« Tout le monde dans le street-art a un nom de super-héros, le mien est Pure Evil » a t-il conclu lorsque je lui ai demandé pourquoi il se faisait appeler ainsi. « Pure Evil », s'est-il lui même surnommé. Diabolique, Charles Uzzell Edwards ? Pas tellement. Dans sa galerie de l'est londonien, dans Shoreditch, c'est un type plutôt sympathique qui m'a accueilli, presque comme si l'on s'était vus la veille et que l'on se côtoyait depuis des années.
Après un tour de ses deux galeries, qui ne sont en fait qu'une seule et même galerie espacées de quelques mètres dans la même rue, une visite des ateliers et quelques poignées de main aux nombreux clients qui affluent sans cesse au 108 Leonard Street, nous nous sommes enfin installés, à même la rue, face à la matière du sujet qui nous réunissait : le street-art.
« Pure Evil », un bien curieux pseudonyme qui sévit depuis déjà de nombreuses années dans les rues de Londres, Paris, Los Angeles, et bien d'autres villes encore. « Quand j'étais petit garçon », entame alors Pure Evil, « j'étais obsédé par la guerre et les armes, et c'est lors d'un séjour chez mes cousins à la campagne que j'ai eu pour la première fois un fusil entre les mains. Voulant jouer au chasseur, j'ai alors visé deux petits lapins qui gambadaient au loin, et sans vraiment le vouloir, en ai tué un ». Terrifié par cette histoire qui le rendra par la suite végétarien et animiste, le jeune Charles, fils de peintre, a alors une sorte de révélation un jour en griffonnant quelques croquis : un lapin prend forme sur son carnet, lui rappelant cette histoire d'enfant qu'il n'a jamais vraiment oublié. « J'imaginais qu'il revienne me hanter, comme ces personnages tout droit sortis d'un film d'horreur, rampant sur le sol, les yeux illuminés par le diable. C'est alors que le terme ''Pure Evil'' est venu de lui même s'apposer à côté du croquis ». Voilà qui est fait, Charles Uzzell Edwards n'est plus qu'en privé, Pure Evil ne cessera, dès lors, d'envahir les murs des villes par lesquelles il passera.
« C'est marrant de pouvoir sortir taguer un nom pareil dans la rue » ajoute t-il, lui qui se considère comme l'opposé de son pseudonyme.
Bien que n'étant pas une personne mauvaise et diabolique, Pure Evil décrit tout de même son univers comme étant inspiré par « la noirceur, la mort, la destruction, l'idée de chaos et de l'apocalypse », mais aussi décrit-il ses influences comme étant issues tant de l'histoire, que de la notion d'instant présent, à laquelle il souhaite donner une vision « hyper réelle », et du futur, qu'il tente d'imaginer. « Je pense que si l'on gratte la surface de la plupart des choses, ajoute t-il, on découvre souvent de la noirceur en dessous et c'est ce même concept que l'on retrouve dans mon travail ». De la noirceur, certes, mais aussi une utilisation de beaucoup de couleur vives dans ses réalisations qui lui a été inculquée par l'influence forte, dit-il lui même, des pères fondateurs du street-art parmi lesquels Basquiat, Haring, ou encore Warhol. « Et parce que j'ai une galerie, ajoute t-il enfin, je suis aussi et surtout beaucoup influencé par les réalisations de mes contemporains, artistes dont je vois la réalisation du travail se faire sous mes yeux. Avoir travaillé avec Banksy, par exemple, ne peut que vous influencer ».
« A l'heure du web et des plateformes de partage d'images, il devient très difficile de distinguer si une œuvre est un succès parce que la technique de réalisation est bonne ou parce qu'elle rend bien en format instagram »
Banksy, avec lequel Pure Evil à travaillé à de nombreuses reprises (sur le site de Santa's ghetto notamment) et avec lequel il continue de collaborer, est donc une source grandissante d'inspiration pour l'artiste qui précise : « d'une manière ou d'une autre, je ne ferais pas ce que je fais actuellement si ce n'était pas un peu grâce à lui ». Souvent assimilé à Banksy, Pure Evil a pourtant un style tout à fait différent, qui l'a tout de même amené à voir son travail confondu avec celui de l'artiste, dont il est également un concitoyen. En effet, pendant les JO de 2012, explique t-il, une de ses réalisations (voir ci-dessous) a été relayée plus de 2 millions de fois sur le web via les plateformes de partage de photos, par une majorité de personnes croyant avoir à faire à une réalisation de Banksy.
« Banksy est un génie ! » s'exclamaient les internautes sans toutefois confondre leurs sources (ou simplement remarquer la signature au bas à droite de l'œuvre). Une histoire cependant positive selon les dires de l'artiste qui juge impressionnant le fait qu'une œuvre puisse être vue et partagée par plusieurs millions de personnes en quelques heures sans toutefois qu'un dixième seulement aient pu être capables de la voir dans la rue en un même laps de temps. Mais cette forme de partage d'images et d'œuvres ne répond toutefois pas à la question de savoir si ''une œuvre est une bonne œuvre parce que la technique de réalisation est bonne, ou simplement parce qu'elle rend bien en format Instagram''. A l'heure du web et des nouvelles technologies, c'est une question qui n'a, d'ailleurs toujours pas trouvé de réponse.
