Détroit, du chaos au renouveau

Hugo Lauzy
3 Mai 2015



Capitale de l'État du Michigan, ancien fleuron de l’industrie automobile et symbole de la musique soul dans le Nord-Est américain, la ville de Détroit connaît aujourd’hui une lente remontée à la surface après avoir littéralement coulé sous le poids de sa dette. Celle-ci s’est notamment aggravée de manière conséquente après la crise des subprimes et la tornade financière commencée en 2008. État des lieux d’une ville devenue fantôme mais paradoxalement en quête de nouvelles dynamiques pour retrouver sa gloire passée.


Crédit Carlos Osorio / AP
Crédit Carlos Osorio / AP
La patrie du mythique label soul Motown et du rappeur Eminem incarne parfaitement une ville mono-industrielle historique d'une Amérique florissante dans la première moitié du XXe siècle, et tombée progressivement en décrépitude. Après s’être officiellement déclarée en faillite en juillet 2013, résultat d’une dette astronomique avoisinant les 18,5 milliards de dollars soit environ 14 milliards d’euros, Détroit a en effet décidé de repartir de zéro. À l’issue d’une renégociation de la dette avec ses créanciers, la ville s’en est finalement sortie seize mois plus tard tout en garantissant sa capacité de remboursement dans le temps, avec l’instauration d’un ambitieux plan de redressement dans l’optique d’éviter tout nouveau dérapage.

« Motor City », comme elle est surnommée, doit en grande partie son succès à la « Big Three », les trois grandes marques de l’industrie automobile américaine - Ford, Chrysler et General Motors – et ses gigantesques usines de production d'après guerre. Celles-ci lui ont permis de devenir un des principaux centres commerciaux de la « Manufacturing Belt », avec Chicago et Cleveland. La démocratisation du travail à la chaîne et de la célèbre Ford T produite en masse par le constructeur Henri Ford, propulse la ville sur le devant de la scène avec l’émergence d’une classe moyenne représentative du rêve américain. De fait, l’accroissement démographique spectaculaire a atteint les 1,5 million d’habitants en 1950, ce qui en a fait la quatrième ville des États-Unis et entraîné une période de plein emploi qui parait aujourd’hui bien loin en arrière. 

Cette atmosphère d’effervescence s’est rapidement transformée en véritable déliquescence suite au processus de désindustrialisation, sur fond de tensions raciales amorcées dès la fin des années 1960, entre la forte communauté afro-américaine cantonnée dans le centre et l'exode des Blancs vers les banlieues. Le départ des entreprises automobiles vers des contrées plus lucratives et la concurrence déloyale des véhicules japonais dans les années 1980, marquent le début d’une longue descente aux enfers pour Détroit. En parallèle, les erreurs politico-financières de gestion de la ville ainsi que les effets de la crise des subprimes en 2008 sur l’immobilier avec l’augmentation des ménages insolvables, ont renforcé le phénomène de cristallisation du tissu économique et social local, encore visible actuellement sur l’ensemble de l’espace urbain. 

Un décor d’apocalypse

La spirale infernale de l’endettement contractée par la ville a participé à la fuite massive des investisseurs et des capitaux, ce qui a littéralement mis Détroit à genoux. Les répercussions sont d’ores et déjà catastrophiques avec une population qui est passée de 1,8 millions à 750 000 habitants en moins de 60 ans pour une superficie totale de 360km², ce qui situe l’ancienne grande métropole industrielle au 18e rang des villes les plus peuplées du pays. Plusieurs poches vides de populations se sont ainsi créées en périphérie de la ville, et plus de 80 000 maisons ont été laissées vacantes. Le taux de chômage a logiquement explosé pour atteindre plus de 18,5% en 2014, soit deux fois plus que la moyenne nationale. Le secteur automobile suit le même chemin puisqu’il emploie 25 000 personnes, soit douze fois moins que durant l’âge d’or de Détroit, dans les années 1960.

La mauvaise image de la ville est non seulement véhiculée par les médias qui font état d’un taux de pauvreté grandissant avec 36% de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté, mais aussi de services publics de plus en plus en retrait. Ceux-ci laissent des quartiers entiers sans éclairage public, faute de financement et en raison de coupes budgétaires drastiques. Conséquence ou non, Détroit brûle en permanence avec plus de 12 000 incendies volontaires annuels, ce qui conduit à une véritable saturation opérationnelle des services de police et de pompiers constamment sur le qui-vive. Par ailleurs, le taux de criminalité est parmi les plus élevés des États-Unis, ce qui traduit le sentiment d’abandon et d’espaces vides dans lesquels règne le chaos.

Crédit DR
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Les stigmates de la banqueroute et le sentiment d’apocalypse entretenus par Détroit, autrefois ville symbole de l’Art déco, peuvent se résumer à de larges et multiples terrains vagues, de nombreuses usines désaffectées, bâtiments administratifs et autres infrastructures publiques. Certains sont devenus des sites touristiques comme par exemple la gare Michigan Central Station fermée en 1988, ainsi que certains quartiers résidentiels entiers laissés pour compte. 

Cette conjoncture de marasme et d’insécurité grandissante lui a valu le nouveau surnom de « Ghost City ». Toutefois, la faillite de la ville a été perçue comme synonyme de nouveau départ par certains investisseurs. Si la « cité fantôme » attire actuellement le monde artistique, c’est que le fantasme d’une ville en ruines est devenu source de création autour d’une atmosphère qui a inspiré plusieurs photographes et cinéastes américains de renom, parmi lesquels Clint Eastwood avec le film Gran Torino en 2008, et plus récemment le premier film de l’acteur-réalisateur Ryan Gosling, Lost River. De nouvelles perspectives de mise en valeur de la culture postindustrielle voient donc le jour autour d’un univers architectural atypique, éventré et déstructuré. 

