De la rue à la dignité, récit d'une Rom pas si différente

13 Mai 2013



Le Journal International est allé à la rencontre de Veronica, rom et française depuis 2007. Originaire de Roumanie, cette mère de famille, installée à Lyon, vit en France depuis dix ans, et témoigne de son expérience de la rue, de son parcours, de ses peurs et de ses joies. Histoire d’une femme et de ses enfants, histoire d’une intégration, histoire de Roms.


Crédits photo — Joakim Eskildsen
Crédits photo — Joakim Eskildsen
Lorsqu’on lui demande si on peut lui poser des questions sur sa vie dans la rue, Veronica commence par nous dire « Allez-y, je suis passée par tout ! ». Quand elle est partie de son village de Roumanie, à la frontière hongroise, pour venir à Lyon en 2003, Veronica avait 28 ans. Son mari l’a quittée à son arrivée en France, la laissant seule avec deux enfants, George et Rafael, de trois et six ans. Pendant trois ans, ils ont vécu dans la rue, dans des squats et des maisons abandonnées autour de Lyon. Des années rythmées par les expulsions. « Un matin, la police est venue, il n’était même pas sept heures du matin. Ils nous ont jetés dehors, sans les chaussures, sans rien. Ils ont fermé la porte et ne m’ont pas laissé reprendre mes affaires. Il y avait beaucoup de policiers, Rafael et George étaient terrorisés. »

« Ici en France, si t’as personne t’es mort, t’es mort dans la rue »

A cette époque, Veronica fait la manche et travaille au noir. « Quand tu es à la rue, beaucoup de gens te disent “Va travailler” ou “Elle veux pas travailler” ou encore “Tu peux travailler, il y a du boulot”. Oui, c’est vrai, il y a du boulot, mais non, tu ne peux pas travailler si tu n’as pas de papiers. Et il faut aussi parler français parce que sinon, personne n’a confiance en toi. Même si tu as cinquante-deux enfants, tu n’as aucun droit. Pour l’école, c’est difficile aussi. J’ai voulu mettre Rafael à l’école quand j’habitais à Vaise - dans un squat - et le directeur m’a dit que ce n’était pas possible si je n’avais pas de papiers. » Veronica est malgré tout parvenue à faire scolariser son ainé à Villeurbanne. « C’est des périodes qui ne s’oublient jamais, moi je ne vais pas oublier. Les enfants me disent à table des fois “Maman, tu te rappelles quand on était dans la rue ?” Oui, je pleurais, j’étais détruite. Avec deux gamins, sans rien, quand tu ne sais pas où tu vas coucher demain, que tu arrives dans un parking à Vaise au mois de novembre ou décembre. Il faisait froid, je serrais mes deux gamins sous la couverture pleine de givre, toute mouillée. On se couchait dans le parking au milieu des voitures. Il fallait réveiller Rafael à 6 h parce qu’il fallait une heure pour aller de Vaise à Villeurbanne, et revenir. Et tu ne peux rien faire. Avec le petit, j’allais faire la manche, pour faire peut-être sept, cinq ou même trois euros. » « On n’avait jamais fait la manche, on ne savait pas ce que c’était. Mais quand tu n’as pas d’autre possibilité… Même si tu as honte. Quand tu es en bas, par terre, tout le monde te parle mal. Il y en a qui te disent, “tu viens avec moi, je te fais du sexe pour 5 euros”. Alors tu crois que tu es vraiment la dernière des dernières. D’autres te disent “Ben va travailler !” et ou “T’as pas la honte de rester comme ça ?” et toi tu ne peux rien dire. Il faut que tu gardes tout pour toi, les insultes, tout, tu fermes ta gueule et c’est comme ça. »

En 2006, épaulée par des associations, Veronica dépose un dossier à la préfecture pour être régularisée. Une circulaire prévoit la régularisation des enfants étrangers pouvant attester n’avoir aucun lien avec leur pays d’origine. La demande est rejetée, Veronica ne peut pas prouver l’absence de lien avec la Roumanie, le père des enfants y habite. Grâce à une interview de l’émission Complément d’Enquête (France 2), Veronica obtient des papiers en second recours en 2007 après avoir fourni une attestation d’abandon de la part du père, document que la préfecture ne lui avait pas explicitement demandé. Entre temps, elle obtient un logement pour sa famille à la Croix Rousse avec le concours de la paroisse Saint Bruno et de l’Association Habitat et Humanisme. Aujourd’hui, Veronica se sent mieux. « Grâce à tous ceux de qui m’ont aidée, au jour d’aujourd’hui je suis tranquille. Parce qu’ici en France, si t’as personne t’es mort, t’es mort dans la rue. Moi j’ai eu beaucoup de chance ». Ces deux enfants sont au collège « Ça va mieux maintenant, ils ont grandi », dit-elle en nous montrant les marques au crayon sur la porte, 2007, 2010, 2012. « Ils travaillent bien. George, le petit, est quatrième de sa classe. Il a 20/20 en maths. Rafael est en quatrième, c’est plus difficile, mais ça marche ». Elle travaille « Je fais le ménage, les marchés. Il n’y pas longtemps, depuis que j’ai des papiers, j’ai fait une formation pour faire de faux ongles, le Pôle Emploi a géré la formation. » Veronica est fière de payer le loyer et le gaz de leur nouvel appartement « Maintenant je suis comme tout le monde ».

