Ecosse : le référen-quoi ?

13 Septembre 2014



A une semaine d'un référendum d'ores et déjà historique, cet article se veut être un petit manuel d'utilisation à usage de ceux pour qui le 18 septembre n'est pour l'instant qu'un jeudi comme les autres. Le scrutin mènera ou non à l'indépendance, mais il sera dans tous les cas déterminant dans l'histoire de l'Ecosse et de la Grande-Bretagne. Un oui donnera probablement même un second souffle aux mouvements indépendantistes catalans ou québécois, et des sueurs froides aux gouvernements centraux. Que ceux qui ont fui le débat jusqu'à présent se résignent : l'heure est venue de se pencher sur le référendum écossais pour de bon.


Crédit Alice Quistrebert
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Anglais, Britanniques, Ecossais, Irlandais... De qui parle t-on ? 

Quelques rappels sont nécessaires avant toute chose. De nombreux médias commettent des abus de language en utilisant de façon interchangeable "Angleterre", "Grande-Bretagne" et "Royaume-Uni". En résulte une confusion générale : être Anglais et être Britannique, est-ce la même chose ? Non, bien sûr. 

Les Anglais sont les habitants de l'Angleterre, une nation définie par un territoire mais qui ne forme pas un Etat et qui ne correspond donc pas à une citoyenneté. Les Ecossais et les Gallois habitent les deux autres nations qui forment avec l'Angleterre l'île de Grande-Bretagne. Il faut rajouter l'Irlande du Nord pour aboutir à l'Etat britannique tel qu'on le connaît aujourd'hui : le Royaume-Uni. Un Anglais est donc systématiquement Britannique, mais l'inverse n'est pas toujours vrai : un Britannique peut aussi être Irlandais du Nord, Gallois ou Ecossais. Concernant l'Ecosse en particulier, elle a rejoint la Grande-Bretagne (qui deviendra le Royaume-Uni de Grande-Bretagne en 1801) avec l'Acte d'Union de 1707.

Qui pourra voter le 18 septembre ?

L'un des fers de lance du SNP, le parti indépendantiste, concerne la définition de la citoyenneté écossaise : inclusive et basée sur la résidence plutôt que sur les origines. En conséquence, le corps électoral qui aura la responsabilité de se prononcer le 18 septembre, répond à cette vision inclusive. Ainsi, tout citoyen britannique et tout citoyen issu de l'Union européenne ou du Commonwealth résidant en Ecosse depuis plus d'un an, sera en droit de voter. Les Ecossais expatriés ou ceux résidant en Angleterre, au Pays de Galles ou en Irlande du Nord n'auront quant à eux pas de voix. Et puisque le référendum pèsera au final d'avantage sur les jeunes générations, le SNP a élargi le droit de vote aux jeunes de plus de seize ans. A noter qu'un scandale a éclaté fin août, quand des médias écossais ont révélé que certains électeurs avaient mis leur voix en vente sur eBay. 

Crédit Alice Quistrebert
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Les Ecossais sont-ils tous nationalistes ? Comment se définissent-ils par rapport aux autres Britanniques ?

Non, et c'est le grand enseignement des sondages. Alors que l'opinion publique continuait à se figurer l'Ecossais moyen comme étant un Highlander roux parcourant les montagnes en kilt à la recherche d'un Anglais à bouter hors de ses terres, les dernières semaines ont montré que la réalité était à des lieues de ce cliché. Les Ecossais ont certes été favorables à la mise en place de leur propre parlement et ont voté pour l'organisation d'un référendum, mais les prévisions annoncent une grande mesure pour le vote de jeudi. Le "non" tend effectivement depuis le début à dépasser le "oui" dans les sondages. On est donc loin des oracles d'Irvine Welsh, l'auteur de Trainspotting, qui annonçait que les Ecossais, patriotes inconsolables, voteraient "oui" avec "leurs tripes".
 
De manière plus générale, les Ecossais ne perçoivent pas leur identité comme étant exclusive et ne sont à cet égard pas nationalistes au sens traditionnel du terme. La question de Moreno est à cet égard révélatrice : du nom de celui qui l'a mise au point, elle consiste à demander à une personne revendiquant deux identités laquelle elle privilégie. Dans le cas présent, il s'agit de savoir si les Ecossais se sentent Ecossais, Britanniques, plus Ecossais que Britanniques, plus Britanniques qu'Ecossais, ou aussi Britanniques qu'Ecossais. Le dernier sondage confirmait l'impression générale : la majorité de la population résidant en Ecosse se sent Ecossaise puis Britannique, mais sans exclure l'une de ces deux identités. Il est donc important de ne pas poser de fracture définitive dans le débat en opposant systématiquement les Ecossais aux "autres".

Les Ecossais et les Anglais se détestent-ils vraiment ?

