Comment les femmes se sont fait voler les Révolutions

Anne-Marie Veillette (Blog sur la politique internationale)
26 Avril 2013



L’actualité internationale des dernières années est incontestablement marquée par de nombreuses révoltes populaires. Au Maghreb et au Moyen-Orient, les révoltes s’intensifient face aux dictatures et donnent naissance au Printemps arabe. Des années de militantisme syndical, de travail d’ONG, de chômage élevé chez les jeunes et de répression incessante de ces autocraties contribuent en janvier 2010 à l’éclosion de ce mouvement en Tunisie, en Égypte, en Libye, en Syrie, au Yémen et au Bahreïn.


Photo : © Hamiddedine Bouali
Photo : © Hamiddedine Bouali
Les révolutionnaires réclament la démocratie, le respect des droits humains et la remise sur pied d’économies malades et dominées par le chômage. Certaines révoltes réussissent à déloger les dictatures et à amorcer des transitions démocratiques. Dans d’autres cas, comme au Bahreïn, les manifestations sont lourdement réprimées. En Libye, l’OTAN intervient en faveur des « rebelles » et bombarde les forces gouvernementales. En Syrie, la révolution se transforme en guerre civile. En Égypte et en Tunisie, la transition démocratique est quant à elle bien amorcée. Cependant, on remarque rapidement que les réformes démocratiques tant espérées ne sont pas faites aux bénéfices de tous et de toutes.

De nouveaux obstacles pour les femmes

Pour les femmes, la démocratisation de la Tunisie et de l’Égypte n’apporte pas nécessairement que de bons côtés. Alors que s’écrit tranquillement la constitution dans ces États, on assiste aussi à une islamisation de la société. L’arrivée de gouvernements islamistes (Ennahda en Tunisie et les Frères musulmans en Égypte), ainsi que l’importance que prennent les groupes salafistes, permet à l’islam de s’immiscer rapidement dans la sphère publique et privée. Dans des sociétés historiquement assez progressistes vis-à-vis la question des femmes comme la Tunisie, on assiste à l’intervention des salafistes revendiquant dans les facultés universitaires le port du voile obligatoire pour les femmes. Une jeune fille, toujours en Tunisie, se voit accusée de son propre viol commis par des agents de police, parce qu’elle ne respectait pas les bonnes mœurs. Parallèlement, un membre de l’Assemblée constituante affirme à la radio que « les mères célibataires sont une infamie et ne devraient pas aspirer à un cadre légal qui protège leurs droits ». En Égypte, la journaliste américano-égyptienne Mona Eltahawy raconte comment elle s’est fait violer, à la fois par les révolutionnaires sur la Place Tahrir (alors qu’elle prenait part aux manifestations), et par les forces de l’ordre égyptiennes. Enfin, les polémiques sur les questions de genre dans les nouvelles constitutions se multiplient, et créent de fortes protestations de la part de Tunisien (ne)s et d’Égyptien (ne)s. Pourtant, les femmes ont participé aux révolutions nationales et ont souvent été les premières à prendre la rue, contrairement aux groupes islamistes qui ne sont arrivés qu’à la fin des protestations.

Avec l’élection des Frères musulmans et d’Ennahda, les lois du Coran et de la Charia sont réintroduites dans la société. L’interprétation très conservatrice qui en découle impose à la femme un statut inférieur à celui de l’homme et confine celle-ci aux domaines de la sphère privée. En d’autres termes, la femme est reléguée au rôle traditionnel au sein de son foyer et de sa famille, loin des enjeux sociaux qui la concernent. Les lois de la Charia, qui ont un impact significatif sur la sphère privée (en édictant, par exemple, comment les époux doivent se comporter), viennent cautionner le conservatisme vis-à-vis des relations directes et intimes entre les individus, alors que dans la sphère publique, on obtient une certaine libéralisation. On assiste alors à un paradoxe où la révolution amène deux courants opposés dans la société. Ce virement religieux, prôné par un nationalisme arabo-musulman défendu par les Frères musulmans et Ennahda, représente toutefois une identité qui n’est ni tunisienne, ni égyptienne. D’autre part, le salafisme a toujours été marginal dans ces deux États. Par conséquent, pour comprendre pourquoi ces sociétés se sont islamisées, il faut se demander d’où vient le courant salafiste qui met en danger les faibles acquis des femmes.

Le wahhabisme d’Arabie Saoudite et les révolutions arabes

Il ne faut pas s’étonner d’apprendre que l’Arabie Saoudite et le Qatar financent de façon très importante les nouveaux gouvernements islamistes de la région, tout comme ils financent les groupes salafistes depuis déjà de nombreuses années. Le salafisme, de manière générale, est un courant ultraconservateur musulman, prônant le retour au mode de vie des pieux ancêtres, un peu à la façon du wahhabisme en Arabie Saoudite.

