de découvrir comment la société suédoise, que ce soit dans son gouvernement ou par ses citoyens, essaie d’accueillir des centaines de migrants, et nous espérons que cela incitera les autres participants à partager les bonnes pratiques, et à trouver un rôle utile au niveau local, chez eux. »