Non. Les Ecossais et les Anglais cohabitent au sein du même Etat depuis maintenant plus de trois cents ans, et leurs relations se sont donc considérablement pacifiées depuis l'époque de Robert the Bruce et des révolutions Jacobites. Il serait toutefois naïf de penser que les siècles de conflits précédant l'union de 1707 n'ont laissé aucune trace.
 
En matière de sport pour commencer, l'équipe britannique n'existe pas toujours en tant que telle. Alors que la "Team GB" est présente aux J.O. , l'Angleterre, l'Ecosse, le Pays de Galle ou l'Irlande (l'Eire et l'Ulster étant elles aussi rassemblées) prennent part à certaines compétitions internationales. C'est le cas du rugby ou encore du football. Le tournoi des Six Nations est symptomatique des tensions qui peuvent parfois émerger entre voisins : les places pour le match Ecosse – Angleterre qui s'est tenu à Murrayfield à Edimbourg cette annéee, se sont vendues en quelques jours seulement cette année, et les kilts se sont multipliés dans les pubs écossais. Ce n'était pourtant pas le cas pour les matchs contre l'Irlande ou l'Italie. Et quand les Anglais sont les adversaires, les murs des pubs tremblent plus fort que d'habitude au moment où les supporters écossais entonnent leur hymne, "Flowers of Scotland".
 
Mais au-delà des stades, c'est dans l'arène politique que s'expriment le plus souvent les tensions entre Anglais et Ecossais. Ces derniers dénoncent en effet le vide démocratique qui les sépare de Londres, et ils se présentent souvent en victimes des gouvernements britanniques. Depuis Thatcher en effet, la majorité des gouvernements élus l'a été sans le soutien écossais. Les Anglais tendent à voter plus à droite, alors que les Ecossais ont un héritage social et politique qui les fait pencher vers la gauche. Mais parce qu'ils représentent moins de 10% de la population, leur voix a souvent du mal à se faire entendre à Londres. Les exemples sont multiples : privatisation du Royal Mail contre la volonté des Ecossais, stationnement du dispositif d'armement nucléaire britannique (Trident) au large de Glasgow alors que les Ecossais sont majoritairement anti-nucléaires, instauration d'une taxe jugée injuste sur les logements sociaux (bedroom tax), etc... Ce décalage conduit à ce que le SNP mène un discours très critique au sujet des politiques établies à Londres, et à ce qu'il fasse de l'impératif démocratique le fer de lance de son argumentaire. 

Crédit Alice Quistrebert
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Qui sont les campagnes qui s'affrontent pour le référendum ?

La question à laquelle les électeurs devront répondre dans l'isoloir jeudi prochain est : "L'Ecosse devrait-elle être un pays indépendant ?". Assez logiquement, le paysage politique s'est scindé entre deux camps. 
 
D'un côté, les partisans du "oui" se sont organisés autour de "Yes Scotland". Leur leader officiel est Blair Jenkins, un journaliste télé. Mais c'est bien plus d'Alex Salmond, le truculent chef de file du SNP, que l'on entend parler. La campagne parvient à réunir au-delà du parti indépendantiste écossais : les verts et le parti socialiste soutiennent aussi "Yes Scotland". Elle a été officiellement lancée le 25 mai 2012 et bénéficie aujourd'hui d'un large succès dans l'opinion publique. Pour plus d'informations sur le mouvement séparatiste : http://www.yesscotland.net/
 
De l'autre côté, les partisans du non se sont organisés autour de "Better Together", mené par Alistair Darling. D'origine écossaise, il est depuis 1987 député travailliste au parlement de Westminster. Au fil des débats (notamment des deux grands débats télévisés), il s'est imposé comme l'interlocuteur privilégié d'Alex Salmond. La campagne "Better Together" a quant a elle débuté le 1er juin 2012. Elle rassemble le soutien du parti travailliste écossais, du parti conservateur écossais et du parti libéral-démocrate écossais – les trois grands partis unionistes. Le mouvement unioniste rassemble à priori le plus d'intentions de vote jusqu'à présent selon les différents sondages publiés. Pour en savoir plus : http://bettertogether.net/
 
Au-delà de leurs dissenssions fondamentales, les deux campagnes partagent des points communs. Elles sont d'une part très actives et très visibles : très présents sur le terrain via des opérations de "canvassing" (porte à porte), les militants le sont aussi sur les réseaux sociaux. Facebook et Twitter se sont en effet très vite imposés comme des relais du débat voire comme des forums de discussion entre les deux camps. L'enjeu que représente le vote des jeunes électeurs de 16 et 17 ans a certainement joué un rôle dans l'importance accordée par les deux camps aux nouvelles technologies. Une deuxième caractéristique de ces campagnes a trait à leur aspect démocratique et tolérant – du moins jusqu'à présent. Le 8 septembre, Nicola Sturgeon (vice-première ministre du SNP) tweetait : "Je viens d'avoir une discussion passionnante avec un chauffeur de taxi partisan du "non". Cette conversation informée, polie, respectueuse et passionnée m'a rendue fière de mon pays !". 