« Je travaille comme tout le monde, je mange des salades »

Nous demandons à Veronica si elle se sent appartenir à une « communauté rom ». « Bien sûr, dit-elle, mon père était Gitan, ma mère était Roumaine, et moi je suis mélangée comme ils disent. Le problème c’est qu’en Roumanie on ne peut pas mélanger les Gitans et les vrais Roumains. Mais bon, les Gitans, c’est comme les Roumains, comme les Français, il y en a des bons et des mauvais, des travailleurs et d’autres qui n’aiment pas travailler. »  
Roumaine et Rom d’origine, Française de résidence, quand on lui demande de se définir, Veronica hésite. « Moi je me définis comme une vraie Roumaine, Roumaine, Gitane je ne sais pas. Je suis Roumaine et la Roumanie est mon pays, mais maintenant je suis comme une Française. Je ne peux pas dire que je suis Française parce que je n’ai pas d’origines françaises. Mais les enfants ne vont jamais dire qu’ils sont Roumains, ils sont Français maintenant. Notre vie est là. On est comme tout le monde, je veux faire comme tout le monde pour mes enfants, comme tous les Français. Je travaille comme tout le monde, je mange du fromage, des salades et je fais des progrès en français. » De la salade ? « C’est vrai que les salades, chez nous en Roumanie, on n’en mange pas, moi je n’en avais jamais mangé. Quand tu manges de la salade, là-bas on te dit “Mais tu es vraiment pauvre, tu n’as rien à manger ? Attends, je vais te donner des pommes de terres”. Quand mon frère est venu en France, il m’a dit, “Tu es devenue un lapin ou quoi ?” Je lui ai dit, oui, je suis Française. » Aujourd’hui, Veronica a des projets. « Je vais écrire un livre, il s’appellera Une larme qui coule, O lacrimaă de plange. Je vais écrire mon histoire. J’écris déjà en roumain, je vais essayer de le faire traduire. » On lui demande comment elle voit son avenir, « Pour moi ? Pour mes enfants plutôt. Je veux une autre vie, pas comme la mienne. Demain je trouverai peut-être un mari, non je rigole, pour moi je ne veux rien. Je me suis battue pour mes gamins, et je ne veux pas que mes enfants ramassent comme moi j’ai ramassé dans la vie. On ne sait pas ce qui va se passer demain, peut être qu’on ne sera plus là, mais je vois un bon avenir, et je l’espère de tout mon cœur. »

Elle tient à remercier « tous ceux qui se sont occupés de [sa] famille », et spécialement Claude, Alan, Gilles, Dominique, Anne-Marie, Philippe, Habitat et Humanisme, l’école Victor Hugo et Marianne, « c’est des gens que je ne vais jamais oublier dans ma vie. » Et elle tient aussi à faire passer un message « Il faut que tous les gens qui n’ont pas de papiers, qui habitent dans des squats et qui ont des enfants, se battent, pas pour eux, mais pour leurs enfants. Il faut qu’ils mettent leurs enfants à l’école parce que la vie n’est pas simple, pour les parents, mais pour les enfants non plus. Moi, je souhaite de tout mon cœur que tous les enfants soient scolarisés. Peut-être que les parents ne pensent pas tous comme ça, mais je crois que c’est nécessaire pour l’avenir des gamins. Parce qu’eux n’y sont pour rien. Je souhaite à toutes les mères, qu’elles aient un ou cinq enfants, qu’elles se battent pour trouver du boulot, pas pour devenir millionnaire, tu ne peux pas devenir millionnaire, ce n’est pas possible, mais pour que leurs enfants aient une autre vie. Je le souhaite à toutes les femmes, qu’elles soient roumaines, gitanes, serbes ou bulgares. »
Veronica s’est battue pendant dix ans pour scolariser ses enfants, travailler, avoir des papiers, vivre comme tout le monde. Si elle est parvenue là où elle est aujourd’hui, elle avoue avoir eu « beaucoup de chance »,  avoir été beaucoup aidée, avoir fait les bonnes rencontres. Même si une de ses amies nous confie que c’est surtout grâce à sa force et à sa détermination. Quand on écoute Veronica, on réalise que pour s’en sortir, il faut un peu de tout ça : de la chance, du hasard et de la détermination.

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Manon Duret
Rédactrice pour le Journal International, passionnée d'histoires et de géographie, je suis... En savoir plus sur cet auteur