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« Au 21ème siècle un artiste doit choisit entre être un bon artiste ou un artiste populaire »
Une évolution du rapport à l'image, au street-art et à l'art en général qui pousse l'artiste à confier à la BBC lors d'un entretien en 2008, qu'un artiste, s'il veut avoir du succès est obligé de ''choisir entre être un artiste populaire ou être un bon artiste'' ajoutant ''qu'un artiste populaire donne aux gens ce qu'ils veulent tandis qu'un bon artiste leur donne ce dont ils ont besoin". Lorsque je lui demande ou est-ce que lui même se situe, étant aussi populaire que talentueux (ce qui, selon ses dires, devrait exclure soit l'une, soit l'autre des propositions), il me répond avoir ''franchi cette sorte de seuil entre les deux'', ajoutant que la ''clef'' selon lui, réside dans la générosité, le ''fait de donner aux gens de magnifiques couleurs à voir et des sensations à vivre'' ce qu'il considère comme étant une réussite dans son travail qui consiste en ''une combinaison d'images plaisantes à regarder et de splendides couleurs''. Pour illustrer le tout, Pure Evil fait alors référence à sa réalisation, « Eddie Fisher's nightmare » (le cauchemar d'Eddie Fisher) ou la couleur chaude clash les deux autres couleurs froides présentes dans le tableau. Il s'agit de ''procurer des sensations aux gens'' insiste t-il, mettre le spectateur dans des conditions incertaines ou il ne sait alors pas pourquoi et comment il a ressenti ce qu'il a ressenti.
Selon les dires de Pure Evil, tout se joue alors via l'inconscient du spectateur, dont le cerveau fait des analyses et des références à la moindre perception d'une couleur ou d'une forme. ''Une belle combinaison de couleur, de manière à superposer un noir brillant sur un jaune prononcé ne peut que vous faire penser aux panneaux routiers de signalisation d'un danger '' ; ''je pense notamment à ma réalisation de Sharon Tate, les gens ne savent pas forcément qu'elle a été assassinée, mais le tout combiné indique un certain danger implicite''.
« Charles Darwin, il a fait quoi lui déjà ? »
Des œuvres qui joue avec notre inconscient mais aussi des œuvres au caractère caché, ou un travail d'interprétation doit être mené. Quand je lui demande s'il est un artiste engagé, Charles acquiesce comme si la réponse allait de soi. ''Bien sur que je veux faire passer un message aux gens'' entame t-il, ''je souhaite que les gens se posent des questions lorsqu'ils se retrouvent face à mes réalisations''. Pure Evil aime aussi à confondre les sens et les certitudes des spectateurs, comme lorsque, sur la jetée de South Wold, les passants aperçoivent une immense fresque représentant Georges Orwell, mais que ceux-ci s'entendent émettre l'hypothèse que le personnage représenté soit en fait Adolf Hiter. ''Pourquoi et comment'' cet immense Georges Orwell aux airs d'Hitler s'est-il retrouvé là ? C'est en fait, ''parce qu'Orwell y est né, et y retourna s'installer dans la trentaine'' m'apprend alors Charles ; mais ça, peu de gens le savent.
Et si Pure Evil préfère de loin prendre comme modèle des Georges Orwell et des Charles Darwin, c'est surtout parce que, précise t-il, ''je suis un homme blanc de classe moyenne, et mes héros n'étant pas issus du hip-hop, les portraits que je réalise représentent des Charles Darwin et non des 2Pac''. Des références pour le moins intellectuelles qui amènent souvent l'artiste à se confronter à des situations peu anodines, explique t-il, comme lorsqu'un jour, deux hommes venus dans sa galerie se retrouvèrent face au-dit tableau de Charles Darwin, l'un dit à l'autre « Charles Darwin, il a fait quoi lui déjà ? ». Ce n'est qu'après quelques minutes de réflexion que l'autre a alors répondu « l'évolution, mec ! ».
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« Les endroits ou faire sa marque dans l'est de Londres sont de plus en plus rare »
Si l'est de Londres est l'endroit avec un (très) grand E ou tout se passe dans le monde du street-art, l'endroit ou il faut être, ou il faut laisser sa trace, c'est aussi un espace qui commence à connaître une saturation extrême. « Tout le monde veut venir ici » précise Pure Evil, « les gens ont l'image de Banksy, ils veulent tenter leur chance et voir s'ils peuvent, eux aussi, réussir, ce qui est très bien ! Cependant, l'espace se fait de plus en plus restreint ! ». A l'exemple du skateboard, industrie dans laquelle Pure Evil a travaillé dans les années 90 en Californie, le street-art s'est déjà rapidement démocratisé, et qui veux tenter sa chance aura probablement les faveurs de son entourage qui a vu l'évolution et l'essor que cette forme d'art à pris ces dernières années. De telle sorte que, les endroits ou faire sa marque (et se démarquer, là est surtout le point important) se font de plus en plus rare.
