Depuis leur indépendance en 1991, les cinq Républiques d’Asie centrale ont fait preuve de résilience face aux crises et aux menaces.
Fin 1993, deux ans seulement après l’apparition des cinq États centre-asiatiques sur la carte politique mondiale, The Economist prédisait que la région allait être l’une des parties les plus instables du monde au cours de la décennie à venir. Bien que l’évolution de ces jeunes États indépendants n’ait pas été un long fleuve tranquille, la dramatique instabilité ou le chaos généralisé tant redoutés n’ont pas eu lieu. L’Asie centrale post-soviétique a fait preuve de résilience face aux crises et aux menaces.
Elle est historiquement une zone de contact entre empires et mondes (steppes eurasiatiques, Perse, Inde, Chine, Russie et même monde grec...) et le demeure encore aujourd’hui. Pourtant, malgré sa diversité, l’Asie centrale conserve une « forte personnalité historique» à laquelle il faudrait encore ajouter le Xinjiang (ou Turkestan oriental, territoire peuplé par les Ouïghours) qui en fait pleinement partie.
Les expériences de la colonisation russe et soixante-dix années de soviétisme ont contribué paradoxalement à ancrer l’espace centre-asiatique dans une réalité similaire et commune tout en créant de nouvelles identités et frontières, ou délimitations, qui ont donné à la région sa forme actuelle. Les indépendances de 1991 entérinèrent la fin de la maison commune soviétique et la rupture des liens entre les différentes Républiques dans une surenchère nationaliste qui se poursuit encore aujourd’hui.
Si le passé et l’héritage culturel de la région devraient faire office de trait d’union, mais même ces données font l’objet de querelles nationalistes, « le présent de l’Asie centrale est quant à lui toujours plus marqué par la distance, tant au niveau des expériences socio-politiques internes à chaque républiques, qu’au niveau de leurs enjeux et représentations géopolitiques dans le contexte international ». Mais alors, peut-on encore parler d’une Asie centrale ? Comment les indépendances et la mondialisation ont-elles (pour le moment) favorisé le découplage des États centre-asiatiques plutôt que leur intégration ?
1991-2005, points communs et divergences : une évolution en miroir ?
De 1992 à 1997, le Tadjikistan connaît une guerre civile complexe aux ressorts à la fois politiques, régionalistes et ethniques : c’est pourtant le premier découplage qui se manifeste, tant durant cette période, le seul pays persanophone de la région a connu une expérience à la fois traumatisante (20 000 à 100 000 morts selon les sources) et en interaction avec les événements au Sud du Piandj, en Afghanistan. Cette guerre meurtrière et la prise de Kaboul par les Talibans constituent à la fois des craintes réelles mais également un prétexte au durcissement de tous les régimes de la région dans le sillage de l’Ouzbékistan (il faut dire que ce pays a été frappé plusieurs fois par des attentats meurtriers entre 1999 et 2004). Selon un schéma déjà vu dans le monde arabe, les autorités se présentent comme le dernier rempart face au fanatisme et légitiment leur durcissement politique par ce biais. Ce durcissement interne se double d’un durcissement externe puisque le discours ultra-sécuritaire se répercute également sur les relations intra-régionales.
Dans ce contexte, le climat socio-politique, en plus des difficultés économiques (au Tadjikistan, 46% de la population vit encore sous le seuil de la pauvreté absolue, 34% au Kirghizstan), est extrêmement lourd : les dissidents sont contraints à l’exil ou à la mort, les syndicats ou les associations sont presque systématiquement noyautées par le pouvoir central (sauf au Kirghizstan), et les musulmans considérés comme « trop pratiquants » ou en non adéquation avec les structures de l’Islam officiel héritées de l’URSS, sont au minimum malmenés, souvent emprisonnés. La corruption à tous les étages est également un point commun entre tous les pays. Une corruption de haut-niveau, démontrant que les présidents, leur famille et/ou leur clan et réseau plus ou moins élargis, se sont accaparés aussi bien les positions de pouvoir que les ressources économiques des États (les familles des présidents Akaev et Bakyev au Kirghizstan, Karimov en Ouzbékistan, Nazarbaev au Kazakhstan, etc). Tout ceci n’étant que le révélateur d’un phénomène plus large et bien plus profond : en témoigne le dernier classement de l’ONG Transparency International. Le Kirghizstan y est classé 150ème sur 177 pays évalués, le Tadjikistan 154ème, le Turkménistan et l’Ouzbékistan sont ex-aequo à la 168ème place.
Bien que les trajectoires des différents pays ne soient pas identiques, loin s’en faut, cet autoritarisme est une donnée structurante de la scène politique régionale. En effet, ce régime autocratique ne contribue pas à l’amélioration de la coopération et accentue la différenciation croissante (sur des bases nationalistes) entre les différents États centre-asiatiques.