De l’Ukraine à Berlin, la nécessité de quitter un pays en guerre

Chloé Bion
16 Août 2016



Malgré les accords de Minsk en février 2015, le cessez-le-feu est régulièrement brisé dans l’Est de l’Ukraine. Les affrontements ne cessent de gonfler le bilan des 9 300 morts enregistrés depuis avril 2014. Rencontre avec Olesia qui a choisi de fuir son pays en guerre pour rejoindre l'Allemagne.


Crédits : Chloé Bion
Crédits : Chloé Bion
Le conflit ukrainien commence en novembre 2013 lorsque le Président Viktor Ianoukovitch refuse de signer l’accord d’association avec l’Union européenne et  préfère se rapprocher de la Russie. Des milliers de manifestants se réunissent alors place de l’Indépendance à Kiev, rebaptisée place Maïdan. Viktor Ianoukovitch finit par fuir le pays mais l’Ukraine est divisée entre séparatistes pro-russes et militants pro-européens. À 22 ans, Olesia a choisi de quitter l’Ukraine avec son mari pour s’installer à Berlin. Elle y apprend l’allemand avant de chercher un emploi dans le webdesign. Elle nous raconte comment la guerre a changé son quotidien.

Le Journal international : Quand as-tu décidé de quitter l’Ukraine ?

Olesia : Quand il y a eu les premiers morts place Maïdan en janvier 2014, c’était la panique. On a eu très peur. J’étudiais à Kiev à cette époque et au début, on n’osait plus aller dehors. On restait dans notre appartement. Et on savait que si on restait en Ukraine, mon mari devrait faire son service militaire et ensuite partir en guerre. J’ai même vu des policiers qui arrêtaient des gens au centre-ville pour les réquisitionner dans l’armée. Alors on a décidé de partir. On ne savait pas où, mais plus à l’Ouest pour être en sécurité.

Le JI : Tu as grandi à Kharkiv, à seulement 40km de la frontière russe. Une majorité de la population est russophone. Comment se traduit la division entre pro-russes et pro-européens là-bas ?

Olesia : Globalement les jeunes veulent rester en Ukraine et les vieux en Russie. Les personnes de plus de 40 ans sont nées en URSS, elles parlent russe, pas ukrainien. Pour mes parents, la Russie, c’est chez eux. Une partie de ma famille est russe, l’autre ukrainienne, c’est très courant. Mais moi, je suis née en Ukraine, je parle ukrainien, j’ai appris l’histoire de notre pays à l’école, j’écoute des chansons ukrainiennes... C’est ma culture, je ne me sens pas russe même si une partie de ma famille est russe et que je parle aussi la langue. Mon père vit en Russie et regarde la télévision russe. L’opinion de chacun dépend aussi beaucoup de la chaîne de télévision qu’il regarde. Maintenant, les chaînes russes sont interdites en Ukraine mais les gens les regardent sur Internet. C’est difficile de parler de la guerre avec ma mère car nous n’avons pas les mêmes informations et toutes les conversations se terminent en dispute. Maintenant on évite tout simplement de parler de ça.

Le JI : Après l’annexion de la Crimée par la Russie en mars 2014 et les victoires contestées aux référendums pour l’autonomie des régions de Donetsk et Lougansk, les conflits armés ont commencé dans l’Est de l’Ukraine. Comment la population civile a-t-elle réagi ?

Crédits Flickr
Crédits Flickr
Olesia : On ne savait pas comment se préparer à cette guerre. On s’est vite aperçu que l’armée ukrainienne n’était pas prête à se battre, qu'elle n’était pas suffisamment équipée. Les gens se sont organisés pour donner de la nourriture, des vêtements, des bottes et des médicaments pour les manifestants de Maïdan et pour les soldats à l’Est. Avec mon mari on a donné de l’argent pour qu’ils se procurent des lunettes de vision nocturne. L’université de Kiev nous a déconseillé de participer aux manifestations place Maïdan car c’était trop dangereux mais j’ai vu le démantèlement de la statue de Lénine à Kharkiv. C’était un monument très imposant, il a fallu beaucoup de monde pour le mettre à terre. Avant, la rue principale de chaque ville ukrainienne portait le nom de Lénine, maintenant elles ont été renommées après des héros ukrainiens.