Si Shoreditch manque de murs immaculés, Pure Evil a su passer outre cet élément depuis qu'il a une galerie. Mais lorsque, comme lui, on a commencé sur des murs dans la rue, presque cagoulé, adrénaline au maximum, il devient difficile de ''s'enfermer'' dans l'espace calme et confortable délimité par les murs d'une galerie. Son endroit favori pour s'adonner au street-art ? « Sao Paulo » répond-il sans hésitation. « C'est un endroit génial ! Si vous vous réveillez au beau milieu de la nuit, après que la pluie ai cessé, les rues sont désertes et c'est une sensation de liberté extrême que de pouvoir sortir, lampe et bombe à la main pour aller graffer un peu ». Mais Pure Evil aime aussi les rues parisiennes, dans lesquelles on trouve « de tout, des armoires, des planches de bois, un tas d'autres choses propices à être taguées ». Si la place commence à se faire rare dans la capitale anglaise, Pure Evil lui, ne se trouve jamais en manque de matière.
« Monter une galerie ? C'est comme créer un groupe, vous ne vous dites pas directement que vous allez devenir les Sex Pistols ! »
C'est cette soif d'extérieurs qui a poussé l'artiste il y a peu à s'engager dans un projet nommé « 365 » (en référence aux 365 jours qui composent une année), dans lequel il s'est donné l'objectif de réaliser une œuvre par jour, qu'il pleuve ou qu'il vente. « J'essaye juste de sortir tous les jours, de graffer quelque chose, ça n'a pas forcément à être une installation exceptionnelle, c'est simplement histoire de faire mon quota ». ''Quota'' qu'il estime être loin de réaliser depuis qu'il tient une galerie. « Comme un ouvrier doit faire son quota, je dois faire le mien » explique Pure Evil avant d'ajouter « sans ce quota, je deviendrais très vite ce type que les gens mentionneraient de la sorte : ''oh oui ce mec faisait du street art avant, maintenant il tient une galerie ». Derrière ces propos, on sent que les années folles sont derrière lui, ces mêmes années qui l'ont amenées sans qu'il ne s'en rende compte à tenir une galerie. Pure Evil se qualifie d'ailleurs de ''galeriste par accident'', racontant comment, sans vraiment trop s'en rendre compte, il a commencé par louer cet endroit pour y exposer deux trois toiles, puis celles de son père, endroit qu'il n'a par la suite, jamais quitté. « C'est comme créer un groupe, vous ne vous dites pas directement que vous allez devenir les Sex Pistols, vous vous réunissez juste entre potes au fond d'un garage. Quant à moi, j'ai d'abord eu mes réalisations dans une galerie avant d'avoir une galerie, c'est comme ça que ça s'est passé. »
L'anecdote :
« J'étais à Paris il y a un mois et après quelques verres avec des potes dans le quartier du Sacré-Cœur je me suis retrouvé devant un évier et plusieurs compartiments de cuisine, d'une manière ou d'une autre, le tout ressemblait à un visage, j'ai alors dégainé ma bombe et ai dessiné une sorte de sourire plutôt diabolique avec une dent qui dépasse et inscrit "Pure Evil" à côté. Finalement, quelqu'un a carrément récupéré l'évier et l'a ramené chez lui pour le mettre en vente sur eBay. Un de mes amis par curiosité l'a contacté en lui demandant combien il voulait pour cet évier, lui faisant une offre à 10 pounds par la suite, et c'est très marrant parce que les vendeurs voulait quelque chose comme 1200 pounds ou plus ! Vous vous imaginez les gars ramenant cet évier dans l'eurostar ? C'était très marrant. Mais au fond ce qui est vraiment génial, c'est cette phrase je crois que c'est quelque chose comme "mes ordures sont votre trésor" ou "vos ordures sont mon trésor", le fait est que ce qui parait être des ordures pour les uns peuvent faire le bonheur des autres. C'est ce qui se passe quand je trouve un évier à taguer dans la rue à Paris et qu'un petit chanceux le ramène chez lui. Ce qui était au départ une encombre pour quelqu'un, qui allait finir sa vie dans une décharge, est devenue une œuvre d'art pour quelqu'un d'autre. »
Père d'une petite fille depuis quelques mois, l'artiste rebelle dans ses jeunes années, fuyant l'Angleterre en plein soulèvement pour le soleil californien s'est désormais exilé à la campagne, là ou « au milieu de nulle part », dit-il, « personne n'essayerait de vendre un évier sur eBay, évier qui n'aurait probablement pas bougé de sa place et serait resté au beau milieu de nul part pour toujours ou aurait fini à la benne ».
Merci à Pure Evil pour cette interview. Lien du site web.