Soutien aux manifestants de la place Maïdan en décembre 2013, accueil des troupes de l'OTAN sur son territoire, appel à des sanctions vis-à-vis de la Russie, la Pologne prend part activement à la défense de son allié ukrainien. Cependant, la posture politique de cet État d'Europe centrale, qui partage une frontière terrestre de 529 km avec l'Ukraine, est peu traitée par les médias.
Les deux pays partagent des liens politiques, mais également historiques et culturels étroits depuis le XIVème siècle, date à laquelle les territoires occidentaux de l'Ukraine actuelle furent intégrés au sein du royaume de Pologne-Lituanie. Cette entité politique disparaîtra à la fin du XVIIIème siècle avec la partition du pays entre la Russie, l'Autriche-Hongrie et la Prusse. Il faudra attendre la fin de la Première Guerre mondiale pour que les deux pays retrouvent leur indépendance. Le territoire polonais couvrira alors à cette date 200 km de l'actuelle Ukraine. Les frontières entre les deux États seront à nouveau modifiées par Staline à la fin de la Seconde Guerre mondiale avec l'approbation des puissances occidentales. L'Ukraine, alors annexée au sein de l'URSS pendant la Guerre froide, héritera ainsi de ce découpage territorial à la chute de l'Union soviétique.
Ce bouleversement des cartes n'a pas affecté les relations cordiales entre les deux États durant ces dernières décennies. La crise qui embrase l'Ukraine a même provoqué un rapprochement significatif de ces deux États qui ont combattu contre la Russie à de nombreuses reprises afin de sauvegarder leurs indépendances.
Cessez-le-feu : Varsovie reste sceptique
Le 15 février dernier, à l'issue de négociations entre le tandem franco-allemand et le président russe Vladimir Poutine, accompagné de son homologue ukrainien Petro Porochenko, un cessez-le-feu est décrété en Ukraine. Cependant, d'après un rapport des Nations unies, près de 800 violations à cet accord ont été enregistrées.
Dans un contexte de reprise des hostilités, Varsovie se retrouve au premier plan dans ce conflit régional, et se prépare à une nouvelle escalade de la crise. Le 2 février dernier, Ewa Kopacz, Premier ministre du gouvernement polonais, affirmait que «la priorité est la sécurité de la Pologne et des Polonais ». Ses déclarations ont fait écho à celles de son prédecesseur, Donald Tusk, désormais président du Conseil européen. Ce dernier a ainsi déclaré qu'une consultation des partenaires européens serait en cours afin de lancer des sanctions contre la Russie, et donc de forcer cette dernière à abandonner sa politique de soutien aux séparatistes pro-russes.
Inquiété par une possible escalade du conflit, Varsovie se prépare à un renforcement de son dispositif de défense militaire par une série de mesures annoncées par le ministre de la Défense, Tomasz Siemoniak. Un programme de formation militaire pour tout citoyen polonais volontaire a été lancé, et l'entraînement des réservistes a également été intensifié selon les déclarations du ministre. Au total, Varsovie prévoit une hausse des dépenses militaires à hauteur de 42 milliards d'euros sur les dix prochaines années.
Varsovie/Moscou : un dialogue toujours tendu
La menace pour la stabilité de la Pologne est prise au sérieux par le gouvernement, qui n'a pas oublié la déclaration de Vladimir Poutine en 2014 : « les troupes russes pourraient être à Varsovie en deux jours si je le voulais ». Si cette affirmation ne semble être qu'une énième provocation du président russe contre un pays membre de l'Union européenne, elle aura eu pour conséquence de crisper davantage le dialogue avec les autorités polonaises. En effet, les conséquences de l'histoire mouvementée entre les deux États résonnent encore, tel un écho dans leurs relations diplomatiques. La Russie est toujours perçue comme un ennemi historique de Varsovie depuis la partition de la Pologne en 1795. Ce long et douloureux héritage a abouti à la création d'une forte méfiance à l'égard de Moscou.
