Elections au Panama : quand le vice-président devient candidat d'opposition, puis président

Ingrid Piponiot
10 Mai 2014



Dimanche 4 mai, les panaméens se sont rendus aux urnes pour élire le prochain président, ainsi que les nouveaux députés, maires et représentants. Ces élections générales à un tour ont rendu la journée du dimanche forte en émotions, avec notamment un grand coup de théâtre à l'heure des résultats présidentiels. En effet, contre toute attente, c'est le vice-président, exclu du gouvernement en 2011 suite à un conflit interne, qui remporte le tournoi électoral avec un score écrasant de 40% face aux six autres candidats. Juan Carlos Varela, que les sondages laissaient hors-compétition durant toute la campagne électorale, sera donc à partir du 1er juillet le nouveau chef d'Etat du Panama.


Crédit DR
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Ce n'est pas par l'originalité de son parcours politique que Juan Carlos Varela s'est démarqué de ses adversaires. Fervent catholique et père de trois enfants, il est issu d'une famille traditionnelle de l'oligarchie panaméenne, et est parenté à l'une des figures politiques les plus significatives de la nation, Arnulfo Arias, élu trois fois président de la République, mais aussi trois fois déposé par les militaires.


Comme la plupart de ses adversaires politiques, Juan Carlos Varela, âgé de 51 ans, est avant tout un homme d'affaires renommé et se trouve à la tête de Varela Hermanos, grande entreprise familiale productrice de liqueurs. Après avoir étudié aux Etats-Unis, il retourne au Panama, où il intègre non seulement l'entreprise de son père, mais également le parti politique familial, le Partido Panameñista. En 2006, il en devient président, et aspire à la tête du gouvernement. Cependant, n'étant que la troisième force politique du pays, il se voit obligé de s'unir à Ricardo Martinelli et son parti Cambio Democrático, avec qui il remporte les élections de 2009. Juan Carlos Varela devient donc vice-président, et se voit promettre le titre de candidat pour les élections de 2014.


Cependant, l'alliance politique ne fait pas long feu et va rapidement se transformer en une querelle digne des meilleurs feuilletons latino-américains. En effet, de nombreux conflits naissent au sein du nouveau gouvernement, et vont peu à peu mener à la rupture de l'alliance politique. Les premières fissures se font sentir lorsque Martinelli retire à son vice-président le titre de Ministre des Relations Extérieures, sous prétexte qu'il cumule déjà trop de fonctions. Varela va alors commencer à s'en prendre au chef de l'Etat, en l'accusant publiquement de s'accaparer les pouvoirs judiciaire et législatif au sein d'un gouvernement fortement corrompu. Le comportement du numéro deux de l'Etat est considéré comme déloyal par le président qui va demander sa démission, et c'est ainsi qu’au bout de deux ans de mandat Varela quitte le gouvernement. L'affaire ne s'arrête pas là, car l'année suivante il est amené en justice par Martinelli, qui lui demande vingt-et-un millions de dollars pour dommages et intérêts. Cependant la plainte sera retirée et Varela disparaît de la scène politique.


Juan Carlos Varela, l’ennemi du gouvernement sous-estimé par ses adversaires

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Il faudra attendre l'arrivée des élections de 2014 pour voir réapparaître cette figure emblématique du Partido Panameñista, qui remporte les primaires de son parti avec 99% des voix. Représentant une idéologie classée à droite, prônant le libéralisme économique et une tradition politique conservatrice, il se démarque cependant pour son penchant social. En effet, le gouvernement actuel lui doit de nombreux plans sociaux hautement populaires, comme le « 100 a los 70 » à travers lequel l'Etat donne 100 $ mensuels à tout citoyen âgé de plus de 70 ans.


Cependant, Varela ne semble pas présenter un danger imminent pour ses deux principaux opposants, José Domingo Arias du Cambio Democrático (CD) et Juan Carlos Navarro du Partido Revolucionario Democrático (PRD). En effet, les sondages réalisés tout au long de la campagne laissaient présager un score assez serré entre le poulain de Martinelli et le principal candidat de l’opposition, laissant loin derrière Juan Carlos Varela. Ainsi, le dimanche après-midi, quand commence le dépouillement des votes, l’effet de surprise est total : Juan Carlos Varela se trouve en tête des résultats, et creuse l’écart avec ses adversaires au fil des heures. Ce fut tellement inattendu que Ricardo Martinelli, dans un élan de rage, s’est rendu en personne au Tribunal électoral pour vérifier les résultats, se donnant en spectacle devant toutes les télévisions nationales.
 

Un vote sanction pour les deux principaux partis du pays ?

La victoire de Juan Carlos Varela, sous-estimé par les sondages et par ses adversaires, semble représenter un vote sanction envers le CD et le PRD, qui se sont démarqués ces derniers mois par leur médiocre campagne électorale. En effet, à quelques jours des élections, on pouvait sentir dans le pays une envie pressante de la part des citoyens d’en finir avec une campagne qui tournait au ridicule.

Si les sept candidats en lice ont mené une bataille basée sur des scandales de corruption, de campagne négative, d’insultes et de populisme ; Juan Carlos Navarro et José Domingo Arias ont brillé par leurs aberrations, notamment sur le plan financier. Dans un pays secoué par les grèves et les demandes sociales émanant des classes défavorisées et moyennes, les sommes pharaoniques dépensées durant ces derniers mois ont eu du mal à être acceptées. C’est en effet la campagne la plus coûteuse de l’histoire du Panama, et bien que les chiffres officiels ne soient pas publiés, on estime à plusieurs millions de dollars les investissements réalisés par chacun des trois principaux partis. On pourrait donc penser qu’au moment de voter, la population ait décidé de sanctionner les deux principaux candidats, qui dans leur lutte pour le pouvoir ont mené une campagne superficielle et négative, laissant de côté les propositions concrètes pour se concentrer sur l’aspect festif et populiste. On peut prendre l’exemple des clôtures de campagne, où après un bref discours final, les candidats ont laissé place à des concerts pharaoniques, qui comptaient la présence d’artistes internationaux comme Sean Paul.

Cependant, José Domingo Arias semblait surfer sur la vague de popularité de Martinelli, qui après cinq ans à la tête du pays maintient un incroyable 60% de soutien parmi ses citoyens. Avec le slogan “plus en 5 ans qu’en 50”, la campagne du parti Cambio Democrático soulignait les grands avancements qu’a connu le pays à travers les oeuvres publiques entreprises par Martinelli. Le projet phare mit en avant par le CD est la première ligne centraméricaine de métro, inaugurée il y a tout juste un mois dans la capitale du pays. Mais c’est la tradition d’alternance du pouvoir à laquelle sont très attachés les panaméens qui a primé lors du vote final, et l’accusation de “réélection déguisée” de Martinelli lui a joué un mauvais tour. En effet, la Constitution interdisant au chef de l’Etat de se représenter, celui-ci a désigné comme successeur Arias, considéré comme sa marionnette par l’opposition. Il faut ajouter à cela que le candidat a pris pour vice-présidente la Première dame, dont l’intérêt pour la politique n’avait jamais été exprimé jusque là.

Malgré sa forte popularité, le gouvernement actuel quittera donc le pouvoir le 1er juillet, pour laisser place à son vice-président et ses nouveaux alliés. Juan Carlos Varela, dont les promesses de campagne ont été parfois éclipsées par la bataille PRD-CD, se retrouve maintenant sur le devant de la scène politique. Reste à voir s’il sera capable de mettre en place ses mesures de lutte contre la corruption et l’inflation, tout en maintenant la fulgurante ascension économique qu’a connu le pays ces dernières années.
 

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