Le « Made In Detroit » : nouveau départ

À l’image d’une Amérique victime de son système financier spéculatif et de ses dérives déficitaires, la plus grande ville des États-Unis à s’être déclarée en banqueroute aspire néanmoins à renaître de ses cendres très rapidement. L’ex-capitale de l’automobile tente aujourd’hui de prouver son ingéniosité pour se réinventer dans un État du Michigan qui compte pourtant 12 milliardaires. La campagne de marketing pour la transformation urbaine de Détroit lancée sous le slogan « Made In Detroit » et affichée sur les grandes façades de la ville, incite à l’arrivée de nouveaux entrepreneurs qui pourraient devenir les nouveaux bâtisseurs de la ville, comme l’avaient fait les constructeurs automobiles dans le passé. Ces nouvelles possibilités permettent à la municipalité de rénover le centre-ville historique par les rachats successifs de nombreux locaux disponibles et de maisons abandonnées, dont certains sont vendus pour un dollar symbolique à des entrepreneurs opportunistes ou autres hommes d’affaires.

C’est le cas du célèbre milliardaire et businessman américain Dan Gilbert, natif de Détroit et issu d’une famille ouvrière, qui possède aujourd’hui près du quart des propriétés du centre par des transactions réalisées à tour de bras. Décrit comme le possible sauveur de Détroit, le magnat de la finance affirme vouloir bâtir son futur empire dans sa ville natale. Son objectif à moyen et long terme « est de construire quelque chose, pas de gagner de l'argent, précise-t-il. Je veux voir le Détroit qu'ont connu mon grand-père et mon père ». Reste qu’il cherche avant tout à faire fructifier clairement ses actifs dans un environnement urbain propice aux affaires, où il envisage d’ériger un casino afin d’attirer d’autres entrepreneurs pour lancer un effet de mode dans un cadre urbain « vintage ». Dan Gilbert a déjà racheté des lieux symboliques de la puissance de Détroit comme les sous-sols du siège de Chrysler, dans lesquels il a notamment fait réaménager des salles de coffres devenues salles de réunion pour l’une des branches du groupe spécialisée dans le design. 

Crédit DR
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De plus, les jeunes starts-up issues le plus souvent de l’univers du numérique et des nouvelles technologies se ruent également sur l’occasion. Celles-ci ne jurent désormais que par le dynamisme de la ville, dans le but de « créer un nouvel Eldorado » de la technologie et du business, telle une deuxième Sillicon Valley. L’attractivité retrouvée de la capitale du Michigan se traduit par ses nombreux espaces disponibles car « si l’on se place du point de vue de l’entrepreneur, Détroit constitue une réelle opportunité avec ce nouveau mouvement d’entrepreneurs 3.0 », comme l’affirme Ryan Landau, co-fondateur de la start-up Chalkfly, et qui a « décidé de venir ici pour monter une société car la ville ne peut que rebondir après ce qu’elle a vécu. Je pense d’ailleurs que Détroit, d’ici quelques années, sera l’endroit où il faut être ». Le cadre du renouveau tant espéré de Détroit est donc posé puisque la ville est devenue un véritable laboratoire d’initiatives où les jeunes diplômés n’hésitent plus à venir s'installer et développer leur créativité. 

D’autres actions citoyennes voient le jour comme les casseurs de ruines du mouvement Blight Busters pour redonner des couleurs aux quartiers marginalisés et marqués par la morosité ambiante des lieux déserts. Récemment, le site IAmYoungDetroit.com incite par exemple les jeunes de moins de 40 ans à monter leur projet, tout en proposant une plateforme de financement collaboratif pour le développement de ces futures entreprises. Plusieurs espaces de l’Est de la ville sont donc laissés à la libre imagination des artistes locaux et de nouvelles dynamiques sont envisagées avec la multiplication d’espaces verts, d’écoparcs et de jardins potagers dits « fermes urbaines » en centre-ville ou en périphérie. L'objectif est de promouvoir et d’associer à la fois une nouvelle forme d’économie locale et d’écologie en milieu urbain. Dans la continuité, de nouveaux centres de commerce se sont développés tel l’Eastern Market, le plus grand marché public du pays, avec des ventes de produits certifiés bio venus directement des fermes régionales et locales. 

Pour le maire démocrate Mike Duggan, élu en novembre dernier, « l’inflexion de la situation économique va de pair avec le retour d’une croissance démographique qui est une des clés indispensables pour un nouveau départ ». La ville semble donc reprendre le dessus, sous l’impulsion de son important réservoir d’ouvriers qualifiés et issus de l’industrie automobile des Trois Grands, que Détroit a pu sauvegarder et financer à nouveau suite au plan de l’administration Obama en 2008-2009. Son salut viendra sans doute en se tournant vers les activités tertiaires.

Aujourd’hui, Détroit est probablement l’endroit où se joue le futur de centaines de villes américaines comme Atlanta et Denver par exemple, représentatives d’une certaine « folie des grandeurs » non maîtrisée et en situation critique. Les nouvelles stratégies économiques mises en place sur le long terme peuvent laisser présager à la ville une seconde vie, à l’image de l’ancien quartier sinistré d’Avalon dans le Downtown, actuellement en pleine renaissance et considéré comme un espace pilote à la mode, grâce à l’alliage d’une forte mixité sociale et ethnique. Un véritable esprit de renouveau articulé autour du savoir-faire, de la modernité et de la créativité est donc en train de naître à l’intérieur de Détroit, qui veut désormais écrire un nouveau chapitre de son histoire dans lequel rien n’est impossible.

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