Corée du Nord : Kim Jong-un se débarrasse de son oncle

9 Décembre 2013



La semaine dernière, les services secrets sud-coréens l'avaient dévoilée. Aujourd'hui, c'est la Corée du Nord qui a annoncé la destitution de Jang Song-thaek, l’oncle de Kim Jong-un numéro 2 du régime. Il est principalement incriminé d'être « anti-parti », d'avoir commis des « activités anti-révolution » et d'avoir été « corrompu par le mode de vie capitaliste ».


Crédits photo -- AP
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Kim Jong-un s’est bien débarrassé de son oncle. Les accusations politiques se doublent d'accusations morales, comme l'abus d’alcool, de drogues, de jouer au casino, ou encore d'une vie sexuelle dévergondée. Jang Song-thaek a été arrêté à la fin d'une réunion du Parti des travailleurs. L'événement a été dévoilé aujourd'hui par la télévision nord-coréenne, sans qu'aucune date n'ait été transmise.

Le retour de la purge politique sous les projecteurs

Le clan de Jang Song-thaek est directement visé par ce qui semble être une purge. Fin novembre, deux lieutenants de Jang auraient été exécutés selon la Corée du Sud. Près de deux ans après la mort de Kim Jong-il et l'arrivée au pouvoir de son fils, ce dernier semble vouloir renforcer son autorité en se débarrassant d'une figure pouvant être ombrageuse. Cela n'est pas sans rappeler les méthodes de ses prédécesseurs. Kim Il-sung, grand-père de Kim Jong-un, s'était débarrassé de tous ses compagnons d'arme de la lutte contre le Japon impérialiste qui avaient rejoint les hautes sphères de l’État, pour conserver seul le pouvoir, mais aussi pour détruire toute faction contraire à la volonté de Kim d'émerger. Dans un pays où la dictature s'appuie sur un nationalisme plus qu’exacerbé, Kim Jong-un a pu vouloir se passer d'une personnalité marquée comme pro-chinoise. Il se débarrasse de celui qui avait rendu plus facile son arrivée au pouvoir en 2011, en aidant à contrôler l'appareil d’État.

Jang Song-thaek, déjà disgracié en 2004 avant de reprendre un poids important dans les rouages nord-coréens, pourrait cette fois ne pas faire de grand retour. Cette première grande purge de l'ère Kim Jong-un marque le début d'une prise en main plus affirmée du pays par le dictateur. Disparu de la scène politique, Jang est aussi supprimé des bobines de propagande, comme dans le documentaire « grand camarade », où il n'est plus reconnaissable ou même effacé à certains passages.

En rendant public l'événement par voie de presse, Kim Jong-un envoie un message fort aux personnalités politiques qui pourraient croire que sa jeunesse l'empêche de contrôler la dictature. Par ce moyen, il envoie aussi un message d'autorité à l'international, à Séoul et à son allié chinois. Mais en se débarrassant de Jang, vieux routard de la négociation avec la Chine et représentant d'une aile modérée, Kim prend le risque de détériorer encore l'alliance sino-coréenne et de s'enfermer dans une logique isolationniste.

Ère Kim Jong-un, acte II

Crédits photo -- NKNews
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Avec cette mise à l'écart, Kim Jong-un veut donner l'impression de prendre seul les rênes de la Corée du Nord, lui qui avait été contesté pour sa jeunesse et son manque d'expérience. À présent que la « période d'essai » est finie, les orientations économiques et diplomatiques de Kim Jong-un seront particulièrement scrutées.

Économiquement, le régime pourrait choisir un développement à la chinoise en ouvrant plus de marchés aux investissements étrangers, comme elle tente de le faire au nord du pays avec la Chine, avec la Corée du Sud et le complexe de Kaesong. Le pays, « contaminé » par les téléphones portables et des objets culturels (musiques, films, dramas) à cause d'un marché clandestin en pleine expansion, pourrait trouver en cette ouverture économique une manière de normaliser une situation bien plus libérale dans les faits que dans les discours restés les même depuis des décennies.

Diplomatiquement, la suite du « règne » de Kim Jong-un devrait montrer s'il choisit l'apaisement et l'ouverture internationale ou la continuation de la stratégie du yo-yo, alternant promesses politiques, comme la dénucléarisation du pays, et menaces de frappes de missiles sur la Corée du Sud et le Japon. L'ouverture reviendrait pour Pyongyang à tirer un trait sur la volonté d'acquérir l'arme nucléaire, ce dont les élites nord-coréennes sont pour le moins frileuses, voyant cela comme le meilleur moyen de perdre tout atout de poids face à Séoul et Washington, et de voir la dictature menacée.

Le repli ou l'ouverture

Au-delà de la propagande, l'arrestation de Jang Song-thaek oblige Kim Jong-un à faire ses propres choix. Il peut continuer à faire de la Corée du Nord un royaume ermite, vivant dans une réalité économique et politique différente du reste du monde. Ou il peut décider de faire une véritable révolution en ouvrant le pays et en en faisant un membre à part entière de la communauté internationale. Mais les chances de réussite d'un tel scénario sont faibles, obligeant à un abandon au moins partiel d'une vision militarisée de la Corée de Nord.

Cela pousserait à modifier les discours et la répartition des budgets, qui servent désespérément à moderniser l'armée. De plus, cela forcerait le pouvoir à abandonner sa position victimaire, qui fait de l'armée la colonne vertébrale du pays, avec pas moins d'un million d'hommes sous les drapeaux, et dicte la politique étrangère en recherchant à acquérir l'arme nucléaire. Pas sûr que politiquement Kim Jong-un soit assez fort pour réaliser ce tour de force, où il trouverait la puissante caste militaire pour s'opposer à lui.

Historiquement, passer d'une philosophie du repli à celle de l'ouverture serait abandonnée la dialectique de la mobilisation armée permanente pour lutter contre l'ennemi de toujours japonais, ou l'ennemi idéologique américain. La détention récente d'un touriste américain de 85 ans à Pyongyang montre la tension entre les deux pays. Refuser et nier l'ouverture même lorsqu'elle se réalise clandestinement au niveau économique tient de l'esprit de survie du régime, sentant son isolation. Le régime a peur que la dictature ne s’effondre d'elle-même avec une ouverture trop prononcée. Les dirigeants nord-coréens ne veulent pas connaître le sort de l'URSS qui implosa à la suite de la Perestroïka, ou encore de la Libye de Khadafi ayant selon eux perdu les moyens de se défendre en renonçant à la menace atomique.

La mise à l'écart de Jang Song-thaek peut être interprétée de deux manières. Un épiphénomène dans la vie politique nord-coréenne, ou un tournant dans la tenue du pays, donnant assez de marges de manœuvre Kim Jong-un pour réformer. Reste à savoir s'il le souhaite vraiment, dans un pays qui dans les années 1960 était plus riche que la Corée du Sud, mais qui aujourd'hui est une anomalie temporelle, au cœur d'un espace en plein boom économique.

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