Djihadisme en Afrique: le terrorisme oublié (1/2)

23 Mai 2016



D’après le rapport sur le terrorisme global de 2015 de l’Institut Paix et Economie, le nombre d’attaques et de victimes du terrorisme a « dramatiquement augmenté sur les quinze dernières années ». Si leur nombre a considérablement accru depuis le début de la guerre civile syrienne en 2011 principalement au Moyen-Orient, le Nigéria était le second pays ayant le plus grand nombre de victimes du terrorisme en 2014. De quoi interpeller sur les réalités d’un mouvement global, sa place et son influence sur le continent africain, qui, s’il n’y est pas moins violent, semble être délaissé. Le Journal International se penche sur ce terrorisme oublié.


AMISOM et l'armée nationale somalienne tentent de repousser Al Shabaab du corridor d'Afgoye. Crédits : Flickr / AMISOM Public Information
AMISOM et l'armée nationale somalienne tentent de repousser Al Shabaab du corridor d'Afgoye. Crédits : Flickr / AMISOM Public Information
Le continent africain est le lieu de mouvements et actions terroristes divers depuis plusieurs décennies. Ces mouvements, qui se sont transformés ou ont émergé, ont une importance non négligeable aujourd’hui. Ils s’inscrivent dans la période post-printemps arabe, à l’origine d’une profonde déstabilisation et reconfiguration (géo)politiques de la région. Pour mieux comprendre la nature de ces groupes djihadistes et les enjeux qu’ils soulèvent, nous nous penchons sur les trois principaux groupes présents sur le continent africain, du Sahel à la Corne de l’Afrique, en passant par le Nigéria : Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), Boko Haram et Al-Shabbaab.

Fractures économiques et inégalités sociales aux origines de Boko Haram

Si le Nigéria présente un potentiel économique non négligeable, en étant notamment le premier pays africain exportateur de pétrole, la répartition des richesses y est très inégale. D'après les dernières données disponibles de la Banque mondiale, 39,1 % de la population vivait en 2011 avec moins de 3,10 dollars par jour et 49  % des revenus étaient détenus en 2009 par 20 % des plus riches. Le nord du pays est nettement moins développé et les inégalités s’y sont creusées depuis 2000. La naissance de Boko Haram, en 2002, s’est initialement appuyée sur ces inégalités économiques, mais aussi sociales, dans l’État du Borno, au sud-est du pays, qui présente un taux de pauvreté et d'illettrés parmi les plus élevés du pays ainsi qu’un très faible taux d’éducation. Tous ces facteurs qui « rendent les individus plus vulnérables à la radicalisation et à la violence », présentent un terreau favorable pour ce genre d’organisation, d’après Xavier Aldekoa, journaliste freelance en Afrique.

Parallèlement, Boko Haram s’est confronté violemment à plusieurs reprises aux forces de sécurité du pays, principalement au Nord-Est. En 2003, suite à des affrontements avec les forces de sécurité, Ali Moddu Sheriff est désigné gouverneur de l’état du Borno et nomme un membre de Boko Haram au ministère des Affaires religieuses. L’application de la Sharia s’est par la suite durcie avec notamment la création d’écoles coraniques ouvertes à tous. Pour une population qui n’avait majoritairement pas accès à l’éducation, ces écoles deviennent une nouvelle alternative face à un sentiment d’abandon du pouvoir central corrompu. En juillet 2009, une nouvelle révolte engagée par le groupe terroriste dans le nord-est du pays est violemment réprimée par les forces de sécurité nigérienne. Cette répression militaire a « contribué à l’évolution du mode opératoire de Boko Haram », devenant plus radical et violent, d’après Xavier Aldekoa. Cela illustre une évolution exponentielle d’un mouvement religieux alimenté originairement d’une crise sociale profonde, se nourrissant d’une violence et répression étatique forte pour instaurer une logique de Califat dans le nord du pays. 

Vide et luttes politiques et institutionnels : origines et montée en puissance d’Al-Shabbaab

Si le groupe Al-Shabaab, en Somalie, est officiellement créé en 2006 par Aden Hashi Farah, le début de djihadisme dans le région date des années 1980, s’alimentant d’un vide politique et institutionnel qui n’a cessé de s’aggraver. Suite au renversement de l’ancien président Siyad Barre en 1991, le pays s’est institutionnellement divisé avec la création de Somaliland la même année au nord du pays et de Puntland en 1998 au Sud. Suite à l’investiture d’un gouvernement de transition en 2004, les violences s’intensifient, illustrant un véritable processus de déstructuration de la société quant au choix du système politique somalien. 

Face à un gouvernement central jeune et faible, les groupes les plus radicaux du mouvement Union des tribunaux islamiques souhaitent instaurer un État régi par la charia. En 2006, l’UTI étend son influence au sud du pays mais y est chassé par l’Éthiopie quelques mois plus tard. Al-Shabbaab se détache alors de l’union et décide de combattre seul le gouvernement de transition.  

Si Al-Shabbaab s’engage donc dans une lutte politique interne contre le gouvernement fédéral de transition, il suit parallèlement une logique d'internationalisation, en prêtant notamment allégeance à Al-Qaïda en 2009. Le groupe commet des attentats en dehors du territoire, comme au Kenya, mais son contrôle sur le territoire national Somalien s’affaiblit. Pour le journaliste Xavier Aldekoa, si le groupe semble rentrer dans une phase de « guerilla » du fait de sa perte de puissance, cette mutation présage d’une « lutte asymétrique risquant de s’installer dans le long terme »

Printemps arabes et problématique Touareg : déstabilisations géopolitique au service d’AQMI

AQMI est sans aucun doute le groupe djihadiste le plus important et influent au Sahel. Il profite du soutien de groupuscules djihadistes comme les groupes Ansar Dine, Mujao ou encore Ansar Al-sharia. Leur développement doit être politiquement et historiquement contextualisé. Dans les années 1990, la guerre civile algérienne s’illustre par la montée en puissance de groupes terroristes tels que le Groupe Salafiste pour la Prédiction et le Combat (GSPC). Dès 2003, celui-ci se régionalise au Sahel du fait d’un contexte politique instable dû à divers facteurs : chômage, corruption, frontières instables, importance des trafics de drogue. En 2006, différents groupes djihadistes présents au Sahel se regroupent et portent allégeance à Al-Qaïda, créant alors la branche AQMI en 2007. La mort de Kadhafi en 2011 déstabilise davantage la région, laissant un État libyen déchiré entre différents groupes et milices armés profitant des stocks et flux d’armes restés sans contrôle. 

Parallèlement, la problématique Touareg, dont la population estimée à 1,5 million est partagée entre cinq États, refait surface. Face aux problèmes d’assimilation rencontrés par la population Touareg dans de nombreux pays, des groupes se positionnent pour l’indépendance. En 2007, le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA), organisation politique et militaire Touareg active au nord du Mali, s’allie aux groupes djihadistes présents pour faire entendre son mécontentement et appuyer ses revendications. Cette coalition s’agrémente, dès 2011, de nouvelles alliances avec des groupes armés radicalisés par leur exclusion du pouvoir durant la colonisation ainsi que leur marginalisation depuis l’indépendance en 1960. Très influent au nord du Mali qu’elle contrôle, cette coalition lance en janvier 2012 une offensive qui débouche sur l’intervention française « opération Serval ».

La deuxième partie de cet article est disponible ici.

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Mathilde L'Hôte
Etudiante en Master Paix, Conflit et Développement (Espagne), passionnée de relations... En savoir plus sur cet auteur