Aujourd'hui, l'implication du Kremlin dans la crise ukrainienne est considérée comme un retour de l'expansionnisme russe, qui menacerait à terme la sécurité du pays. C'est dans ce contexte que la Pologne a annoncé le renforcement de son plan d'aide au gouvernement ukrainien avec l'envoi d'instructeurs supplémentaires auprès de l'armée gouvernementale. La lutte contre les séparatistes pro-russes, ajoutée au maintien de la pression contre Moscou, est perçue par Varsovie comme le meilleur rempart pour la stabilité de la Pologne.
Cette stratégie d'aide au gouvernement ukrainien puise également ses racines dans l'histoire polonaise. Selon l'historien polono-britannique Norman Davies, dans son ouvrage Heart of Europe : The past in Poland's present, la politique de soutien aux adversaires du Kremlin est devenue une caractéristique de la stratégie de défense polonaise. De la guerre russo-japonaise en 1904 au conflit de Tchétchénie qui a marqué les deux dernières décennies, la Pologne a toujours pris le parti des opposants de Moscou afin d'assurer son indépendance et sa sécurité.
La Pologne vulnérable face aux représailles russes
Toutefois, derrière cette politique teintée de russophobie se cache une volonté de stabiliser l'Ukraine. Les autorités polonaises souhaitent ainsi apaiser la région en forçant le Kremlin à stopper son soutien aux forces séparatistes. Ewa Kopacz et son gouvernement tentent ainsi d'éviter une escalade incontrôlée de la crise qui aurait de graves répercussions sur la stabilité de la Pologne.
La dépendance de Varsovie aux importations russes, notamment dans le secteur énergétique, rend la diplomatie polonaise vulnérable à une riposte russe. Si l'on observe les chiffres du commerce extérieur polonais, on peut apercevoir que les importations de pétrole et de gaz naturel représentent 90% de l'approvisionnement du pays. Par ailleurs, la Russie est le sixième pays importateur de produits polonais pour un montant annuel de 7,7 milliards d'euros. Durant l'été 2014, en représailles aux sanctions occidentales à l'issue de l'annexion de la Crimée, Vladimir Poutine fermait le marché russe aux produits agricoles européens en évoquant des raisons sanitaires. Cette décision a ainsi touché les producteurs de pommes polonais, et causé une perte de 400 millions d'euros pour la Pologne.
Il convient enfin de rappeler que contrairement aux idées reçues, l'Ukraine ne représente qu'un partenaire économique mineur pour la Pologne comparé au poids du commerce extérieur avec la Russie.
La sécurité de la Pologne et des Polonais menacée ?
Varsovie s'inquiète d'un nouvel embrasement du pays en raison de la présence d'une importante minorité polonaise dans la région. Selon les chiffres de l'Atlas de l'Ukraine du chercheur François de Jabrun, la minorité polonaise représente 0,3% de la population totale soit 144 000 individus.
Les flux migratoires sont également au centre des préoccupations polonaises. Le pays partage une frontière terrestre de 529 km avec l'Ukraine, ce qui représente une destination de premier choix pour les réfugiés politiques. Selon une enquête du quotidien polonais Rzesczpospolita auprès de l'Office des étrangers, 28 000 requêtes de permis de séjour et 2300 demandes de statut de réfugié ont été déposées en 2014. Il s'agit d'un afflux de migrants important pour un pays qui n'est plus habitué à un tel enjeu depuis la Seconde Guerre mondiale. De ce fait, tout nouvel embrasement du conflit représenterait un flux supplémentaire d'individus qui pourrait représenter un facteur de déstabilisation de l'économie polonaise, actuellement en plein essor. Cet argument est toutefois controversé. Des experts tels que Stanisław Kluza, ancien ministre et président de la Commission de surveillance financière polonaise, affirment qu'un nouvel afflux de réfugiés ukrainiens serait une opportunité pour la Pologne de pallier le vieillissement de sa population et le recul de la natalité.