Danemark : 69 000 professeurs empêchés d'enseigner

12 Avril 2013



Le Danemark vit une situation particulièrement inédite depuis le mardi 2 avril. Suite à un conflit entre les enseignants et les communes, de nombreuses écoles ont été fermées et de grandes manifestations parsèment le « pays du consensus ».


Crédits photo — Lauriane Clément
Crédits photo — Lauriane Clément
Ce ne sont pas moins de 875 000 élèves danois âgés de 6 à 16 ans qui n’ont plus cours depuis une dizaine de jours, tandis que 69 000 professeurs n’ont plus accès à leur lieu de travail. Cette situation extrême a été provoquée par la mise en place d'un lock-out dans les écoles danoises, soit la fermeture de la plupart d’entre elles par les autorités pour une durée indéterminée. Ce conflit est dû à la réforme de l’enseignement mise en place par les communes danoises. Ces trois derniers mois, d'intenses négociations ont opposé l'association KL, représentante des communes, et DLF (Danmarks Lærerforening), le syndicat des professeurs. La paralysie des discussions a conduit à une mesure telle que le lock-out. Cependant, cette technique est loin d’être anodine, et c’est d’ailleurs la première fois qu’elle est utilisée dans le cadre des établissements scolaires danois.

Une réforme perçue négativement

Le temps alloué à la préparation des cours est la principale question qui fait débat. Jusqu’à présent, le nombre maximum d'heures de cours données par les professeurs était fixé à 25 h par semaine. Ceux-ci disposaient de plus d'un temps prédéfini pour préparer leurs heures d'enseignement : deux minutes par élève et par classe, incluant la préparation des cours et la correction des devoirs.
Cependant, l'accord qui assurait ces règles a pris fin en mars dernier. Depuis, l’objectif poursuivi par la réforme est de laisser la liberté aux directeurs d'école de décider des emplois du temps de leurs professeurs, selon les besoins spécifiques des écoles. Selon Kean Nørskov, professeur et membre de DLF, « les communes défendent leur réforme en disant que c’est pour créer une meilleure école, mais si nous ne pouvons pas préparer nos cours, quelle genre de meilleure école pouvons-nous offrir ? ». En effet, si les enseignants doivent donner plus d'heures de cours, leur temps de préparation risque d’en être diminué. Les conséquences de cette réforme seraient alors très négatives. Les professeurs appellent donc à une augmentation des effectifs pour palier ces nouvelles mesures et éviter de nuire à la qualité des cours donnés.

« Les enseignants sont les premiers. Qui seront les prochains ? »

Jeudi 11 avril, pas moins de 40 000 personnes se sont rassemblées à Copenhague devant Christianborg, le Parlement danois. Des discussions ont été menées sous le thème « les enseignants sont les premiers. Qui seront les prochains ? ». Cette question vise clairement le gouvernement social-démocrate de Helle Thorning-Schmidt, qui crée de nombreuses polémiques depuis son arrivée au pouvoir en octobre 2011. « La population danoise a de plus en plus peur des mesures du gouvernement, qui tendent à couper les budgets au détriment de valeurs essentielles de la société danoise », assure Kean Nørskov. Depuis dix jours, ce sont donc des manifestations quotidiennes qui sont organisées un peu partout au Danemark. Les professeurs ne manquent pas d’imagination pour mettre en place des évènements comme la chaîne humaine de 35km à laquelle 6 000 enseignants ont participé mardi dernier. Sur les réseaux sociaux tels que Facebook, les professeurs victimes du lock-out ont changé leur photo de profil pour une banderole jaune indiquant « lockoutet ». Les célèbres hackers du groupe « Anonymous » se sont même joints aux protestations en menaçant dès dimanche dernier de pirater le site internet de KL.

Les suites à prévoir

Nul ne sait quand le lock-out prendra fin. « Je ne sais pas combien de temps le lock-out peut durer, mais j’espère que ce sera le plus vite possible, mon travail me manque », avoue Lene Perdersen, enseignante et membre de DLF. Le point obscur reste le rôle de l’État danois, qui est loin d’être neutre dans ce conflit et soutient les décisions des communes. Les professeurs redoutent que le gouvernement fasse passer une loi instaurant la réforme, ce qui couperait court à toute négociation.
Mais Niels Kjeldsen, ancien professeur à la retraite et membre de DLF, y croit encore. « Tout se jouera selon l’opinion publique, mais pour l’instant la majorité de la population danoise soutient les professeurs, et nous recevons également le soutien d’associations de professeurs partout dans le monde », assure-t-il.
Quoi qu’il en soit, ce conflit est d’autant plus surprenant lorsqu’on le compare à la situation de l’éducation française. Alors qu’en France les débats visent à diminuer les heures quotidiennes de cours des élèves pour se rapprocher de systèmes éducatifs semblables à celui du Danemark, c’est l’effet inverse qui est recherché par cette réforme danoise. Quelle est la véritable solution ? Le sujet n’a pas fini d’être débattu.

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Lauriane Clément
Ancienne correspondante à Copenhague, étudiante à Sciences Po Lyon, j'aime découvrir de nouvelles... En savoir plus sur cet auteur