Et le député Christian Allard a confié qu'en dehors de quelques blagues potaches (à l'instar de l'accueil de députés travaillistes britanniques à Glasgow rythmé par la bande-son de "L'Empire contre-attaque" en référence au soudain intérêt des politiciens de Londres pour l'Ecosse : https://www.youtube.com/watch?v=TMcngLWjOrs), la campagne était pacifique. Ce que les deux camps tiennent conjointement à mettre en avant, c'est le formidable élan démocratique qui s'est créé autour du vote. Il faut rappeler que 97% des électeurs se sont inscrits pour voter le 18 septembre : du jamais vu en Ecosse.


Crédit DR
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Faut-il croire les sondages ?
 
Samedi dernier, l'Ecosse connaissait le premier séisme politique de la campagne alors que les intentions de vote des sondés donnaient pour la première fois le "oui" vainqueur d'une courte tête. Mardi, un autre sondage redonnait confiance aux unionistes en annonçant que le "non" était de nouveau premier. Qui croire ? 
 
Pour Andrew Hunter, expert en sciences politiques écossaises, il convient de s'y reprendre à deux fois avant de regarder les résultats des sondages. En Grande-Bretagne, la loi exige de s'enregistrer sur des listes électorales avant le jour J pour pouvoir voter, et les instituts utilisent comme pannel pour effectuer des sondages sur une élection les électeurs des précédents scrutins. Mais un problème se pose aujourd'hui : alors que ces électeurs inscrits ne représentent habituellement que 60 à 70% du corps électoral total (65, 1% lors des dernières élections générales en 2010), 97% d'électeurs ont décidé de s'enregistrer pour le référendum. Le constat est alors simple : une part conséquente de ceux qui voteront jeudi n'a jamais été consultée par les instituts de sondage. Lors du dépouillement, ce décalage pourrait bien créer la surprise. 

L'Ecosse indépendante ferait-elle partie de l'Union européenne ?
 
Il est probable que oui, mais la véritable question est : quand ? Pour Salmond, l'opération prendra dix-huit mois. La situation est pourtant inédite : aucun Etat membre de l'UE ne s'est jamais divisé en demandant à rester dans l'union et il est donc impossible de prévoir le déroulé des évènements. Les nationalistes jugent inenvisageable l'idée que les Ecossais se voient retirer leur citoyenneté européenne ; elle fait désormais intrinsèquement partie de leur identité, selon eux. Pour Bruxelles cependant, cette citoyenneté européenne devra être le produit d'un vote : les 28 Etats-membres devront à l'unanimité approuver l'entrée d'une Ecosse indépendante dans l'union. Des zones d'ombres émergent déjà. L'Espagne ou la Belgique, pays minés par des tensions nationalistes, verront-ils d'un bon oeil la reconnaissance par l'UE d'un nouvel Etat ? Et Bruxelles acceptera t-elle l'entrée d'une Ecosse qui refusera très probablement d'utiliser l'euro, comme l'exigent pourtant les traités ?  

Crédit Alice Quistrebert
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Concrètement, que va t-il se passer si les Ecossais votent "oui" ?
 
Une chose est certaine : en cas d'un "oui" le 18 septembre au soir, l'Ecosse ne se réveillera pas indépendante le 19. Aucune disposition précise n'a pour le moment été prise concernant une issue positive, mais le SNP, dans leur manifeste pro-indépendance "L'Avenir de l'Ecosse", parle du 24 mars 2016 comme date d'entrée en vigueur de l'indépendance. Le parti de Salmond devrait de toute façon attendre la décision du parlement de Westminster : son autorité est la seule faisant foi concernant les changements constitutionnels. 
 
En supposant que le "oui" l'emporte, le programme serait chargé : le choix d'une monnaie pour l'Ecosse indépendante, la rédaction d'une nouvelle constitution (le SNP privilégie une constitution écrite, contrairement à la constitution britannique en vigueur aujourd'hui), la définition de la citoyenneté écossaise, le début du processus de négociation avec l'Union européenne... et aussi l'élection d'un gouvernement. Il faut bien comprendre qu'en cas d'indépendance, le parti nationaliste ne sera pas automatiquement en charge du nouveau gouvernement écossais. Des élections générales auront lieu, et le SNP ne sera alors qu'un candidat parmi les autres partis. Même en cas de "oui", leur programme est donc à lire avec précaution : la majorité des mesures qu'ils annoncent dépendront en fait de leur succès aux élections générales. 
 
Le scrutin de jeudi ne serait alors que le premier d'une longue série.

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Alice Quistrebert
Bretonne pur beurre cultivant ses racines à l'IEP de Rennes, co – rédactrice en chef du magazine... En savoir plus sur cet auteur