Paris, aéroport Charles de Gaulle, porte d’embarquement E58. Cinq heures et 4 700 kilomètres plus tard, je finis par arriver à Dakar, la capitale du Sénégal, située à l’ouest du continent africain. Dès l’instant où je pose le pied sur le sol sénégalais, la chaleur humide typique de la région, mêlée aux parfums exotiques de la ville, m’enveloppe toute entière. Là-bas, c’est tout un monde sensoriel qui ne demande qu’à être découvert. Mais avant toute chose, il faudra, pendant des heures, patienter pour le visa.
Ayant déjà déjà vécu plusieurs années dans cette ville pendant mon enfance, je la redécouvre toujours à travers mes souvenirs et ma sensibilité. Après avoir finalement quitté l’aéroport, je suis à nouveau surprise par cette incroyable chaleur humide, et les chauffeurs de taxi et autres locaux, qui me proposent d’échanger de l’argent ou essayent de me vendre diverses bricoles au coin des rues. On se sent complètement emporté par la foule, qui vous agrippe, vous touche et vous crie après. On ressent les gens, on ressent la vie en eux ; et cela suffit à ne pas étouffer.
Après avoir recouvré les forces laissées dans l’avion et ces premiers pas dans la ville, le temps est venu pour l’un de mes plaisirs favoris à Dakar, si ce n’est mon préféré. Je descends la rue, tourne à gauche pour atteindre le Lycée Lamine Guèye (anciennement Van Vollenhoven). C’est ici, le meilleur vendeur de madda de la ville. La simple vue de ces fruits d'un orange foncé disposés à même le sol me fait saliver. Pour 500 francs CFA, soit 0,80 € (certains diront que la vie est devenue incroyablement chère ici), Ndoye ouvre l’un de ces fruits colorés, y ajoute du sel, de l’eau, un peu de piment et mélange le tout avec son couteau. Je pourrais passer des heures à savourer les petites billes juteuses et acidulées de ce fruit. Il reflète parfaitement la ville : brut, abîmé et sale à première vue, mais haut en couleurs et fruité quand prend le temps de l’apprécier comme il se doit. Aigre-doux : voilà les saveurs de cette ville.
Mais vous parler de « mon » Dakar ne vous dit rien de la ville, véritable cœur économique, politique et culturel de l’Afrique de l’ouest, ni des mutations ou de la croissance que connaît Dakar jour après jour. Même si les femmes continuent de porter le traditionnel boubou (une tenue faite de wax, matière importée en Afrique d’Indonésie par les colons hollandais), de nombreux stylistes, utilisent le wax et l’indigo dans leurs créations, comme Layu « from West Africa to the world ». Ce petit créateur de mode puise le meilleur d’Afrique de l’Ouest pour créer des articles imaginatifs et originaux et signe une collection unique et colorée où se côtoient wax, perles de verre et cuirs…
Les Sénégalais sont un peuple créatif, plein d’inspiration, et ne manquent jamais une occasion de diffuser leur art, une infinie combinaison de motifs traditionnels et formes modernes. De nombreux Sénégalais ont ouvert leur propre galerie à Gorée, une petite île faisant face à Dakar et historiquement connue pour la place centrale qu’elle avait dans le commerce triangulaire: les esclaves venus de toute l’Afrique de l’ouest étaient enfermés dans les geôles de l’île avant d’être envoyés vers les Amériques, au terme d’un voyage sans retour. Aujourd’hui, la vie paisible de l’île ferait facilement oublier la tragédie historique dont elle fut la scène.
« Même si tout le ciel était fait de papier et toutes les mers étaient de l'encre, je serais incapable de décrire la brutalité de la traite des esclaves » (W. Bosman, 1701).
« Même si tout le ciel était fait de papier et toutes les mers étaient de l'encre, je serais incapable de décrire la brutalité de la traite des esclaves » (W. Bosman, 1701).
Au coeur de la ville, la galerie Arte sélectionne pour vous le meilleur des artistes contemporains d’Afrique de l’ouest, que ce soit dans les domaines de la mode, du design intérieur, de la peinture ou encore de la sculpture. Parmi le large panel d’artistes qu’elle expose, deux ont particulièrement attiré mon attention puisqu’ ils illustrent parfaitement le carrefour auquel se trouve la région aujourd’hui, portant fièrement son histoire et ses traditions, sur sa route vers la modernité et la mondialisation.
Eric Raisina, originaire de Madagascar, préfère la création de modèles raffinés et flamboyants Haute Texture (comme l’indique le nom de sa dernière collection) à ladite haute couture. Il s’inspire librement de ses origines malgaches et de l’esthétique d’Asie du sud-est, depuis qu’il s’est établi avec succès au Cambodge. Son savoir-faire, associé aux précieux métaux qu’il utilise, donne naissance à une collection unique, où les mannequins ressemblent à s’y méprendre à des oiseaux exotiques.
L’architecte et décorateur d’intérieur sénégalais Dominique Petot élabore de magnifiques œuvres dansantes dans le cadre de la collection M’Afrique de la marque italienne Moroso. Comme ses compatriotes le font souvent, il détourne des matériaux de la vie quotidienne de leur fonction initiale. Les assises de ses fauteuils sont par exemple tissés à partir de fils plastique généralement destinés aux filets de pêche. Ses œuvres apportent à tout intérieur une touche gaie et contemporaine, caractéristique de l’Afrique d’aujourd’hui.
L’architecture et l’atmosphère urbaines nous disent aussi beaucoup sur l’histoire de la ville et sur sa soif de modernité. Les anciennes maisons coloniales cossues font face à de nouveaux bâtiments flambants neufs de verre et d’acier.
Prendre un verre à l’Institut Français est toujours une bonne occasion pour rencontrer quelques-uns des membres de la cosmopolite communauté installée en ville. On peut également y goûter aux jus locaux (un tamarin rafraichissant pour ma part) ou bières nationales (Gazelle ou Flag) servis avec des pastels, de délicieux petits chaussons de poisson relevés au piment.
Véritable melting-pot, Dakar est une véritable fourmilière créative qui accueille, et a assurément sa place, dans le monde d’aujourd’hui. Mais cette métropole effervescente est avant tout une ville à expérimenter et à ressentir. Une ville à savourer.