Le JI : Qu’est-ce que la guerre a changé dans ton quotidien ?

Olesia : Le niveau de vie en Ukraine a beaucoup baissé à cause de la guerre. Les étalages des magasins se sont vidés. Il n’y avait plus vraiment de police ou de leader politique, plus personne pour nous protéger, du coup des malfaiteurs en ont profité. C’est devenu dangereux de se promener le soir, on a dû installer des portes métalliques très épaisses avec beaucoup de serrures pour se protéger. J’étais rongée par le stress, je ne pouvais rien manger tellement j’avais mal au ventre. J’ai fait plusieurs crises de panique pendant la nuit, je ne pouvais plus respirer. Beaucoup de gens, notamment des personnages âgées, ont dû aller à l’hôpital à cause de ça. Et puis il y a eu beaucoup de réfugiés. Ceux qui vivaient dans la région du Donbass ont dû partir à cause des combats, c’était devenu trop dangereux. La communauté des Tatars en Crimée, qui a été opprimée par l’Empire soviétique au XXème siècle, a dû aussi partir quand les Russes ont indexé la région. Quand la chanteuse ukrainienne Jamala a remporté l’Eurovision cette année grâce à une chanson sur l’oppression des Tatars pendant la Seconde Guerre mondiale, c’était un symbole fort pour cette communauté. 

Le JI : Est-ce que c’était compliqué de quitter l’Ukraine ? Et pourquoi avoir choisi l’Allemagne ?

Olesia : Il nous a fallu deux ans de préparation pour quitter le pays car le visa était très difficile à avoir. On a choisi l’Allemagne parce que mon mari y a trouvé un poste d’ingénieur informatique. Pour obtenir notre visa de quatre ans, on a dû remplir beaucoup de papiers et traduire tous nos documents ukrainiens officiels en allemand. Ca nous a coûté plus de 7 000 hryvnia, l’équivalent de 300 euros. En plus, en se rendant dans les administrations, on craignait que mon mari soit réquisitionné pour l’armée. C’était difficile de quitter ma famille mais c’était plus sûr. En Allemagne, je peux avoir une meilleure vie et un meilleur travail. Je ne peux pas voir ma mère car les visas sont très difficiles à obtenir, même pour aller en Pologne. Avant la guerre c’était possible, mais désormais tout est plus compliqué. J’envie la facilité avec laquelle les Européens peuvent voyager. Je ne comprends pas pourquoi l’Allemagne ne nous invite pas comme les réfugiés syriens. Chez nous aussi, c’est la guerre mais j’ai l’impression que les journaux européens n’en parlent plus trop. On veut juste vivre comme des Européens, pouvoir voyager et partir en vacances.

Le JI : Quelles différences avec l’Ukraine t’ont marquées en arrivant à Berlin début juillet ?

Olesia : J’étais très étonnée de voir que tous les appartements que j’ai visités étaient munis de simples portes et fenêtres en bois. En Ukraine, on a tous installé des portes blindées, des fenêtres aux cadres en métal et aux vitres en plastique avec des barreaux pour se protéger des balles perdues et des violences dans les rues. Le premier jour à Berlin, on est allé dans un supermarché et la caissière était très souriante et polie. Dans mon pays, dans les magasins tout le monde est stressé et préoccupé à cause de tous nos problèmes : d’argent, de politique, de guerre. Ici, les routes sont en bon état alors que chez moi, elles sont cabossées et il y a de la boue quelle que soit la saison.  Et puis, je me sens en sécurité ici, je peux me balader dans les rues, je suis moins stressée, je peux à nouveau manger normalement. J’ai même mangé une  pizza hier ! Je sais qu’avec les menaces terroristes, on dit que c’est un peu dangereux en Europe. Mais en venant d’Ukraine, je me sens vraiment en sécurité ici.

Notez