Comprendre l'organisation de l'Etat islamique (2/2)

Un mouvement djihadiste atypique

Mathilde l'Hôte
15 Décembre 2014



Si l’organisation de l’Etat Islamique (EI) a profité d’un contexte régional complexe et déstabilisé (CF article1), son développement n’en est pas moins surprenant. En effet, l’organisation de l’EI constitue une véritable innovation dans le monde djihadiste par rapport aux mouvements « traditionnels » comme Al-Qaeda, qui a été à la tête de cette mouvance depuis des décennies. Explications.


Crédit DR
Crédit DR
Tout d’abord, l’objectif de l’organisation de l’EI est d’instaurer le Califat sur un territoire précis (Irak et Syrie) contrairement aux visions globales de nombreux autres groupes djihadistes, avec Al-Qaeda en tête. De ce point de vue, l’organisation semble réussir, jusqu’à aujourd’hui, à mettre en application cette volonté, en étant le premier mouvement de ce type qui contrôle un territoire aussi vaste, estimé en superficie à celui du Royaume-Uni. Depuis la prise de Mossoul le 10 juin 2014, l’extension du territoire sous influence de l’organisation a été considérable. 

Il est toutefois difficile de rendre compte de la situation réelle à l’intérieur de ce territoire. Dans un reportage exclusif, VICE, plate-forme de journalisme d’investigation, a eu un accès exclusif de trois semaines aux-côtés des combattants du groupe. Il est clair qu’un « ordre islamiste » est progressivement mis en place, avec la nomination de gouverneurs, la perception d’impôts ou la modification des programmes scolaires comme à l’université de Mossoul où certaines matières, comme la philosophie, ont été interdites ainsi que les hommes et femmes séparés. Parallèlement, des tribunaux islamiques ont été créés dans le but de donner un cadre légal à l’application de la Sharia et ainsi condamner les personnes jugées infidèles. Aussi, des camps d’entraînement ont été construits, principalement pour les adolescents, dans un but militaire et d’endoctrinement idéologique. Ce n’est donc pas seulement une importante conquête territoriale de l’organisation de l’EI, mais une véritable transformation de la société qui s’effectue dans la région. 

Des moyens financiers et militaires considérables

Pour asseoir son influence, le groupe bénéficie de moyens financiers et militaires considérables. Comme le souligne l’article de Christina Anagnostopoulos dans Le Journal International, les sources de financement sont multiples et efficaces. En effet, d’après la CIA, ces différents moyens permettraient à l’organisation de récolter en moyenne un million de dollars par jour. Cela lui permet, en plus de se développer, d’offrir aux combattants un salaire nettement supérieur aux autres groupes djihadistes, d’une moyenne de 500 à 700 dollars par mois, cette composante étant essentielle en termes de recrutement. 

D’un point de vue militaire, l’organisation de l’EI dispose de trois ressources principales. Premièrement, après le démantèlement de l’armée de Saddam Hussein en 2003, le groupe a pu prendre possession d’un matériel important pouvant répondre à de nombreux besoins : armes légères, hélicoptères, mais aussi de nombreux véhicules allant du simple pick-up au char de combat. Deuxièmement, et suivant le même processus, de nombreuses personnalités militaires de l’ancien régime de S. Hussein ont rejoint les rangs de l’organisation, comme Izzat Ibrahim Al-Douri, ancien vice-président du conseil révolutionnaire irakien, devenu le chef de l’État-major de l’organisation de l’EI. Enfin, l’organisation dispose d’un apport de combattants étrangers indéniable et conséquent. Si de nombreux soldats viennent des régions du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (Arabie-Saoudite, Tunisie, Maroc, Turquie ou Pakistan), plusieurs milliers d’Occidentaux auraient rejoint les rangs du groupe et pas moins de 80 nationalités y seraient représentées au total. 

Une communication professionnelle

L’organisation de l’EI a su mettre en place une communication efficace à portée globale. Tout d’abord, le centre de média Al-Hayat, créé en mai 2014, est un véritable outil de propagande. Il propose toutes sortes de contenus : d’un côté, des images et vidéos très violentes mettent en scène des décapitations, pendaisons, crucifixions ; de l’autre, la série de vidéos Mujatweets montre l’organisation sous un autre visage, aidant les populations locales. Dans le même ordre, le magazine en ligne Dabiq propose des mises à jour régulières de tous les « succès » du groupe. Tous ces contenus sont proposés, en sous-titre ou doublage, en anglais, d’où son exploitabilité dans le monde entier et son impact sur le recrutement international. 

Le groupe a véritablement réussi à exploiter les médias sociaux. Même si depuis la prise de Mossoul, certains contenus ont été supprimés de la toile comme les comptes Twitter en Français, Anglais et Allemand, la plupart des ressources sont encore facilement accessibles au grand public. De plus, le relais d’une part de ce contenu dans les médias participe à ce processus de propagande indirectement. En effet, si les médias occidentaux prennent le soin de spécifier « film de propagande de l’EI », il est pertinent de s’interroger si, finalement, la diffusion de ce message n’augmente pas sa portée. 

Les objectifs de cette propagande sont clairs. Tout d’abord, elle permet à l’organisation de convertir certaines personnes à sa cause et ainsi augmenter, certes, le nombre de combattants mais aussi la sympathie vis-à-vis du mouvement et de ses idées internationalement. Aussi, par la diffusion de messages violents et de haine, le groupe installe la peur dans le camp de ce qu’il considère l’ennemi. Cette approche peut aussi, sur le long terme, instrumentaliser et développer un rejet global des musulmans de la part des Occidentaux. Ce processus est dangereux puisqu’il peut créer une stigmatisation de l’Islam, qui n’a pas lieu d’être, et qui ne ferait qu’augmenter la rancœur de l’organisation de l’EI et des autres groupes djihadistes envers l’Occident. Cette instrumentalisation a déjà été utilisée, dans l’autre sens, par l’ancien président américain G.W Bush avec sa définition de « l’axe de la terreur » et n’a que contribué à renforcer l’incompréhension entre différentes cultures. Enfin, si ces objectifs semblent communs à d’autres organisations djihadistes, la nature et l’impact de la communication mise en place dépasse de loin ceux des autres groupes, notamment Al-Qaeda.

Il est donc clair que cette organisation est atypique à bien des égards et présente une réelle menace sur la stabilité de la région, mais aussi internationalement, avec le problème du retour des combattants étrangers dans leurs pays d’origine. Comme le souligne la Résolution 2170 adoptée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies le 15 août 2014, « le terrorisme constitue l’une des menaces les plus sérieuses contre la paix et la sécurité internationale ». Toutefois, il est important de ne pas surestimer la capacité de l’organisation de l’EI. Deux majeures faiblesses apparaissent aujourd’hui. D’un côté, la capacité militaire du groupe semble limitée à long terme, d’un point de vue matériel et humain. D’un autre côté, la réaction de la population se trouvant sur le territoire contrôlé par le groupe est à observer avec attention. Même si, jusqu’à présent, il semble qu’il n’y ait pas eu de résistance significative et globale de la population, cela peut changer très rapidement face au manque d’argent dans les régions contrôlées et à l’utilisation d’une violence exacerbée des membres du groupes contre la population elle-même. 

Notez