Le wahhabisme étant la doctrine prédominante en Arabie Saoudite, on établit rapidement un lien entre financement de groupes salafistes et diffusion du wahhabisme à l’ensemble de la région. Pour contrôler l’orientation idéologique du pays ainsi que ses ressources (particulièrement le pétrole), la famille Saoud maintient un régime autoritaire qui interdit littéralement toute association politique ou relative aux droits humains. Les violations continuelles des droits humains en général, et plus particulièrement les droits des femmes, en font l’un des États les plus répressifs au monde. Lors des révolutions arabes, le roi a imposé une censure et un contrôle médiatique encore plus rigoureux pour empêcher que la fièvre révolutionnaire n’atteigne le pays, entrainant ainsi la fin de son règne. C’est dans cet esprit que l’Arabie saoudite offre une aide importante à la famille royale du Bahreïn lors des soulèvements du printemps dernier. Après quelque temps, de l’aide est également accordée au Yémen. Le financement et l’aide apportés par l’Arabie saoudite visent directement à étouffer les mouvements libéraux, qui sont perçus comme une menace pour le maintien de la monarchie saoudienne, mais aussi pour la stabilité de la région. Par conséquent, l’Arabie saoudite se porte garante de la protection des monarchies du Golfe (réunies au sein du Conseil de coopération du Golfe), ce qui lui permet d’assurer sa pérennité.

Dimensions internationales

Photo : © REUTERS | published in drugoi.livejournal.com
Photo : © REUTERS | published in drugoi.livejournal.com
Toutefois, des éléments géopolitiques viennent aussi gonfler les objectifs de l’Arabie Saoudite. D’abord, le soutien américain représente une légitimation et une aide bénéfique pour mener cette politique étrangère. Ceux-ci, en plus d’entretenir de bonnes relations liées au pétrole, ont aussi conclu récemment une vente d’armes d’une valeur de 60 milliards de dollars américains. Acteur clef de la politique américaine au Moyen-Orient (notamment comme contrepoids à l’Iran), l’Arabie saoudite a été épargnée par les critiques d’Obama envers les dictatures de la région, alors qu’elle représente l’antithèse par excellence de la démocratie. De plus, la timidité d’Obama à dénoncer ces mêmes dictateurs (et en particulier Moubarak) tient au fait que l’Égypte occupe elle aussi une position géostratégique majeure pour les Américains. Non seulement elle occupe une position géostratégique importante, mais elle est aussi un État voisin d’Israël. Ces préoccupations expliquent pourquoi les États-Unis apportent une aide financière de deux milliards de dollars chaque année à l’Égypte depuis les accords de Camp David de 1978 (qui mèneront en 1979 au traité de Paix israélo-égyptien). Cette aide aujourd’hui parvient directement à un parti islamiste (celui des Frères musulmans) dont les politiques sont répressives et régressives, surtout envers les femmes.

La récupération de mouvements populaires et rejet des femmes

En somme, le constat, qui ressort aujourd’hui des révolutions arabes en Tunisie et en Égypte, est la propension de celles-ci à faire régresser les droits des femmes. En outre, les révolutions ont partiellement été récupérées par des intérêts étrangers. Que ce soit les États-Unis, obsédés par le contrôle géostratégique de la région (et indirectement des ressources), l’Arabie saoudite, jalouse de son pouvoir, ou Israël, dont l’incertitude chronique anime la dynamique régionale, on ne peut ignorer les répercussions néfastes et régressives de leurs politiques sur les peuples tunisiens et égyptiens. Alors qu’on finance à coups de milliards le gouvernement de Morsi, on appuie du même coup l’islamisation de la société et l’enfermement des femmes. On récupère une révolution qui se voulait émancipatrice pour la réduire en agent de statuquo dans des dictatures comme celles du Qatar et de l’Arabie Saoudite. Les États-Unis entérinent ce processus, tout en ayant le double discours que la liberté et la démocratie sont des valeurs sacrées, alors que les Tunisiennes et les Égyptiennes n’y ont pas accès. Cela étant dit, la mainmise des islamistes radicaux sur la politique et sur les relations sociales n’est pas définitive. Il est possible que cette période serve de tremplin vers d’autres perspectives sociales. En attendant, les femmes sont toujours aux prises avec un système patriarcal imposé par l’influence grandissante des salafistes et par un gouvernement financé outrageusement par les États-Unis, l’Arabie Saoudite et le Qatar.




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