Écoliers d'aujourd’hui, dirigeants irakiens de demain

4 Mai 2015



C’est sur le seuil des écoles que se joue le futur de l’Irak. C’est dans les classes que se profile l’élite politique de demain. Dans ce pays situé aux portes de l’Asie germe un système éducatif basé sur la mémorisation. En s’ouvrant à cette méthode de pédagogie, le système éducatif limite la vraisemblance d’un futur dialogue inter-sectaire. La dépersonnalisation du savoir marque un pas en arrière dans la conscientisation de la future classe dirigeante, mettant ainsi en péril l’avenir des discordances régionales du pays.


Crédit DR
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À l’aube du XXème siècle on a admiré le système éducatif irakien pour ses taux de réussite presque exemplaires dans la lutte contre l'analphabétisme, en 2015 on déprécie la pédagogie et les résultats décevants. L’apprentissage par cœur aboutit trop souvent à une standardisation des connaissances. 

Celles-ci desservent la compréhension inter-régionale pourtant cruciale dans le pays qui souffre de divisions internes tant au niveau économique que politique. Comprendre les enjeux pétroliers, tribaux, religieux et sectaires n’est pas une mince affaire. Là où le système éducatif devrait mettre un point d’honneur sur l’harmonisation de ces enjeux, on constate que ce n’est pas le cas. Le statu quo est le seul maître du jeu.

La mémorisation au détriment de l’interprétation

Les conflits qui ont gangréné le pays dès 1990, la guerre du Golfe et les sanctions des Nations unies qui en découlent ont contribué à la baisse de qualité de l’éducation. Pourtant, les budgets réservés à cette branche du gouvernement ont également été déviés au profit de la guerre et de l’armement. Le budget pour l'éducation a baissé de 20 % des dépenses totales de l’État au profit du secteur militaire. Le pays n’a pas investi dans l’éducation comme un potentiel médiateur de conflit.

Au contraire, il a choisi de continuer sur la lancée de Saddam Hussein en gardant la mémorisation comme fil rouge de l’enseignement. En 1994 Saddam Hussein, président d’Irak de 1979 à 2003, a plongé le pays dans sa « Campagne de Foi ». Elle visait à promouvoir l’islam et ainsi contrecarrer la montée de la sympathie pro-occidentale alors très présente au Proche et Moyen-Orient.

L’éducation nationale était l’un des instrument pour conduire cette campagne et a subi une réforme : la mémorisation fut instaurée. Des cours de religion islamique durant lesquels les élèves se sont vu obligés d’apprendre par cœur des versets du Coran ainsi que des interprétations imposées par les chefs religieux qui siégeaient au gouvernement ont été imposés.

Les répercussions de ces modifications sont à large spectre : les enfants entre 6 et 11 ans subissent de plein fouet ce changement. Les bancs d’école sont devenus une plateforme de propagande islamique. Cette « Campagne de Foi », selon le sociologue et théoricien Anthony Oberschall, correspond à la capacité d’organisation de Saddam Hussein.

Oberschall décrit ce processus en quatre parties. Le mécontentement d’un segment de la société civile mène à la création d’une idéologie qui répond aux réclamations du peuple. Ensuite s’installe une capacité d’organisation et de mobilisation qui débouchent sur une opportunité politique.

Épousant cette théorie, beaucoup de sociologues perçoivent l’endoctrinement religieux comme un tremplin vers un projet politique. Imposer des croyances religieuses dans les écoles peut, ainsi, donner lieu à des conséquences alarmantes.

La mémorisation, un terrain glissant

Aujourd’hui, la mémorisation persiste bien que la « Campagne de Foi » et les cours de religion islamique qu’elle a exigé aient définitivement été abolis lors de l’invasion des États-Unis en 2003. La mémorisation, mariée à un manque de curiosité intellectuelle de la part des étudiants et à l’absence de motivation de la part des professeurs, ne présage rien de bon.

En Irak il n’est pas requis de comprendre pour apprendre car les examens sont composés de questions pour lesquelles des réponses ont été pré-formulées et n’ont plus qu’à être mémorisées. La compréhension n’entre pas en ligne de compte lors des épreuves. Ce schéma est vrai de la primaire à l’université.

L’éducation pour le dialogue et le dialogue par l’éducation

Finir un cursus universitaire en Irak est synonyme d’être en mesure de réciter sur le bout des doigts la matière imposée par le ministère des Études supérieures et de la recherche scientifique. Mais les élèves sont-ils pour autant capables de comprendre la richesse qui se cache dans la diversité ethnique, culturelle, religieuse et naturelle de ce pays ?

Les disparités régionales qui trouvent leurs racines dans ces richesses rajoutent une couche de complexité aux conséquences de l’éducation sur la vie politique du pays.  Les inégalités régionales sont ancrées depuis longue date mais ne peuvent être comprises sans une volonté de dialogue. Myriam Benraad, politologue à SciencesPo Paris et spécialiste sur l’Irak, déclarait récemment lors d’un événement que le dialogue irakien doit passer par la voie du fédéralisme ou par des alliances tribales trans-sectaires.

Tout laisse à croire que la solution aux discordances régionales repose dans la façon d'appréhender la discussion au sein même de l’élite politique Irakienne. Être formé à comprendre et analyser semble donc être le point de départ pour former la classe dirigeante de  demain.

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Student at Sciences Po Paris interested in international relations and security issues with an... En savoir plus sur cet auteur