Crise des migrants : volontariat et caméra de bois

12 Mai 2016



Alors que des milliers de migrants traversent chaque semaine la Méditerranée pour rejoindre l’Europe, les besoins en soutien humanitaire ne cessent de croître. Le Journal International s’est penché sur un phénomène peu médiatisé bien qu’en plein développement : le volontariat humanitaire. Reportage sur ces hommes et ces femmes qui viennent en Europe du Sud pour accueillir les réfugiés, en parallèle des ONG.


Crédit : refugees.tv.
Crédit : refugees.tv.
Depuis quelques années, de plus en plus de personnes, venues de tous les continents, voyagent à leurs frais jusqu’aux camps de migrants de la Méditerranée. Elles viennent aider les réfugiés qui arrivent sur le littoral européen. Ne retrouvant leurs valeurs dans aucun poste proposé par les ONG, bon nombre de bénévoles choisissent d’apporter leur soutien sur le terrain indépendamment de toute organisation.

« Exploiter au mieux les compétences de chacun »

Partie en février sur l’île de Lesbos avec une amie pour apporter son soutien aux migrants, Manon fait partie de ces volontaires. En dépit d’une apparente absence d’organisation, elle insiste sur le fait que les actions des bénévoles sont très bien coordonnées : « tous les volontaires sont connectés sur WhatsApp, et nous avons des groupes Facebook ». Grâce aux réseaux sociaux, ces personnes lambda arrivent à organiser leur aide humanitaire. Cette solidarité spontanée a permis de mettre en place un système de soutien psychologique aux volontaires choqués par leur expérience. Ils peuvent ainsi communiquer, par vidéo-conférence ou de vive voix, avec des psychologues volontaires.

« Ils viennent d’Europe pour la plupart, déclare Manon, mais il y a aussi des Japonais, des Américains… ». Le but est d’exploiter au mieux les compétences de chacun : connaissances en médecine, langues parlées, qualités relationnelles... Éviter l’attribution de rôle précis comme c’est le cas dans les associations offre une plus grande polyvalence aux volontaires. Selon la jeune femme, une partie importante de l’aide humanitaire apportée aux réfugiés est due à leur action.

« Les ONG n’ont pas la même mission que les volontaires » nous confie-t-elle. Elle juge ces deux modes d’action complémentaires plus qu’opposés : l’ONG a un objectif précis – apporter des médicaments, installer des toilettes... – tandis que les volontaires s’occupent de « tout le reste ». Par « tout le reste », elle entend notamment l’aspect humain. Manon explique avoir passé des heures à jouer avec des enfants des camps, pour qui le besoin de rapports humains est tout aussi indispensable que les besoins sanitaires ou alimentaires.

Les ONG sont aussi limitées dans leurs actions par l’instabilité des décisions politiques européennes. Selon leurs origines, les migrants ont le droit ou non de faire une demande d’asile. Le problème est que les critères sont différents d’un pays à l’autre et changent fréquemment. Cela reflèterait une déconnexion à l'égard du terrain selon Manon. Les réfugiés en provenance de la région d’Alep n’avaient ainsi plus le droit à l’asile lors du cessez-le-feu alors qu’il n’était que partiellement respecté.

Combler le silence médiatique avec du faux matériel de journalisme

Jacques Fayette, vice-président de la Maison de l’Europe et des Européens de Lyon, critique également le manque de réaction de la part des institutions politiques. Selon lui, le grand nombre d’eurosceptiques au Parlement européen bloque ou ralentit les prises de décisions alors que des initiatives sont proposées. Il cite notamment l’idée d’élaborer une liste identique pour toute l’Europe des pays « sûrs », c’est-à-dire depuis lesquels les migrants ne peuvent pas demander l’asile.

Si le phénomène de volontariat est peu relayé dans la presse, pour beaucoup c’est la situation dans son ensemble qui n’est pas correctement médiatisée. Chafik, également parti comme volontaire en Grèce, s’interroge sur une « volonté de manipuler » des médias européens, dont la couverture sur ce sujet est souvent superficielle et déconnectée du terrain.

Cherchant également à alarmer sur leurs conditions de vie, les réfugiés sont à l’origine de nombreuses initiatives. Le projet refugees.tv est l’une de celles-ci. En l’absence de journalistes pour s’intéresser à eux, quelques réfugiés ont fabriqué de faux équipements de journalistes en matériel de récupération. Avec leur caméra en bois et leur micro en plastique, ils ont interviewé les personnes de leur camp, en filmant avec des smartphones. Sur les réseaux sociaux, leurs vidéos ont attiré l’attention et leur ont permis une certaine médiatisation de leur condition.

Si des milliers de migrants ont été accueillis en Europe, Chafik estime que l’on « peut faire beaucoup plus ». Il reste positif cependant. À ses yeux et malgré tout, « la société civile prend peu à peu conscience du problème ». Des pays très fermés comme la Pologne ou la Hongrie ont récemment accueilli de nombreux réfugiés ukrainiens, comme nous le rappelle Jacques Fayette. Manon, qui n’avait jusqu’alors pas de convictions politiques particulières, commence à se sentir politisée par son engagement humanitaire. Pour elle, « c’est simple de mieux faire, les réfugiés ont seulement besoin d’être soutenus par plus de voix ».

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